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Moyen Orient et Monde - commentaire

Les chrétiens en voie de disparition dans le monde arabe

Pierre Andrieu/AFP

Cette année, comme chaque année, des milliers de pèlerins et de touristes vont se rendre au Proche-Orient pour célébrer Noël au pays de la Bible. À Bethléem, le lieu de naissance de Jésus, le patriarche latin de Jérusalem donnera une messe de minuit, alors qu'en Syrie (où certains chrétiens parlent encore des dialectes issus de l'araméen, l'ancienne langue de Jésus), les cérémonies risquent de se faire plus discrètes, voire d'être interrompues par les dangers d'une guerre qui déchire le pays.

À l'heure où le Moyen-Orient est aux prises avec des conflits intercommunautaires, la célébration de la fête chrétienne rappelle tristement à quel point la diversité religieuse, ethnique et culturelle distinctive de la région disparaît rapidement. Au début du XXe siècle, les chrétiens représentaient environ 20 % du monde arabe. Dans certaines zones (au sud de l''Égypte, dans les montagnes du Liban et dans le sud-est de l'Anatolie), ils ont formé une majorité absolue. Aujourd'hui, seulement 5 % du monde arabe est chrétien, et beaucoup de ceux qui restent sont en train de le quitter, chassés par les persécutions et la guerre.

Les juifs, qui représentaient autrefois eux aussi une présence vitale dans des villes comme Le Caire, Damas et Bagdad, ont tous disparu des régions majoritairement musulmanes du Moyen-Orient. Ils se sont installés en Israël, en Europe et en Amérique du Nord. Même dans les communautés musulmanes, la diversité est en baisse. Dans des villes comme Bagdad et Beyrouth, les quartiers mixtes ont été homogénéisés, les sunnites et les chiites cherchent à se protéger des attaques intercommunautaires et de la guerre civile.

Ce déclin de la diversité au Moyen-Orient remonte à plus d'un siècle, depuis les périodes de nettoyage ethnique et religieux sous l'Empire ottoman jusqu'au meurtre et au déplacement de 1,5 million d'Arméniens et de chrétiens syriaques en Anatolie orientale. Après l'effondrement de l'empire en 1918, la montée du nationalisme arabe a placé la langue et la culture arabes au centre de l'identité politique, privant ainsi de leurs droits de nombreuses ethnies non arabes, dont les Kurdes, les juifs et les syriaques. De nombreux Grecs qui vivaient en Égypte depuis des générations ont perdu leurs moyens de subsistance dans les années 1950, quand le président Gamal Abdel Nasser, grand porte-étendard du panarabisme, a nationalisé les industries et les entreprises privées. D'autres ont été finalement contraints de fuir le pays.

La montée de l'islam politique après la guerre israélo-arabe des Six-Jours en 1967 a porté un autre coup aux minorités religieuses. En favorisant le renouveau islamique comme solution aux maux de la région, l'islamisme a conduit à la marginalisation des non-musulmans, y compris les groupes qui ont pu jouer un rôle considérable dans la vie économique, culturelle et politique de la région pendant des siècles. Ainsi en Égypte, les chrétiens ont fait face à une dure discrimination sociale et à des actes de violence, parfois de la main même de l'État qui est en théorie laïque.

Les révoltes du printemps arabe ont donné lieu à de nouveaux défis sérieux pour la diversité culturelle et religieuse au Moyen-Orient. De nombreux régimes autoritaires, désormais sous la menace d'un effondrement, cultivaient le soutien des minorités. Cela était particulièrement vrai en Syrie, où le parti Baas, dominé par les alaouites, avait renforcé ses liens avec les communautés chrétiennes et d'autres petites communautés en se présentant comme un rempart de laïcité et de stabilité face à une majorité sunnite réputée menaçante. Maintenant que les sunnites de Syrie se sont révoltés contre leurs dirigeants alaouites, la loyauté des chrétiens envers le régime est devenue une responsabilité, voire un danger. Dans certaines régions, les chrétiens sont considérés comme des complices de la répression brutale menée par le gouvernement, qui les prend pour cibles.

La montée de l'État islamique l'an dernier a suscité encore plus de violence envers les minorités. Guidé par une idéologie wahhabite intégriste et un appétit sans bornes pour les effusions de sang, l'État islamique cherche à retourner vers un califat prémoderne imaginaire, qui subjugue les chiites et traite les non-musulmans comme des citoyens de deuxième ordre. Lorsque l'État islamique capture une ville, ses combattants donnent aux chrétiens le choix de verser l'impôt médiéval appelé jizia, de se convertir à l'islam ou d'être tués. La plupart préfèrent tout simplement s'enfuir.
Les yazidites du nord de l'Irak (dont la situation désespérée sur le mont Sinjar a été beaucoup médiatisée l'été dernier) ont encore moins de chance. L'État islamique les considère comme des païens et donc comme indignes des protections traditionnellement accordées aux chrétiens ou aux juifs sous la loi islamique. Ainsi, de nombreux yazidites ont été assassinés ou réduits en esclavage.

