Le dossier des militaires enlevés est en train de se transformer en crise existentielle pour le Liban. Le pays tout entier a les yeux fixés sur Ersal et attend des nouvelles concernant le sort des militaires détenus en otage. Mais le plus inquiétant à ce sujet, c'est que nul ne se soucie vraiment des réunions successives de « la cellule de crise » formée par le gouvernement et chargée de traiter le dossier. Comme l'a dit le président de la Chambre Nabih Berry, c'est « une cellule en crise et non une cellule de crise ». Mais au-delà du jeu de mots, cette expression montre bien le cafouillage dans lequel baigne le traitement de ce dossier. Au début, on pouvait croire que le gouvernement a été pris de court et qu'il n'a pas vraiment su comment s'y prendre avec les ravisseurs qui n'étaient pas encore réellement identifiés, mais au bout de quatre mois et demi, l'amateurisme et le tâtonnement ne sont plus permis, d'autant que ce dossier est devenu une menace réelle non seulement pour la paix civile dans la Békaa notamment, mais aussi pour le moral de l'armée qui se sent prise pour cible et humiliée sans pouvoir réagir. C'est encore le directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim, en principe chargé des négociations avec les ravisseurs, qui a le mieux exprimé cet état d'esprit, en disant pudiquement : « Trop de cuisiniers calcinent le plat. » De fait, ceux qui suivent de près ce dossier sont formels : le ministre Waël Bou Faour mène des négociations de son côté, pour obtenir la libération des militaires druzes, le député Jamal Jarrah du bloc parlementaire du Futur a ses propres contacts avec des camps proches des ravisseurs et le Rassemblement des ulémas s'est greffé sur les négociateurs et souhaite obtenir l'exclusivité des tractations. En même temps, les groupes de ravisseurs ont des contacts directs avec les familles des otages et les appellent régulièrement pour les maintenir sous leur coupe dans un jeu d'une cruauté inégalée et inhumaine. D'ailleurs, les services de sécurité ont récemment découvert, après des mois de fermeture de routes et de sit-in, qu'un homme qui se faisait passer pour un cheikh et qui se présentait comme le proche d'un des militaires enlevés était en fait un imposteur dont la seule présence visait à jeter de l'huile sur le feu et à pousser les familles des otages à durcir leurs positions.
C'est dire combien ce dossier est devenu un outil de déstabilisation entre les mains des ravisseurs face à un gouvernement débordé où chaque camp cherche à tirer la couverture de son côté. Même le Qatar qui avait nommé un médiateur a préféré se retirer de ce dossier et mettre un terme à ses efforts parce qu'il a estimé qu'il y avait un manque de sérieux de la part des autorités libanaises. Le gouvernement parle donc d'éléments de force mais ses membres les bradent inutilement dans des négociations parallèles, menées en principe avec de bonnes intentions, mais qui, au final, court-circuitent les efforts du négociateur officiellement nommé, le général Ibrahim. Et lorsque l'armée encercle Ersal pour faire pression sur les ravisseurs et les empêcher de s'approvisionner en fuel, médicaments et denrées alimentaires, elle est aussitôt accusée par ceux-là mêmes qui prétendent l'appuyer de soumettre la localité de Ersal à un blocus.
Face à cette situation aussi complexe, une action militaire contre les ravisseurs est pratiquement impossible parce qu'elle ne bénéficie pas d'une couverture politique, alors que le principe de l'échange, s'il est acquis, ne s'est pas encore précisé, chaque camp voulant inclure ses propres partisans dans un accord éventuel.
C'est en raison de cette impasse qui est en train de miner l'État, l'armée et les citoyens que le général Jamil Sayyed a pris l'initiative de parler avec le président syrien pour assurer un passage sûr aux combattants installés dans le jurd vers le lieu de leur choix, sachant qu'au départ, la revendication d'avoir un accès à Ersal pour pouvoir s'approvisionner et se faire soigner était la principale demande des ravisseurs. Plutôt que de les laisser entrer au Liban, Sayyed proposait donc de les envoyer rejoindre leurs compagnons dans un lieu sous leur contrôle en Syrie. Mais il avait pour cela besoin d'une promesse du régime syrien de ne pas s'en prendre à eux. Le président syrien aurait donc donné son accord et la proposition de Sayyed a fait son chemin jusqu'à l'émissaire de l'Onu chargé du dossier syrien Staffan de Mistura qui souhaitait aider aussi le Liban. La proposition a donc été transmise par de Mistura au représentant du directeur général de l'Onu au Liban Dereck Plumbley qui l'a, à son tour, transmise au gouvernement. Mais la réponse a été très claire : le gouvernement refuse de traiter avec le régime syrien et préfère procéder à un échange entre les militaires otages et des prisonniers de Roumié... Pourtant, la proposition pourrait offrir une solution radicale à ce problème. Car, comme l'a dit Sayyed lundi soir, si l'échange a lieu, qu'est-ce qui empêchera les combattants installés dans le jurd d'enlever une nouvelle fois des militaires lorsqu'ils se sentiront coincés ? D'ailleurs, ils ont bien tenté de le faire à deux reprises, en effectuant des incursions dans le jurd de Ras Baalbeck, tuant la première fois six soldats pris dans un guet-apens.
Ces développements poussent des personnalités qui suivent de près ce dossier à se demander s'il y a réellement une volonté de clore ce dossier, ou si des parties régionales et locales ne cherchent pas en fait à maintenir la plaie de Ersal ouverte, parce que la pacification du front de Ersal et du jurd du Qalamoun pourrait être considérée comme profitable au Hezbollah et au régime syrien, au moment où certains pays régionaux continuent à miser sur un renversement du régime en Syrie et un affaiblissement du Hezbollah. Petits calculs dans un grand projet !
commentaires (9)
Je pense de plus en plus que le PM Salam-au-loukoum doit rendre son tablier. On peut rarement etre aussi incompétent dans ce genre de dossier. Vous me direz que son prédécesseur, lui aussi tete luisante, peut-etre a cause cirage kiwi (je touche la pub..), avait reconduit chez lui dans sa voiture PERSONNELLE le terroriste mawlawi. comme quoi c'est tranversal car les ordres arrivent du meme palais golfo-arabique qui defendrait la "catégorie". Au fond, nous savons tous où est le vrai blème dans cette affaire.. mais bon, on peut/veut pas le dire. Ersal pas touche, évidemment... hein! Tant pis, on le dira pas pour ne pas reveiller les instants sauvage de coupeurs de tete! Ah oui, couper la tete d'un humain pour certains c'est comme.. toi t'éplucherais une banane. Demandez donc au petit-fils du prophète de l'Islam.
Ali Farhat
01 h 17, le 18 décembre 2014