Le dialogue entre le Hezbollah et le Futur, dont la cinquième réunion doit se tenir demain à Aïn el-Tiné, se trouve plus que jamais confronté à la difficile tâche d'assainir réellement les rapports entre deux formations opposées. Ce dialogue avait réussi jusque-là à écarter les profonds points de litige, liés à l'intervention du Hezbollah en Syrie et à la question corollaire de la stratégie défensive. Les parties avaient misé sur leur capacité à calmer les tensions sunnito-chiites intérieures et à coopérer au niveau sécuritaire afin de préserver le pays des répercussions régionales. Mais depuis la riposte du Hezbollah à Chebaa, et le discours du secrétaire général du Hezbollah qui s'est ensuivi, cette approche a perdu une grande part de sa validité. C'est du moins l'avis de plusieurs pôles du courant du Futur.
« Les nouvelles règles de la confrontation », décrétées vendredi par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et qui consistent à « riposter à l'ennemi où qu'il soit et avec tous les moyens disponibles », ont été sévèrement rejetées par le chef du bloc du Futur, le député Fouad Siniora. S'il avait déclaré vendredi que le parti chiite agissait « hors du cadre de l'unanimité libanaise », avec le risque que cette action comporte d'« entraîner le Liban dans des situations qui ne servent pas ses intérêts », l'ancien Premier ministre est revenu à la charge samedi, lors d'une conférence à l'Institut Issam Farès, organisée à la mémoire de l'ancien ministre assassiné Mohammad Chatah. « La déclaration de Hassan Nasrallah sur l'abandon des anciennes règles de confrontation avec l'ennemi sioniste est une déclaration unilatérale et irréfléchie, qui abolit la volonté du peuple et l'engagement unanime des institutions à respecter la résolution 1701 », a déclaré Fouad Siniora. Ce vis-à-vis entre la volonté des Libanais et celle du Hezbollah a fait l'objet de la manchette du quotidien al-Mustaqbal, dans son édition d'hier : « Le Futur à Nasrallah : Méfiez-vous des règles de l'unanimité », écrivait le quotidien, mettant en face à face « le langage de la modération, de la clarté et de la raison », et celui de l'aventurisme illégal et dangereux, renforcé par des exhibitions de force qui menacent directement la sécurité des citoyens. « L'attentat perpétré au cœur de Damas hier est la preuve de l'irakinisation de la Syrie, et peut-être bien du Liban, éventuellement, à cause de la politique de l'Iran et du Hezbollah », estime dans ce cadre Ahmad Fatfat à L'OLJ.
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Les tirs intensifs, et particulièrement violents, aux abords de la banlieue sud, ayant accompagné le discours de Hassan Nasrallah vendredi, ont fourni une image reprise en boucle, et avec insistance, par les membres du courant du Futur. En effet, cette image n'est pas seulement révélatrice de l'agressivité d'un parti qui fait cavalier seul, mais surtout de son détachement de plus en plus marqué du tableau libanais, dans tous ses détails, y compris le respect de la sécurité minimale du citoyen lambda. Il y a surtout, dans l'intensification des tirs, et l'exhibition extrême de la force, un certain rappel à l'ordre de la base chiite désabusée, qu'évoquent d'ailleurs les salves d'intimidation accompagnant, dans les villages chiites, les obsèques des combattants du Hezbollah, morts en Syrie. Ce n'est plus la stratégie du Hezbollah en soi qui est stigmatisée, mais sa nuisance à l'encontre de ses sympathisants autant qu'aux Libanais. C'est son caractère extralibanais qui est explicitement pointé du doigt.
Si le courant du Futur a ainsi rompu, du moins ponctuellement, avec son ton de conciliation avec le Hezbollah, c'est que de nouveaux faits semblent avoir ébranlé la confiance qui s'était timidement rétablie entre les deux parties, dans les limites que supporte le dialogue. Plus précisément, le parti chiite aurait trahi une promesse faite au Futur dans ce cadre : lors de la quatrième rencontre de dialogue à Aïn el-Tiné, qui s'était tenue après le raid israélien contre une patrouille du Hezbollah à Kuneitra, « ce dernier s'est engagé en substance à ne pas riposter à l'attaque à partir du territoire libanais », a révélé un député-ministre du Futur à L'Orient-Le Jour.
(Pour mémoire : La parenthèse de la violence est refermée, pas celle des menaces...)
D'autres faits, de moindre incidence, mettent en doute l'efficacité du dialogue Futur-Hezbollah. La mise en œuvre du plan sécuritaire dans la Békaa, qui commence « bientôt », selon le ministre de l'Intérieur, devait apporter une preuve concrète de l'utilité du dialogue. Mais là aussi, un hic est révélé par le député-ministre du Futur, qui rapporte à L'OLJ « une information selon laquelle les personnes faisant l'objet de mandats d'arrêt pour les crimes les plus dangereux (assassinat, contrebande, enlèvements...) se trouvent actuellement à Qousseir, en Syrie ». « Comment ces personnes poursuivies par la justice ont-elles traversé les frontières ? Avec l'aide de qui ? Et qui les abrite dans la localité syrienne contrôlée par le Hezbollah ? » s'interroge-t-il.
« Toutes les questions provoquées par le discours de Hassan Nasrallah, ainsi que les menaces à la sécurité des Libanais et du Liban, seront évoquées à Aïn el-Tiné », affirme pour sa part le député Ahmad Fatfat à L'OLJ. Cette rencontre sera déterminante quant au forcing que pourrait effectuer le 14 Mars, au sein du Conseil des ministres mercredi, pour obtenir une déclaration officielle du gouvernement qui stigmatise « la violation par le Hezbollah de la 1701 », selon les termes du secrétaire général de l'Onu.
Ahmad Fatfat ne cache pas sa conviction de « l'inutilité du dialogue » et révèle que « même les plus enthousiastes face à la tenue du dialogue ne croient pas dans ses résultats ». Il estime toutefois que « la décision de se retirer d'un dialogue est plus difficile que celle de le relancer ».
Entre-temps, l'émissaire français Jean-François Girault entame une nouvelle visite au Liban aujourd'hui. Il s'agit surtout d'une visite de prospection, qui n'apporte rien de nouveau au niveau de la présidentielle...
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commentaires (7)
Comme si Nasrallah avait accordé, durant un seul jour, la moindre importance, la moindre attention, le moindre respect à "l'unanimité libanaise hors du cadre de laquelle il vient d'agir", comme disent l'ancien chef du gouvernement, Fouad Siniora, et son courant du Futur. Il n'y a pas un milimètre de place pour cette bagatelle chez le secrétaire général du Hezbollah. Dans son conscient et son subconscient tout l'espace est rempli jusqu'au dernier milimètre par l'attention, l'importance et le respect sans limite aux ordres qu'il reçoit de Téhéran, et spécifiquement de ses commandants des Gardiens de la révolution iranienne, les Pasdaran. C'est çela le dialogue qu'il mène avec le Futur. C'est cela sa Feuille d'entente avec le général Aoun et tout ce qui s'en suit, comme son supposé appui à sa candidature à la présidence. C'est cela ses agissements au Liban, en Syrie, en Irak, à Bahrein, au Yémen et à n'importe quel point du monde. Car cela est son "devoir jihadiste". Les "martyrs" du Hezbollah tombent en Syrie justement "en accomplissant ce devoir jihadiste", pour sauver un régime que Téhéran considère un bien très précieux entre ses mains. En dehors de ces paramètres, on passe tout fait à côté de la réalité et de tous les problèmes.
Halim Abou Chacra
17 h 39, le 02 février 2015