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Liban - Claudia PRETI

Barrage de Hammana : un génocide programmé de sang-froid

Le Conseil d'État, qui a donné un premier avis sur le barrage de Janneh, doit statuer incessamment sur le sort du barrage de Hammana.

La falaise de Chaghour.

L'histoire du barrage de Hammana-Qaissamani, dès l'instant de sa conception, révèle toute une série de manquements, d'irrégularités, de mensonges et de négligences.
L'emplacement d'origine du barrage se trouvait à Qaissamani même. Il fut ensuite déplacé sur la plaine de Meghiti qui surplombe le village de Hammana sans explications ni consultations des habitants. Or il apparaît que ce barrage et son bassin de retenue d'eau d'une capacité d'un million de mètres cubes seront construits juste au-dessus de la nappe phréatique de Chaghour, qui alimente en eau potable les villages se trouvant sous la nappe. Cela, dans le meilleur des cas, diminuera de 59 % le débit de la source de Chaghour, voire ira jusqu'à son assèchement total et la désertification de toute la région.
Une première mondiale dans l'histoire moderne de la construction des barrages qui démontre l'inexistence d'une quelconque étude hydrogéologique sérieuse. Une idée brillante du précédent ministre de l'Énergie et de l'Eau, qui a reçu l'agrément du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), et dont l'étude et l'exécution ont été confiées à la société Liban Consult AGM, celle-là même chargée de l'étude et de la supervision de la construction du barrage de Chabrouh qui souffre de problèmes notoires ! Tout cela en dépit de l'opposition farouche du directeur général du ministère de l'Eau Fadi Comair et de nombreux experts.

 

Risque de pollution, sol friable et failles
Selon les études faites par d'éminents professeurs dont sept experts de l'Université américaine de Beyrouth, Wilson Rizk et Antoine Jaber, la construction de ce barrage serait de nature à causer trois problèmes majeurs : la pollution de l'eau, la nature géologique et hydrogéologique des sols ainsi que les failles.
Le risque le moins grave qu'encourra la région suite à la réalisation de ce projet est celui de la pollution et ses conséquences sanitaires. Afin d'assurer l'étanchéité du bassin (ce qui est pratiquement impossible), les concepteurs comptent recourir au « béton bitumineux ». Ce matériau plastifié, encore à l'étude au sein de l'Union européenne (UE), est hautement sensible aux variations de température. Il se désagrège sous l'effet des rayons solaires et de la chaleur, causant une pollution soupçonnée d'être hautement cancérigène (Rappelons que le principe de précaution n'avait pas été appliqué quand a éclaté le scandale de l'amiante !). Les risques augmenteront avec l'accumulation des sédiments et l'apparition des algues. Nous avons déjà constaté comment le barrage et le lac de Qaraoun sont devenus un poison à ciel ouvert. Ce barrage de Hammana-Qaissamani non seulement n'alimentera jamais en eau potable les 35 villages pour lesquels il est destiné, mais polluera, par infiltration, la nappe phréatique et la source de Chaghour, rendant les deux réservoirs et l'eau souterraine emmagasinée impropres à la consommation humaine.


D'autre part, la nature du sol est karstique, c'est-à-dire composée de roches solubles dans l'eau et fracturées, principalement du calcaire. Le karst est d'une nature friable et poreuse qui permet les infiltrations rapides dans le sol et les écoulements de l'eau (torrents et boue). Au-dessous de ce calcaire viennent se superposer des couches de grès, d'argile, de basalte et de marnes. De nombreuses fractures, affaissements et trous (dolines) dus à l'effondrement de cavités souterraines proches de la surface de la terre sillonnent la plate-forme. La falaise de Chaghour ainsi que les deux autres falaises qui entourent Hammana forment un édifice fragile et instable, une « masse en mouvement » (selon le très respectable GeoScienceWorld). Nous sommes donc face à un risque majeur de liquéfaction des sols ou d'effondrement complet de la falaise, de la plaine et des collines environnants. Par conséquent, la plaine de Meghiti ne peut, en aucun cas, supporter le poids additionnel d'un million de tonnes d'eau et de 1,3 millions de tonnes de structure bâtie.


