En ce matin du 24 décembre 2014, le père Noël reçut dans sa fabrique du pôle Nord une lettre aussi inopinée que bizarre. Elle disait ce qui suit :
Cher père Noël,
Même si je suis un grand gaillard d'adulte usé et désabusé, j'ai pensé t'écrire de mon cœur resté étrangement enfant. La société n'a pas réussi, avec le temps, à m'enlever cette qualité.
À toi, le grand « exauceur » des souhaits d'enfants, je t'adresse ceux qui me tiennent le plus à cœur, ou ceux que mon cœur ne peut plus tenir :
Offre-moi pour tous les enfants du monde, pauvres et riches, chrétiens, musulmans, juifs et autres, la sagesse, la maturité et la libre-pensée chez leurs parents, la chaleur affective et la bonne éducation. Fais que chaque enfant soit entre de bonnes mains... et des mains bonnes. Crois-moi, c'est le plus grand cadeau de Noël que tu puisses leur faire. Ce pourrait même être ton ultime cadeau, qui te dispenserait de faire le tour du monde, peiner et faire peiner les rennes de ton traîneau tous les ans.
Offre-moi pour tous les adultes du monde, divisés en communautés nationales, religieuses, sectaires, raciales, tribales, linguistiques, etc., la tolérance et l'amour. Débarrasse-moi de leurs querelles de territoires, de races, de religions, de langues, de cultures, d'honneur, etc. Donne-moi pour eux un jardin unique dont ils cultiveront la même terre, partageront les mêmes fruits, puiseront à la même source irriguant la même création, peu importe l'identité ou le nom du Créateur. Donne-moi pour tous les adultes qui en ont besoin la paix et la bonté.
Fais-moi une sébile magique pour les mendiants, les nécessiteux, les sans-logis ; une potion magique pour les malades et les infirmes ; une boussole magique pour les égarés ; un compagnon magique pour les solitaires et un aimant magique pour les mal-aimés.
Bannis pour moi de tes cadeaux les jouets guerriers, tout cet arsenal en plastique que le temps convertira en acier. Aux demandes maladroites des enfants, formulées avec la complaisance de leurs parents (et parfois sous leur dictée), répond par des surprises adroites, éducatives, bénéfiques : des livres, des bandes dessinées, des jeux éducatifs, des instruments de musique, des trousses de peinture... en leur disant pourquoi.
Demande à l'enfant riche de soustraire de sa montagne de cadeaux un seul et d'aller l'offrir à un enfant pauvre, pour lui apprendre le sacrifice et la charité.
Élimine pour moi – et pour les pauvres oies qu'on gave – le foie gras des buffets de Noël et les fourrures portées par les fêtardes, pour sauver les pauvres bêtes de la Bête (humaine). Et si tu peux inspirer une répulsion pour les dindes, tu mériteras une prime.
Et pour finir, avant que tout ne finisse au pays du Cèdre, avant que ce cèdre ne devienne aussi artificiel que le sapin de Noël, un élément de décor, aux guirlandes ténébreuses, sur les drapeaux et dans les esprits, fais résonner dans les cœurs tes joyeux Ho ! Ho ! Ho ! pour nous tirer du bas, bas, bas. Éclaire pour nous (et pour eux) les cœurs obscurcis... et obscurantistes. Libère les esprits obtus, cadenassés de fanatisme, d'égoïsme, d'idiotisme, enfermés par le Malin qu'ils prennent pour Dieu. Soulage-nous de ces politiciens ou politicards ; guéris-nous de notre propre confessionnalisme, clientélisme, panurgisme qui nous fait les ramener au pouvoir et les laisser tenir fermement et indéfiniment les rênes comme tu tiens tes rennes. Enfin, préviens-nous, Libanais, de la dérive qui nous entraîne, inexorablement, vers les (re)chutes !
Merci d'avance, père Noël, suprême magicien, de garnir mon pauvre arbre de ces quelques cadeaux.
Signé : L'adulte enfant.
P.-S. Et rappelle aux adultes qui se disent chrétiens que la vedette de Noël c'est le Petit Jésus et pas toi ! Et qu'ils l'enseignent à leurs enfants.
