Quand des voix s'élèvent pour suggérer que « ce serait bien si demain tous les journaux s'appelaient Charlie Hebdo », la tentation est forte d'adhérer, d'autant plus que l'attaque barbare dont a été victime la rédaction de l'hebdomadaire satirique représente pour la France et le monde un séisme semblable à celui du 11 septembre 2001. Le dessinateur hollandais Ruben Oppenheimer ne s'y est pas trompé. En dessinant deux grands crayons vert fluo érigés dans un ciel que traverse un vague avion, il montre bien que les crayons de Charb, Cabu, Wolinski, Tignous et Oncle Bernard sont autant de tours abattues par l'obscurantisme. Signe des temps, le secrétaire d'État américain John Kerry a lâché un mot, familier pour nous, nouveau pour l'Occident. Il a dit : « Les journalistes assassinés sont des martyrs de la liberté. » Vous avez bien lu « martyrs ». Quand le vocabulaire change, c'est signe que toute une batterie de valeurs est en train de changer. Lors d'un rassemblement à Paris en solidarité avec Charlie Hebdo, une dame a appelé ceux qui n'avaient pas de pancarte à brandir leur stylo. À Beyrouth, ce geste a réveillé le souvenir de Gebran Tuéni, de Samir Kassir, de l'attentat contre May Chidiac. Le mot martyr, qui signifie témoin et que toute personne rationnelle hésite à utiliser en raison de sa connotation mystique, entre donc dans les mœurs occidentales. Ouverte chez nous depuis plusieurs décennies, l'ère des religions est désormais béante dans le reste du monde. Houellebeck, sur le ton désabusé qui est le sien, constatait à l'occasion de la sortie de son roman Soumission que l'athéisme n'était plus une notion supportable. Les cieux se repeuplent donc, faut-il croire, et ce siècle s'annonce décidément sans humour.
L'attentat contre Charlie Hebdo survient au cœur du débat français autour de la laïcité et de la légitimité des crèches de Noël, en pleine ascension du Front national. Les brillants anarcho-gauchistes que sont les victimes de l'attaque dénonçaient inlassablement les dérives liberticides de l'islamisme. S'ils faisaient du bruit, malgré un lectorat de niche et un journal qui essayait de survivre sans publicité, c'était grâce à leur liberté d'expression qui frisait l'insolence, leur sens aigu de la formule, leurs images qui valaient des milliers de mots. Tignous, par exemple, avait réalisé un dessin prémonitoire montrant le doigt de Dieu pointé sur un islamiste avec cet argument imparable : « Je suis assez grand pour défendre Mahomet tout seul. Compris? » Apparemment pas compris. Reste à prouver quelle partie malveillante, quels services secrets diaboliques pourraient se cacher derrière les grossiers « Allah Akbar » entendus par les témoins. Nous ne connaissons que trop, nous autres Libanais, ces procédés pervers qui visent à radicaliser les plus modérés.
Paix à leur âme, puisque, martyrs, ils méritent d'en avoir une; leur mort nous bouleverse et bouleverse le monde. Elle nous rallie derrière cette belle exception culturelle française qui accepte que toute vérité soit bonne à dire tant qu'elle est dite avec intelligence et courage, tant qu'elle permet d'approfondir réflexions et débats. Dans ce deuil, nous sommes tous Charlie.
Je suis Charlie
OLJ / Par Fifi ABOU DIB, le 08 janvier 2015 à 00h00
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JE SUIS CHARLIE « Je préfère mourir debout que vivre à genoux » déclarait CHARB Soldat de la Liberté mort en Martyr sous les balles du fanatisme et de l’obscurantisme. CHARB se savait perpétuellement menacé, toutefois il n’avait pas choisit un mode de vie austère limitant son exposition. Il avait décidé de bannir la peur et tromper la mort ; mais par lucidité il évoquait fréquemment sa fin proche. Ceux qui trouvent une quelconque justification pour légitimer ce drame, tuent une seconde fois les douze victimes et contribuent à cette apologie qui vise à amalgamer musulmans vivant dans le présent et ceux qui se nourrissent de la haine. Le Leitmotiv « JE SUIS CHARLIE » est dorénavant le nouveau slogan de la liberté de la presse à une échelle mondiale. A défaut de tuer Charlie les exécuteurs se réclamant d’Al Quaida ont réussit à le rendre à jamais immortel.
ANDRE HALLAK
21 h 19, le 09 janvier 2015