Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Tous les chats sont gris - Promenade

Balade nocturne avec Akram, le taxi libanais pur-sang

C'est une vie à la fois banale, dans une ville ogresse comptant des milliers de taxis, et extraordinaire par la capacité qu'a eue Akram à créer le buzz en concevant Aziza, le premier taxi « 100 % Liban ».

Il balade son engin dans les rues de Beyrouth, comme un nabab promènerait sa Mazerati dernier cri. Avec une fierté démesurée, certes, mais bien placée tant les regards des passants ne cessent de bondir pendant que Akram Saïd fraye paisiblement son chemin dans cette ville de brutes. Pour faire simple, c'est une voiture de taxi à l'effigie du drapeau libanais. Pour être plus précis, aucune photo, aucune description ne ferait justice à tous les efforts déployés par Akram pour donner naissance à « Aziza ».

Aziza est une Mercedes E-Class, modèle 1980. Aziza est maquillée de blanc, vert et rouge, avec ici et là des dessins de Cèdres du Liban. Son capot est recouvert d'objets insolites à l'effigie du drapeau libanais, son toit et son coffre aussi. Sur les portes sont collées des photos d'un vieux Beyrouth. À l'intérieur, sur les sièges en vieux cuir, est également esquissé le drapeau libanais. L'intérieur est un drapeau libanais géant. En fait, Aziza est une femme libanaise, emmitouflée dans le drapeau national, précise son fier conducteur dont toutes ces années passées à Beyrouth n'ont pas réussi à effacer l'accent de la Békaa de son cœur.

Sur un coin de la rue Hamra, on monte à bord de Aziza. Dedans, l'odeur tenace de gasoil se mêle aux senteurs écœurantes d'un désodorisant de voiture. Peu importe, on apprécie le souci du détail. Tube pop local (bien entendu) craché à plein volume par un instrument suspect posé en équilibre sur le tableau de bord, mais qui peine à couvrir la voix du conducteur. Akram Saïd a le sourire dans la voix. Il parle avec un accent chantant et pointu, un rien suranné.

La Corniche. Le chauffeur nous raconte la naissance de Aziza. « Je travaillais à Beyrouth depuis cinq ans déjà. L'idée de Aziza m'est venue du ciel », dit-il en détachant ses syllabes. Un jour de fête d'Indépendance, il y a deux ans, Akram décide de déguiser sa voiture chérie en Liban, son Liban qu'il aime tant. De l'attention, de la rigueur, de la précision, un peu de fantaisie et beaucoup d'amour ont donné naissance à cette version folle et tricolore de la Mercedes la plus commune de Beyrouth. « J'avais une passion, mon pays. Maintenant j'en ai deux : le Liban et ma Aziza », fredonne Saïd. Il chante, à tue-tête, on est au feu rouge, les vitres closes, mais on a l'impression que tout le monde entend. En tout cas, ce qui est certain, c'est que tous les regards s'interpellent à notre passage. Surpris, amusés, des jeunes sortent même leurs smartphones pour une photo. Comment Akram vit-il cette notoriété ? « L'argent ne m'importe pas. Je suis content de trimbaler un peu de ce pays que j'aime, de rappeler aux citoyens que rien ne compte à part notre Liban... »

Le Ring. On se demande comment une carcasse pareille, tellement chargée, peut aller aussi vite. On dirait qu'elle a des ailes. L'intérieur est si coloré, notre conducteur si vif, qu'on a tout d'un coup l'impression que tout ce qui nous entoure est d'une grise morosité. C'est un drôle de sentiment, Aziza nous (re)fait aimer Beyrouth. Dans la voiture d'à côté, un chauffeur de taxi et son client ont l'air de tristes âmes, nous regardant comme si nous étions des animaux de cirque. On traverse le croisement de Tabaris dans notre fiacre, hilares. Akram assure que tous les policiers de Beyrouth connaissent sa voiture. À chaque fois qu'il passe, on a l'impression que Aziza leur lance : « Faites l'amour pas la guerre. » Le conducteur se retourne. Il nous explique que son secret, c'est qu'il connaît par cœur, sur le bout de ses rétines joviales, chacune des ruelles de cette ville, chaque raccourci surtout. Qu'il pourrait, les yeux bandés, nous emmener dans chaque « heker w beker » de Beyrouth.

La descente Akkaoui. Les freins sont aussi solides que leur conducteur. Akram Saïd ne travaille que de nuit, à partir de dix-huit heures. Pourtant, tous les jours, il fait l'aller-retour vers chez lui, à la Békaa, car « je ne dors nul part ailleurs que dans mon lit » insiste-t-il. Akram sait faire. Engager la conversion, trouver le mot juste, faire rire. « Plus le client est timide, plus j'ai envie de le titiller », confie l'homme farfelu. Akram n'a pas le temps de chômer : les clients se succèdent et, autour du véhicule, on agite le bras dans l'espoir de grimper sur la banquette arrière du plus insolite des taxis de la ville. Des locaux, des touristes, Aziza les rend tous dingues... La routine ? C'est les vagues de clients tout au long de la soirée. Cela commence avec ceux qui rentrent du boulot, du cinéma ou du restaurant. Après minuit, ce sont les fêtards qui vont dormir ou commencent à sortir.

Gemmayzé. On arrive à bon port, il nous interdit de descendre. Il va ouvrir la porte. Il nous remercie, plusieurs fois. Et pourtant la belle course, c'était pour nous. Conduits par un chic type, comme dans le bon vieux Beyrouth qu'on ne connaît pas ou plus.

 

Lire aussi
Les démons de janvier, les démons de minuit

Bien au chaud, alors que Zina s'éclate dehors

Cinquante nuances d'un 31 décembre libanais

Elle s'est préparé un très joyeux Christmust (suite et fin)

Elle s'est préparé un très joyeux Christmust

Il balade son engin dans les rues de Beyrouth, comme un nabab promènerait sa Mazerati dernier cri. Avec une fierté démesurée, certes, mais bien placée tant les regards des passants ne cessent de bondir pendant que Akram Saïd fraye paisiblement son chemin dans cette ville de brutes. Pour faire simple, c'est une voiture de taxi à l'effigie du drapeau libanais. Pour être plus précis, aucune...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut