Rechercher
Rechercher

Culture - Tribune

Le monde arabe et la danse, conflits de préjugés

L’équipe, au grand complet, de l’émission « So You Think You Can Dance ».

Si on ne s'en tenait qu'aux façades, tout semblerait brillant. La Compagnie Caracalla au Liban, Enana en Syrie, Les ballets de l'Opéra du Caire, le Modern Dance Theatre de Walid Aouni attaché à ce même opéra, la compagnie Fire of Anatolia en Turquie (surtout pour les touristes), les troupes de danses folkloriques de certains pays arabes, etc. Mais la danse dans cette région du monde a toujours été aux premières lignes des guerres contre les préjugés
sociaux.

Certains disent que la danse est « haram », tout simplement. Et il y a des illuminés un peu partout dans la région qui le pensent avec grande conviction. La dernière preuve fut la fermeture de l'Opéra du Caire sous le régime des islamistes, ainsi que tous les théâtres. Même les danseuses dans les mariages, tradition centenaire, étaient interdites. La dernière résistante, la danseuse et actrice Fifi Abdo, a été menacée de mort et on a essayé de torcher son bateau-théâtre. Mais depuis, tous ont repris leurs programmes de danse sous le nouveau régime. Même Alexandre Paulikevitch y est retourné pour ses workshops de danse orientale !
Depuis, aussi, les soubresauts d'hypocrisie et les miasmes de la moralité se sont mêlés à l'émission de danse orientale sur la chaîne égyptienne al-Qahira Wal Nass, intitulée Al-Raqissa (La danseuse), qui a été maintes fois déprogrammée, puis reprogrammée pour des raisons « morales ». Médias libres et islamistes ont trouvé un
nouveau front de combats.

Certains régimes ont indirectement toléré les spectacles de chants et de danses folkloriques sous la bannière de la résurrection culturelle du pays, à condition qu'hommes et femmes dansent séparément. En Arabie saoudite, au festival de « Janadriah », qui glorifie le régime, seuls les hommes peuvent présenter des danses traditionnelles bien « masculines », couverts de la tête aux pieds, en brandissant les épées, et le spectacle est réservé aux hommes uniquement. Nouveauté : il a fallu un décret pour retransmettre les célébrations à la télévision ! Les femmes s'en rinceraient les yeux par écran interposé !

Certaines chaînes de télévision interdisent tout simplement la danse, y compris au Liban, pour sauvegarder la morale et éviter l'éveil des sens, grand travail du diable. La résistance a été proclamée sur les autres chaînes jusqu'à pousser le bouchon trop loin en tombant dans une espèce de vulgarité, représentée surtout par les danseuses orientales allumeuses. Seule survivante de l'espèce « respectable », Amani, star de plusieurs spectacles au Caesar's Palace, ne danse désormais qu'à l'étranger. Les autres sont monnaie courante dans les cabarets de Maamaltein.

Or depuis une dizaine d'années, des émissions télé, dans le style Star Academy, X Factor, Arab Idol, ou autres programmes à la recherche de jeunes chanteurs ont réintroduit, sur les satellites, des danses contemporaines qui accompagnent les chanteurs en herbe. Succès garanti dans les pays arabes. Le chant a pavé la route à la danse. Les vidéoclips ont suivi.

Et voilà qu'arrivent les émissions de grande qualité consacrées aux concours de danse pure et non au chant. Dancing with the Stars et, dernièrement, So You Think You Can Dance, produits par MTV et Janane Mallat (coup de chapeau à ces derniers), ont posé de nouveau le problème. Est-il « halal » que les hommes dansent ainsi, torse nu et en collant ? ! En Égypte, diffusée par al-Nahar et FOX, l'émission a allumé le feu et les fanatiques ont tweeté comme des fous ! Que les femmes se dénudent et se tortillent, c'est bon, mais les hommes ? ! Scandale. Alors on se sert des tabous religieux ou sociaux pour aller en guerre contre tous et toutes. Mais les autres? Ceux qui ignorent la moralité extrémiste, aiment-ils vraiment la danse ? Les émissions des saisons prochaines trancheront. On dit que les Arabes apprécient le chant, mais pas tellement la danse... ces superbes émissions changeront certainement cette vision des choses.

Tout cela pour dire, que le 7 décembre, à la finale de So You Think You Can Dance, un jeune Égyptien et une jeune Libanaise concourraient pour le grand prix ($100 000!). Beaucoup espéraient que le jeune homme gagne, afin de légitimer la place de l'homme dans cette discipline millénaire. Cela aurait été une réponse appropriée aux fanatiques et aurait pavé le chemin aux nouveaux aspirants dans les pays arabes. Le vote du public a tranché autrement, et ce fût la jeune Libanaise qui l'emporta. Mabrouk.

Alors, félicitons tous ces jeunes gens et jeunes filles, et surtout les hommes des pays arabes qui ont bravé les tabous et y ont participé. À l'année prochaine, et espérons que cette fois-ci ce sera un jeune homme qui gagnera. Et la culture par la même occasion.

 

Lire aussi
Jana Younès, la jeune femme qui danse sa vie

Si on ne s'en tenait qu'aux façades, tout semblerait brillant. La Compagnie Caracalla au Liban, Enana en Syrie, Les ballets de l'Opéra du Caire, le Modern Dance Theatre de Walid Aouni attaché à ce même opéra, la compagnie Fire of Anatolia en Turquie (surtout pour les touristes), les troupes de danses folkloriques de certains pays arabes, etc. Mais la danse dans cette région du monde a...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut