Trente et un décrets royaux pour désigner de nouveaux titulaires de postes d'importance majeure : la continuité tant vantée il y a une semaine, lorsque le prince Salmane ben Abdel Aziz a succédé à son demi-frère Abdallah qui venait de décéder, cette continuité tant vantée, comme pour rassurer dans un premier temps l'opinion publique, en a pris un rude coup. Le nouveau souverain a d'évidence voulu marquer son territoire. Résultat : une valse de noms qui ont vite fait de disparaître de l'actualité, d'autres noms propulsés au premier plan, d'autres enfin (on pense principalement aux ministres du Pétrole, des Affaires étrangères et des Finances) qui conservent leur portefeuille. Il s'agit bien du changement – on pourrait même parler de bouleversement – le plus important survenu dans la Maison Saoud depuis la réunification, le 23 septembre 1932, de la péninsule Arabique sous l'égide du grand Abdel Aziz*.
La liste du nouveau gouvernement importe moins que l'orientation sensiblement différente qu'elle signifie. Que la décision de transfuser un sang neuf dans un corps étatique qui en avait grandement besoin ait été prise par un homme de 79 ans, que l'on dit de santé fragile, dénote l'urgence de l'opération alors qu'à l'horizon se multiplient les défis, les plus sérieux étant la question des prix du pétrole et la sécurité, avec les risques de l'islamisme au Nord et l'effervescence yéménite au Sud. S'agissant des hydrocarbures, principale ressource des finances de l'État, le fonds souverain et ses 700 milliards de dollars, soit autant que la cagnotte du numéro un en la matière, la Norvège, permettra d'amortir la chute de 50 pour cent enregistrée ces derniers mois sur le marché mondial . Au sein de l'Opep, Riyad s'est obstinément refusé à limiter sa production, ce qui aurait contribué à relever les prix. Dans le même temps, Ali ben Ibrahim al-Nouaïmi, ministre du Pétrole, a fait savoir que les réserves en dollars sont aussi importantes que celles des gisements d'or noir. Rien à craindre donc de ce côté-là.
Alors que le risque d'un embrasement majeur dans la province orientale demeure relativement minime (malgré une timide recrudescence de l'agitation chiite), il est source d'inquiétude dans l'antique Arabia Felix, saisie par de violents remous depuis le réveil chiite et la montée en puissance des houthis. C'est bien pourquoi parmi les nominations annoncées jeudi soir, la plus importante portait sur le limogeage du chef du renseignement, le prince Khaled ben Bandar ben Abdel Aziz (à ne pas confondre avec son presque homonyme, le prince Bandar ben Sultan, renvoyé lui aussi à ses douteuses fréquentations, notamment avec le tout-puissant clan américain des Bush père et fils).
Il faut saluer les principaux choix opérés, relevant pour la plupart d'une ferme intention de graisser les principaux rouages d'une administration qui en avait grandement besoin. Cependant, un coup de barre à droite semble avoir été donné avec le départ de deux figures qui passaient pour libérales : le ministre de la Justice et celui de la Police religieuse. À la trappe aussi le suave ministre de l'Information Abdel Aziz Khoja, qui fut un actif ambassadeur au Liban, tout comme l'un de ses prédécesseurs, le général Ali Chaër.
Le clan du défunt monarque est tombé en disgrâce avec le départ de deux de ses figures de proue, les gouverneurs de La Mecque, Mechaal ben Abdallah, et de Riyad, Turki ben Abdlallah, un troisième, Mouteeb, demeurant en poste à la tête de la garde nationale fondée, il faut le rappeler, par son regretté père et qui est toujours demeurée, véritable armée de plusieurs milliers d'hommes parallèle à l'institution militaire officielle, acquise à ce dernier.
Une fois atteinte la vitesse de croisière, il est certain qu'apparaîtront les grandes lignes de l'orientation que prendra la nouvelle politique. Un rapprochement encore plus marqué que par le passé avec les États-Unis ? Un durcissement encore plus grand de l'opposition à toutes les formes d'un extrémisme religieux inspirateur de multiples déviances ? Une gestion plus saine et conséquemment une meilleure répartition des richesses ? Une fermeté accrue au niveau de la sécurité aussi bien au plan interne qu'aux frontières ? Tout cela à la fois, certes. Mais aussi, car il en est temps, davantage d'imagination pour accompagner un monde passé désormais à la vitesse supérieure.
« Quoi que je fasse, je ne serai pas capable de vous donner ce que vous méritez », a tweeté Salmane à l'adresse de son peuple. Sage et combien nécessaire précaution. Un tweet, avez-vous dit ? Décidément, il y a quelque chose de changé au royaume des Saoud...
* Lire, ou relire, « Le loup et le léopard » de Jacques Benoist Méchin, éd. Albin Michel (réédité en 2014)
commentaires (3)
Le limogeage du chef de la police religieuse est vraiment surprenant. Abdel-Lattif Al ash-Sheikh était un modéré qui avait mis fin à bien des abus de la part de membres zélés du Comité... Espérons que son successeur marchera dans ses pas.
Ashjian Andreas
19 h 51, le 31 janvier 2015