Pour couronner le tout, l'emplacement du barrage se trouve au croisement de la faille de Yammouneh qui traverse le Liban et de nombreuses autres failles plus petites comme celles de Falougha et celle de Dahr el-Baydar. Des mouvements de masse majeurs dus à des séismes ont déjà été observés par le passé, notamment en 1924, 1956 et 1984. Selon le Centre d'études géophysiques de Bhannès, relevant du Conseil national de la recherche scientifique (CNRS), une forte activité tectonique est observée dans la région, ce qui en fait une des zones les plus dangereuses du Liban. Pour les seules années 2012-2013, cinq séismes allant d'une magnitude de 4,5 à 5,2 sur l'échelle de Richter y ont été enregistrés.

 

Des études qui manquent de sérieux
Or tous ces facteurs ainsi que les études de stabilité et les paramètres pour les fondements et la perméabilité n'ont pas été sérieusement développés dans le projet présenté par Liban Consult, et qui n'en a pas moins été agréé par le ministère de l'Énergie et de l'Eau.
Face à ces corrélations redoutables, nous sommes dans l'obligation d'envisager la pire des catastrophes : soit le risque potentiellement important de la rupture pure et simple du futur barrage, qu'elle soit due à un ou plusieurs séismes (prévisibles par ailleurs) ou à une rupture, comme dans le cas du barrage de Malpasset en France, imputée tant à la mauvaise qualité des sols qu'a la présence de failles. Un autre scénario, bien pire, serait celui de l'effondrement sous le poids de la structure bâtie et du bassin rempli, inondant la plaine de Meghiti, la falaise de Chaghour et la nappe phréatique, provoquant des vagues géantes ou un tsunami. Les conséquences seront alors incalculables, nul ne pouvant prévoir la puissance de la vague, la masse d'eau et celle des roches précipitées le long du fleuve de Beyrouth et engloutissant tout sur leur passage.
Un précédent, comparable tant par la nature hydrogéologique des sols que par les caractéristiques sismiques, a eu lieu en Italie le 9 octobre 1963, quand 260 millions de mètres cubes de rochers de montagne se sont écroulés dans le lac artificiel retenu par un barrage construit à Vajont dans la région de Venise. Deux vagues gigantesques ont balayé les villages en aval. Le bilan était de deux mille morts.


Lors de notre enquête et après lecture de tous les documents en notre possession, il nous est apparu que :

1. Le ministère de l'Énergie et de l'Eau et le CDR ont engagé un emprunt de 21 millions de dollars pour financer ce projet auprès du « Kuwait Fund for Arab Economic Development » (KFAED), en dépit du manque d'études sérieuses, tant sur les plans sismique, hydrologique, hydrogéologique, écologique, économique ou social. Les chiffres sont flous : le coût de la construction varie, selon différentes sources, entre 21 et 25 millions de dollars et celui des expropriations entre 8 et 10 millions de dollars (200 000 mètres carrés). Il est sûr, cependant, que le coût du mètre cube d'eau est passé allègrement de 19 dollars (projet initial) à 33 dollars !


2. Plusieurs violations flagrantes des lois et des décrets qui régissent le travail des ministères de l'Environnement et de l'Énergie, entachent ce projet :
- L'article 1 de la loi n° 221 sur l'organisation de la réglementation du secteur de l'eau, publiée le 25 mai 2000, qui considère la protection des ressources naturelles de l'eau et de son développement, relevant de la catégorie de la protection et la préservation de l'équilibre de l'environnement, et donc considérée comme une question d'utilité publique.
- Le décret 646 du droit de la construction publié le 11 décembre 2004, qui stipule expressément que les phases de la construction, l'occupation et même la démolition des bâtiments doivent être en conformité avec les principes de la protection de l'environnement et de la durabilité des ressources naturelles (eau, air, terre et organismes vivants), tels que définis dans la loi (code de l'environnement) numéro 444 en date du 29 juillet 2002, et spécifiquement du décret 8633 (qui régit les études d'impact environnemental).
- Le décret 14293 du 11 mars 2005, qui définit les conditions pour assurer la sécurité publique dans les bâtiments, les installations en tenant compte des risques de tremblement de terre.