En plus de persécuter les minorités, l'État islamique a décidé d'effacer toute trace physique de diversité religieuse. Ses armées ont démoli des sanctuaires soufis, des mosquées chiites, des églises chrétiennes et des monuments anciens, considérés comme des vestiges d'un passé profane et corrompu.
La protection par les gouvernements occidentaux des minorités ethniques et religieuses dans la région est une question controversée depuis plus d'un siècle, et cette situation est toujours la même aujourd'hui. De nombreux sunnites par exemple taxent l'Amérique de favoritisme : selon eux, les États-Unis interviennent pour protéger les Kurdes, les yazidites et les chrétiens dans le nord de l'Irak, mais font peu de choses pour arrêter le massacre de centaines de milliers de sunnites en Syrie. En fait, l'histoire américaine compliquée des relations entre l'Église et l'État chez eux rend les États-Unis réticents à intervenir en faveur de n'importe quel groupe religieux à l'étranger, en particulier si la population est peu nombreuse.

La fin de la diversité au Moyen-Orient est une tragédie non seulement pour ceux qui sont morts, ont fui ou ont souffert. Par leur absence, la région dans son ensemble va se trouver dans une situation encore pire. Les minorités ont historiquement servi d'intermédiaires entre le Moyen-Orient et le monde extérieur, et si elles disparaissent, la région va perdre une classe importante de leaders culturels, économiques et intellectuels.
La façon dont une société s'occupe de la diversité ethnique et religieuse peut nous en apprendre beaucoup sur sa capacité à négocier les différends et à transformer le pluralisme du statut de handicap en celui d'atout. La diversité est pourtant tenue trop souvent pour une source de faiblesse au Moyen-Orient. Elle devrait être considérée comme une force. Une force qui vaut la peine d'être protégée.

© : Project Syndicate, 2014.

Christian C. Sahner a publié tout dernièrement « Among the Ruins : Syria Past and Present ».

 

 

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commentaires (3)

Nous devons TOUS tout mettre en oeuvre pour que cela n'arrive jamais et que les chrétiens qui ont été contraints au départ, reviennent sur les terres de leurs aieux. Un des meilleurs moyens pour ce faire uajourd'hui, c'est d'aider la Syrie et par conséquent les autres pays de la région, à garder son intégrité territorial sous le controle de l'état laic, en l'occurrence présidé par monsieur Assad, et en dépit de qui gouvernerait cet état par la suite.

Ali Farhat

16 h 22, le 24 décembre 2014

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Commentaires (3)

  • Nous devons TOUS tout mettre en oeuvre pour que cela n'arrive jamais et que les chrétiens qui ont été contraints au départ, reviennent sur les terres de leurs aieux. Un des meilleurs moyens pour ce faire uajourd'hui, c'est d'aider la Syrie et par conséquent les autres pays de la région, à garder son intégrité territorial sous le controle de l'état laic, en l'occurrence présidé par monsieur Assad, et en dépit de qui gouvernerait cet état par la suite.

    Ali Farhat

    16 h 22, le 24 décembre 2014

  • Il faudra arrêter de pleurer un jour et d'agir un peu plus ! nos compatriotes chrétiens ont aussi fait des choix dans leurs vies , ils n'étaient pas toujours les bons ! nous dire les juifs au Caire etc... ont disparu mais ont eu leur pays par la suite c'est aller vite en besogne comme comparatif ! ce que les chrétiens ont fait de plus grosses erreurs c'est d'avoir cru aux illusions que les occicons allaient de tout temps les protéger et couvrir leurs choix politiques , comme une tentative d'alliance avec les juifs en croyant répéter leur expérience au Liban . Aujourd'hui soit les chrétiens se sentent chez eux et ils s'impliquent de façon historique soit ils continueront à pleurer chaque année les occasions ratées de leurs dirigeants tout autant ratés , excepté le phare Aoun !

    FRIK-A-FRAK

    13 h 31, le 23 décembre 2014

  • IL N'Y A QU'À FAIRE LES STATISTIQUES POUR CHAQUE PAYS ARABE... IRAQ, SYRIE, JORDANIE, LIBAN, EGYPTE, SOUDAN DEPUIS 1910 ET JUSQU'AUJOURD'HUI POUR CONSTATER L'AMPLEUR DU MAL !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 15, le 23 décembre 2014

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