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Lifestyle - La mode - Haute couture

Dans une féerie onirique, l’hommage d’Élie Saab à Beyrouth

Quand Élie Saab a lancé la rédaction de son texte d'inspiration, sa collection haute couture printemps été 2015, présentée mercredi 28 janvier à Paris, au Théâtre national de Chaillot, était loin d'être prête. Mais l'inspiration du grand couturier était là, tangible, fébrile, précise, obsédante.

« Je voudrais, m'a confié le couturier, qu'en sortant de ce défilé, la presse oublie Élie Saab pour ne parler que de Beyrouth à son âge d'or, de Beyrouth à sa résurrection et des femmes exceptionnelles qui ont porté Beyrouth à bout de bras pour faire rayonner cette ville bien au-delà de sa dimension réelle. ». À ce stade, il importait peu que l'on parle de robes. Élie Saab en était à ce moment d'une carrière exceptionnelle où l'on se tourne vers la source, non seulement pour mesurer le chemin parcouru mais pour exprimer sa gratitude.
Né en 1964, le futur créateur n'avait pas 10 ans quand la guerre du Liban a éclaté. Mais il garde de ses premières années des souvenirs enchantés, nimbés des couleurs et des parfums d'une ville méditerranéenne où la vie était douce et les femmes incroyablement belles. Son envie de « faire des robes » date déjà de cette époque :
« Autour de moi, les femmes de tous les milieux s'habillaient avec élégance et recherche. C'était pour elles une manière d'être au monde, de représenter leur famille et leur pays, de participer à la beauté ambiante. Durant cette période féerique de Beyrouth, une sorte d'instinct me portait déjà à croire que tant que les femmes de mon pays seraient élégantes et belles, mon univers continuerait à être parfait. »

 

Beyrouth, un rêve éternel
Cet « univers parfait » était alors illustré par la mode joyeuse des années 60 à 70, minijupes et jambes légères, couleurs pop et signatures mythiques. À Beyrouth comme dans tout le Liban régnait une inlassable activité sociale et culturelle. Dans le quartier des grands hôtels et ses rues adjacentes, la fête était continue, tant dans l'élégant décor du Saint-Georges réalisé par Jean Royère que dans le luxe à l'américaine du Phoenicia, avec son bar immergé dont les hublots donnaient sur le fond de la piscine. Rue de Phénicie, on passait des soirées orientales du Blow Up animées par Sabah, aux envolées italiennes de Joe Diverio qui menait la danse aux Caves du Roy. L'été animait aussi la montagne et l'arrière-pays. En plus de la revue hallucinante réalisée par Charley Henchis au Casino du Liban, le Festival de Baalbeck attirait une intelligentsia avide de grande musique et de spectacles pointus, mais révélait aussi aux Libanais l'immense talent des frères Rahbani et de leur égérie Fairouz. Ce Festival, initié par le président Camille Chamoun et sa sublime épouse Zalfa sur les ruines des temples de l'Héliopolis romaine, se poursuit jusqu'à nos jours avec le même éclectisme, contre vents et marées. Son comité fondateur était alors représenté par une poignée de femmes iconiques telle Aimée Kettaneh, Salwa el-Said et May Arida qui en est aujourd'hui encore la présidente d'honneur. Consciente de leur rôle d'ambassadrices et de leur devoir d'incarner la valeur de ce festival, ces dames, habillées par les plus grands couturiers, enchaînaient voyages périlleux et nuits blanches sans un pli. À titre d'exemple, May Arida commentant la photo d'un groupe en smoking et robe longue autour d'une table sous les colonnes de Baalbeck : « C'était un petit déjeuner donné par le comité du Festival, pour lequel les invités du bal des Petits Lits Blancs qui avait lieu à Beiteddine s'étaient déplacés après leur soirée, arrivant aux premières heures de l'aube. » C'est donc toute cette époque où le glamour avait toujours le dernier mot qu'Élie Saab a voulu ressusciter et célébrer dans cette collection haute couture dédiée à Beyrouth. Après l'interruption imposée par la guerre, le couturier insiste sur la résurrection de la ville sous l'impulsion du Premier ministre Rafic Hariri. « Beyrouth est un rêve éternel, affirme-t-il, un rêve qui s'évanouit parfois mais revient sans cesse. » Il évoque le concert donné par Fairouz sur l'immense esplanade du centre-ville en reconstruction, et celui donné par Pavarotti sur le site restauré de la Cité sportive. Il évoque aussi la sensibilité et l'élégance de Nazek Hariri, l'épouse du Premier ministre tragiquement disparu, et celle de Mona Hraoui, l'épouse du président Élias Hraoui, deux icônes de cette autre décennie intense de la vie de la ville.

 

Une histoire de tulipes
« Une robe simple, de coupe corolle, très cintrée à la taille, en gazar noir à motif de tulipes », se souvient Élie Saab. Une robe simple sans doute, mais pour l'enfant qu'il était, cette robe fut un événement. Il s'agit d'une tenue que porta sa mère, un soir, au bras de son père, pour sortir dîner dans ce Beyrouth de toutes les fêtes. Combien devait être puissant l'impact de ces tulipes qui ornaient le vêtement pour déterminer aussitôt la vocation d'un petit garçon pour la couture ! Aussi, ce défilé hommage ne pouvait que célébrer, en même temps que la ville qui alimente l'inspiration du couturier, la fleur qui a cristallisé son intuition d'enfant : « Tant que les femmes de mon pays seraient élégantes et belles, mon univers continuerait à être parfait. »
C'est donc dans une émotion palpable, sous une haie de chênes et d'oliviers et les applaudissements soutenus, au premier rang, de Dita Von Teese, Clotilde Courau, Deborah François, Nieves Alvarez, Eugenia Silva, Anouchka Delon et la chanteuse libanaise Elissa, qu'a été révélée la nouvelle collection haute couture Élie Saab printemps-été 2015. On y découvre, déclinées dans une palette de bleu tendre et vert pâle presque gris, rose délicat et ivoire, les couleurs d'une ville surgie d'un rêve d'enfant, matérialisée dans une féerie de plumes et de scintillements. Traduite en motifs immenses sur une robe fluide où la fleur semble une flamme, ou dans cette robe à crinoline démesurée où le motif explose avec la force d'une hallucination sous un voile rebordé de cristaux, la tulipe dégage une telle puissance conjuratoire qu'on en a les larmes aux yeux.

 

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