***
Cette lettre laissa le père Noël tout pantois. C'était la première fois qu'il recevait des desiderata pareils, et de la part d'un adulte de surcroît. Mais voyant la pureté et la petitesse de son cœur, il ne pouvait le décevoir, d'autant plus que celui-ci l'a remercié d'avance, qu'il l'a appelé "suprême magicien" et qu'il a même inventé un mot pour lui : "Exauceur" des souhaits...
Mais le poids des demandes étant si lourd, leur réalisation si difficile, voire impossible, et le délai si court (moins de vingt-quatre heures le séparant du jour de Noël), il se sentait dans l'impasse et triturait nerveusement son épaisse barbe blanche à la recherche d'une idée... La seule qui lui vint à la barbe fut de recourir, exceptionnellement, au Grand Maître des cieux. Il se leva, héla les rennes de son traîneau et leur demanda de l'emmener de toute urgence au château céleste. Ceux-ci demeurèrent interdits et quelque peu rétifs, mais un ordre est un ordre.
Arrivé sur les redoutables lieux, il sonna avec insistance au portail. Un gardien à la bure argentée lui ouvrit, tout étonné de cette visite impromptue :
– Père Noël ? Mais, on vous croyait en pleins préparatifs pour la grande nuit.
– Oui, oui, je connais mon travail, mais je dois parler au Grand Maître...
– Mais vous n'avez pas de rendez-vous !
– C'est un cas de force majeure.
– Bon, je vais voir... Attendez un instant.
Le gardien entra dans sa guérite enneigée et, après un interminable moment, il en sortit muni de la bonne nouvelle :
– Le Grand Maître a consenti, en maugréant, à vous recevoir. Veuillez entrer. Vous connaissez le chemin.
Le père Noël se dirigea vers le sanctuaire sacré, autour duquel tournoient des comètes aux longues robes et des albatros aux longs cils. Il emprunta l'invisible pont-levis et pénétra l'impénétrable. Un gnome l'accompagna jusqu'au seuil de la sphère et le laissa seul devant la grinçante porte qu'il ouvrit fébrilement. Au bout de l'univers, un trône étincelait de feux inédits. Le père Noël se dirigea vers l'épicentre en se protégeant les yeux de sa mitaine. La Voix l'apostropha :
– J'espère que le dérangement vaudra la peine humaine, sinon tu écoperas d'heures de charité supplémentaires !
– Ô Grand Maître, une lettre, une lettre pas comme les autres.
– Qu'a-t-elle de spécial, cette lettre ?
– Elle demande l'impossible.
– L'impossible ? Tu sais bien que je t'ai donné le pouvoir d'exaucer tous les vœux des enfants de la terre à Noël...
– Mais les vœux de cette lettre sont trop gros, ma hotte et mon délai de 24 heures ne peuvent les contenir. Et puis, ils ne proviennent pas d'un enfant.
– Montre-moi cette fameuse lettre...
Le père Noël tendit à l'Absolu un papier tremblant...
– Hmmm... en effet, il demande trop. Moi-même je ne pourrais satisfaire ses demandes, ni en 24 heures ni en 24 mois, années... ou même siècles ! On pourrait le disqualifier sous prétexte qu'il n'est pas enfant.
– Mais il est si simple d'esprit. Son comportement est si enfantin ! Vous avez une idée, Grand Maître ?
Un silence grondant se fit entendre. Conscient de sa bévue, il rectifia :
– Oh ! Pardon ! Vous êtes une idée ?
Se voyant aller de mal en pis, il ne trouva mieux que de s'exclamer :
– Idée ?!
La Voix poussa un soupir de lassitude et décréta :
– Donne-lui le rêve.
– Et l'espoir ? On lui donne aussi un peu d'espoir ?
– L'espoir est dans le rêve. Donne-lui le rêve, le rêve éveillé...
Et depuis ce matin du 25 décembre 2014, l'adulte enfant devenait le plus grand rêveur de tous les enfants et les adultes du monde.
Cher père Noël,Même si je suis un grand gaillard d'adulte usé et désabusé, j'ai pensé t'écrire de mon cœur resté étrangement enfant. La société n'a pas réussi, avec le temps, à m'enlever cette qualité.À toi, le grand...
commentaires (3)
Tres beau... Dommage que ce reve ne puisse pas devenir realite!
Michele Aoun
09 h 56, le 20 décembre 2014