On parle beaucoup, ces derniers mois, du plan national de gestion des déchets, élaboré par le gouvernement. Des sociétés privées, des décharges dans les régions, des protestations en perspective... Et le rôle du public dans tout cela? Ils sont de plus en plus nombreux à penser qu'il ne faut pas laisser la seule initiative au gouvernement.
L'infrastructure disponible pour une collecte séparée de déchets triés au préalable dans les maisons reste basique, certes, mais les efforts individuels n'en sont pas moins utiles. Et les initiatives existent. Si vous êtes de ceux qui ne rechignent pas à prendre les choses en main, et à contribuer à la réduction du volume de déchets dans le pays et chez vous, voici quelques conseils et détails pratiques apportés par des personnes ayant longtemps travaillé dans le domaine, afin de mettre en lumière certaines initiatives de la société civile en la matière.
Trier ses déchets en deux sacs, c'est ce que préconise Fifi Kallab, spécialiste en socio-économie de l'environnement et présidente de Byblos Ecologia. «Toutes les expériences dans le monde prouvent que le tri en plus de deux sacs décourage le public et ne fonctionne pas, dit-elle. Il s'agira de consacrer deux sacs aux déchets, l'un pour tout ce qui est organique, en gros les restes d'aliments, et un second pour tout les autres. Cela réduit automatiquement le volume de déchets de moitié, puisque les matières organiques représentent au moins 50% du volume de nos déchets. De plus, cela facilitera le travail dans les centres de tri puisque le mélange sera celui de matières non salissantes.»
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Et il n'y a pas que le tri à la maison, on peut tout simplement réduire la production de déchets chez soi. «On peut prendre toutes sortes d'initiatives, explique Fifi Kallab. Prendre son propre sac au supermarché pour réduire le nombre de sacs en nylon à la maison. Utiliser un conteneur de chez soi pour acheter ses aliments en le faisant remplir chez son épicier. Choisir des produits avec moins de packaging. Et ainsi de suite.»
À l'association Arcenciel également, on préconise le tri en deux sacs, notamment pour les foyers en ville. «Il faudra séparer les matières organiques des canettes, objets en plastique, verre et autres, affirme Olivia Maamari, d'Arcenciel. En ville, il est difficile de faire plus.»
Selon elle, un tri en trois catégories devient plus pratique dans les institutions, où le volume des déchets est plus important, ou alors en milieu rural, où l'on dispose d'un espace plus grand. «Nous avons lancé un projet pilote à Taanayel, raconte-t-elle. Nous avons intégré dans cette expérience pilote des familles, des écoles, des restaurants... Nous y avons installé un centre de tri: nous compostons les matières organiques, recyclons les recyclables. En ce qui concerne les déchets divers pour lesquels il n'y a pas d'option de recyclage au Liban tels les couches d'enfants par exemple, nous effectuons des analyses pour trouver, à terme, des solutions. En ville, il est recommandé, pour l'instant, de ne pas les placer avec les recyclables, mais avec les déchets ramassés par la compagnie pour finir dans la décharge.»
Deux sacs ou trois, telle est la question
La nouvelle campagne de tri «Sar Lazem Rassak Yefroz», qui se répand sur les réseaux sociaux (la vidéo a été publiée sur le site de L'Orient-Le Jour), préconise elle aussi la méthode des deux sacs, avec une précision des couleurs. «Pour nous, il est logique de séparer les ordures en deux sacs, l'un noir, pour les matières organiques, et l'autre bleu, pour les matières recyclables, explique Ziad Abichaker, ingénieur environnemental. Nous recommandons de placer, avec les matières organiques, tout ce qui est tissu, mouchoirs, papiers. Cela aide à réduire l'humidité dans le sac et réduit les odeurs entre autres.»
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Seul Paul Abi Rached préconise trois poubelles, même pour les foyers en ville. «À Terre-Liban, nous sommes forts d'une expérience vieille de vingt ans, explique-t-il. Depuis 1995, nous éduquons les enfants dans le cadre de notre campagne Nisr (campagne nationale pour l'initiation à la sélection et au recyclage), un sigle qui signifie vautour en arabe. Or le vautour nettoie la nature.» Pour Terre-Liban donc, trois poubelles sont de rigueur: la poubelle verte pour les matières organiques auxquelles on ajoute tout ce qui est mouchoirs, tissus, etc. Une poubelle blanche pour le papier et le carton (journaux, magazines...) et une troisième, rouge, pour les recyclables (verres, canettes, plastique). «L'expérience nous a montré qu'il est préférable de séparer les cartons et papiers, parce qu'ils prennent souvent trop de place pour les garder avec les autres recyclables», explique-t-il.
Jean-Marie Chami, président de l'association «L'Écoute» qui s'occupe de malentendants et qui collecte des matières recyclables, pense lui aussi que trier les papiers et cartons à part est une meilleure idée.
Un net progrès en quelques années
Pour tous ces militants de la société civile, il ne fait aucun doute qu'il est possible de motiver une grande proportion de la population à trier les déchets chez soi, donc réduire le volume et la difficulté du traitement à un niveau national. «Toute l'éducation que nous avons prodiguée aux enfants depuis vingt ans donne ses fruits, explique-t-il. Aujourd'hui, des chefs d'entreprise font appel à nous pour une assistance au niveau du tri et du recyclage dans leur bureau, parce qu'ils ont appris à trier les déchets dès leur plus jeune âge.» Pour étayer son raisonnement, il donne des chiffres: en 2013, Terre-Liban a collecté 650 tonnes de papiers contre... 50 en 2008. «La progression est nette et montre que les Libanais sont tout à fait disposés à changer leurs habitudes quand ils sont sensibilisés, dit-il. De plus, les municipalités peuvent être mises à contribution pour la collecte séparée. Or elles sont marginalisées dans tous les plans gouvernementaux. Nous avons créé notre centre de stockage de matières recyclables entre autres pour leur prouver que c'est faisable et qu'il n'y a pas de désagréments à redouter.»