3. La construction de ce barrage n'a pas pris en compte l'existence de la nappe phréatique de Chaghour ni l'existence de très nombreuses sources et poches d'eau inexploitées – ou, pour certaines, exploitées au profit de particuliers. Il existe des solutions de rechange à un coût beaucoup moins élevé, respectueuses de l'environnement et de la vie, qui pourraient alimenter généreusement en eau potable et pour l'irrigation tous les villages concernés. Une étude menée par Samir Saaditi proposait, par exemple, le forage d'un puits au-dessous de Hammana à une profondeur de 450 mètres. Équipé d'une pompe, ce puits pourra alimenter les villages alentour à raison de 12 litres/seconde.Une autre proposition, faite par Antoine Jaber, est de recueillir l'eau cent mètres plus bas, dans le fleuve du Chaghour : l'estimation de la disponibilité hydraulique y est de plus de 5 millions de mètres cubes d'eau pure et renouvelable. Cette estimation, faite d'après des études réalisées par le ministère de l'Énergie et de l'Eau, a été confirmée lors d'une réunion à Bkerké, le 28 janvier 2013, sous l'égide et en présence du patriarche maronite Béchara Raï, et par les conseillers mêmes de l'ancien ministre, Ziad Makhoul et Antoine Kehdy. Ceux-ci avaient précisé que cette eau gaspillée allait directement à la mer.


Alors même que les travaux sont à peine entamés, la montagne a bougé et de nouvelles fissures sont apparues dans la plaine de Meghiti. La première conséquence directe, suite aux pluies de ces dernières semaines, a été la contamination de la nappe phréatique de Chaghour par la bactérie E. Coli (analyse de la qualité de l'eau par les laboratoires Ghorra). Un accident bien plus grave aura-t-il lieu plus tôt que prévu par les experts ? Qui en assumera la responsabilité ?

 

« Tout le monde savait, personne n'a bougé »
Au cours de l'année 2013, les responsables du ministère de l'Énergieet de l'Eau, dont les propres conseillers du ministre ainsi que les représentants du CDR, du Fonds koweïtien et de Liban Consult ont eu l'outrecuidance de traiter avec beaucoup de légèreté les inquiétudes des habitants de Hammana, ainsi que l'atteste la correspondance de la municipalité de Hammana avec le CDR datée du 13 décembre 2013, dont une copie a été envoyée au président de la République le 5 janvier 2014.
Janvier 2015 sera donc une date décisive, celle de l'issue du combat entre David et Goliath, entre intérêts personnels, d'une part, et les principes d'humanité et de justice, d'autre part. Ce sera le choix entre la vie ou la mort programmée.

Claudia PRETI
Vice-présidente de « Machrou' Watan /Nation Initiative »

 

 

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commentaires (3)

Évidemment ! Au moins à quatre-vingt dix pour cent....

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

15 h 18, le 24 janvier 2015

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Évidemment ! Au moins à quatre-vingt dix pour cent....

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    15 h 18, le 24 janvier 2015

  • QUI A ÉTUDIÉ ? QUI A SOUMIS ? QUI A DÉCIDÉ ? ET QUI ET POURQUOI L'ON ROUSPÈTE SANS ÉTUDE... SANS SOUMETTRE... ET SANS CONVAINCRE OU POUVOIR DÉCIDER ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 31, le 23 janvier 2015

  • Pauvre Liban!!!!!!!!!!!!!!!!

    Beauchard Jacques

    11 h 31, le 22 janvier 2015

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