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Nos Lecteurs ont la Parole - Vatcheh NOURBATLIAN

II. – Vieilles inquisitions, nouveaux barbares

La pensée théocratique qui confond l'ordre de Dieu et le règne de César, et qui est à la source de tout communautarisme et de tout intégrisme religieux, est par nature absolutiste, totalitaire et terroriste (voir L'Orient-Le Jour du mardi 27 janvier 2015).
Elle impose à la société civile et à l'État des dogmes théopolitiques présentées comme des certitudes. Elle met en place un pouvoir transcendant et irresponsable, maître de tout et de tous et responsable en fin de compte de rien. Communautarisme religieux et république laïque sont donc antinomiques et ne peuvent par conséquent coexister. Le vivre-ensemble des communautés religieuses, seul possible et souhaitable dans des États de type fédéral, constitue un mensonge et le mythe destructeur des États nations unitaires. Quant à la dégoulinade de beaux sentiments sur la tolérance entre les communautés, le respect de l'autre, la convivialité, elle ne peut être qu'une pudique feuille de vigne recouvrant la peur d'affronter la réalité : elle ne peut excuser que les reculades, les démissions, la soumission et sublimer l'aplatissement devant la communauté dominante, la plus riche, la plus agressive ou la mieux armée.
Ignorant le statut de la personne autonome ou du citoyen libre, le communautarisme religieux qui se pose en s'opposant aux autres constitue en plus un danger pour ses propres membres. Enclos psychomental et clôture culturelle, le communautarisme impose à ses membres atomisés une identité gluante et engluée, parasitaire, répétitive, ruminante, momifiée et surtout bornée.
En refusant de séparer ses convictions religieuses qui relèvent de la sphère du privé, de ses pratiques politiques qui relèvent de la sphère du public, chaque communauté religieuse enracinée dans la pensée théocratique rêve par conséquent de « kasheriser » ou de « halaliser » son environnement. Et ce évidemment aux dépens de l'intégration dans le tissu national et le respect des valeurs de la République fondée sur l'idée de l'égalité juridique et existentielle entre les citoyens.
Par là même, le communautarisme narcissique des microsociétés ghettoïsées, bloquées, fermées ou renfermées sur elles-mêmes, connu aussi sous la plaisante appellation du « multiculturalisme », est condamné à devenir un bouillon de culture infect et à provoquer à la longue, en semant les germes de la discorde, l'éclatement inéluctable de l'État national et de la république laïque, comme cela s'est vu au Kosovo.
Il est vrai que les croquis satiriques des dessinateurs de Charlie Hebdo, par nature anarchistes et ne reconnaissant « ni Dieu ni maître », manifestaient l'irrespect systématique ou l'irrévérence permanente envers les symboles de tous les pouvoirs d'ordre temporel, céleste ou religieux et ne craignaient par conséquent ni l'offense ni le blasphème, délits que les républiques laïques ignorent a priori. Le vrai crime de Charlie, qui sombrait parfois dans la porno caricature, a été de ne pas mentionner en tête de ses couvertures : « Journal contenant des images choquantes, strictement interdit de vente et de lecture aux mineurs et aux âmes sensibles, aux armées de Yahvé, aux soldats de Jésus et aux guerriers d'Allah ».
Quoi qu'il en soit, la tuerie de Charlie Hebdo par des terroristes « islamistes » trahit, au-delà de ses connotations rituelles et religieuses, l'absolutisme des communautés théocratiques comme elle préfigure les dérives sanglantes des fascismes d'autrefois. Avec des prêches incendiaires et des prédicateurs instillant la haine et la violence contre les « mécréants » et les « chiens infidèles », et certaines mosquées transformées en centre de formation de terroristes/jihadistes, le communautarisme musulman se pose en ennemi salutaire et épouvantail providentiel pour le premier et plus grand parti fasciste et néonazi d'Europe, le Front national de France.
« Il est encore fécond le ventre d'où a surgi la bête immonde », écrivait B. Brecht dans son Résistible ascension d'Arturo Ui. Dans le cadre d'un scénario catastrophe fort plausible et vécu autrefois par l'Allemagne, cette bipolarisation ou cette fracture de la société française constitue un terreau fertile pour la propagation de la peste brune dans le pays de Voltaire : la Ve République et ses dirigeants écrasés assurant les fonctions de la frileuse république de Weimar, le Front national lepéniste jouant le rôle du Parti national socialiste hitlérien arrivé « démocratiquement » au pouvoir en 1933, et la communauté musulmane stigmatisée par les attentats « islamistes » remplaçant celle des juifs transformés en boucs émissaires à partir de 1941.
« Je rends grâce à Dieu, de m'avoir permis de brûler cinq mille hérétiques », confessait Torquemada, le grand inquisiteur de Ségovie, sur son lit d'agonie en 1498.
En refusant d'accorder droit de cité au « Dieu » vindicatif et carnassier des nouveaux inquisiteurs, la marche républicaine du 11 janvier vient rappeler la sacralité de la liberté d'expression et prouve que les dessins des artistes, même les plus délirants, ne peuvent être gommés par les balles des assassins, tout comme les bûchers des anciens inquisiteurs n'avaient pu réduire en cendres les idées des partisans de la libre pensée.
La marche du 11 janvier rappelle aussi que la République laïque et l'État de droit refusent d'avoir une religion officielle. Areligieuse, la République ne saurait être ni irréligieuse ni antireligieuse sous peine de succomber à la tentation totalitaire. Respectueuse et garante des libertés fondamentales et parmi elles la totale liberté de culte ou de croyance, la République laïque affirme cependant que la religion est une affaire de conviction intime, une occupation purement personnelle, et qu'elle ne saurait interférer dans la sphère du public ou investir le champ du politique. C'est pourquoi, tout en renforçant les mécanismes d'intégration des communautés, la République laïque et démocratique devra urgemment s'atteler à la tâche du démantèlement de toutes les structures publiques et des réseaux politiques du communautarisme devenu aujourd'hui le berceau du jihadisme islamiste et le principal pourvoyeur d'hommes du terrorisme.

Vatcheh NOURBATLIAN
Professeur universitaire Ambassadeur du Liban

La pensée théocratique qui confond l'ordre de Dieu et le règne de César, et qui est à la source de tout communautarisme et de tout intégrisme religieux, est par nature absolutiste, totalitaire et terroriste (voir L'Orient-Le Jour du mardi 27 janvier 2015).Elle impose à la société civile et à l'État des dogmes théopolitiques présentées comme des certitudes. Elle met en place un...

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