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Arcenciel a également constaté des progrès au cours de son long parcours. «Dans le domaine du recyclage, nous avions commencé par demander au public de nous faire parvenir les bouchons des bouteilles en plastique, explique Olivia Maamari. Face au succès de cette première initiative, et pour répondre aux questions du public sur le recyclage, nous avons pensé aller plus loin. D'où l'instauration d'un système de collecte des recyclables et le projet pilote à Taanayel.»
Pour Jean-Marie Chami, «il n'est absolument pas difficile d'encourager les gens à trier leurs déchets». «Notre église est située à Zokak el-Blatt, poursuit-il. Quand nous avons lancé notre projet de collecte, personne autour de nous ne triait les déchets. Aujourd'hui, dans l'immeuble où nous nous trouvons, tout le monde s'y est mis.»
Ziad Abichaker se montre particulièrement optimiste. «Nous ne pouvons qu'aller de l'avant, toutes les statistiques montrent qu'avec le système actuel, seuls 8% de nos déchets sont recyclés, dit-il. Avec notre campagne et vu les réactions qu'elle suscite, nous espérons atteindre 16% de tri à la source et recyclage d'ici à un an.»
Enfin, Fifi Kallab évoque une autre initiative de la Coalition Zero Waste qui lancera bientôt une campagne pour réduire l'utilisation du plastique dans le pays.
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Contacts utiles
Le tri à la maison ne devrait pas poser non plus de problème au niveau de l'espace requis, ni de difficulté particulière pour un quelconque membre de la famille. «Il peut juste y avoir un souci avec le plastique, qui prend parfois trop de place, souligne Fifi Kallab. Or il y a une solution pour cela. C'est une petite machine peu chère inventée par un Libanais et qu'on trouve chez Terre-Liban, qui sert à compresser les objets en plastique.» Paul Abi Rached nous apprend que l'inventeur s'appelle Samir Kahil, qu'il a créé sa machine au Royaume-Uni et qu'il la fabrique en Chine. Elle se trouve à l'association à titre d'essai, mais elle fonctionne parfaitement.
Reste l'épineuse question de savoir où envoyer les déchets ainsi triés dans les sacs à la maison. La campagne «Sar Lazem Rassak Yefroz» préconise de jeter les sacs triés comme d'habitude dans les bennes de la compagnie chargée de la gestion des déchets. Selon cette campagne, ces sacs seront récoltés plus facilement par les personnes qui font spontanément de la collecte et du recyclage, et que l'ont voit passer devant les bennes avant le passage des camions de la compagnie, ou alors ils seront plus facilement séparés des autres dans les centres de tri.
Toutefois, si l'on désire une collecte des sacs de matières recyclables directement de chez soi, que l'on soit une compagnie ou un domicile, il existe certains services apportés par des ONG. Il faut cependant produire un certain volume de déchets avant de demander un service de ce type. Les institutions sont de parfaites candidates, évidemment. Mais qu'en est-il des foyers?
Olivia Maamari pense qu'il est préférable de regrouper au moins les différents foyers d'un même immeuble si l'on veut qu'une camionnette d'Arcenciel vienne collecter les recyclables. «Les personnes intéressées doivent nous contacter pour que nous leur organisions une session de formation, et que nous leur proposions une fréquence de collecte adaptée à leur capacité de stockage et de production », dit-elle. Il est possible de contacter Arcenciel au 01-495561 (demander la section de l'environnement) ou d'écrire à:
environnement@arcenciel.org. L'association dessert déjà près de 300 entreprises.
Pour Terre-Liban, qui a un accord avec plus de 500 sociétés, il est possible de contacter l'association au 05-923060. Si le volume est assez important, l'association peut envoyer une camionnette récolter les sacs, mais il est aussi possible d'apporter ses propres sacs au centre à Baabda. «Il faut noter que ce qui nous aide à envisager le tri, c'est une industrie de recyclage très efficace au Liban», souligne Paul Abi Rached. Les revenus de la vente des produits servent à garder le centre durable.
L'association «L'Écoute», quant à elle, a déjà plus de mille abonnés aux quatre coins du Liban. Le père Chami nous explique que, parmi eux, on trouve des institutions mais aussi des foyers, à condition que ceux-ci produisent un volume de sacs assez important pour justifier le déplacement. Leur priorité va au papier trié seul, ainsi qu'aux canettes, au plastique (dont les sacs en nylon) et au verre blanc (de préférence). Pour contacter l'ONG, appeler le 70-391908, ou consulter le site:
www.lecoute-ls.org. À noter que chaque 15000 cannettes collectées servent à assurer une prothèse auditive pour un malentendant, et que les bénéfices vont tous à l'association.
Pour mémoire
Engloutis par les déchets, le billet d'Anne-Marie El-Hage
Les incinérateurs au centre du débat sur les déchets ménagers
« Sar Lezem Rassak Yifroz », une initiative pour inciter les Libanais à trier leurs déchets
commentaires (5)
ÉVIDEMMENT, "MON CHER WATSON" !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
14 h 36, le 09 février 2015