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Liban - Droits de l’homme

« Shebaik Lebaik » donne la parole libre aux travailleurs migrants au Liban

Avec humour, émotion et dérision, des employées de maison et des travailleurs migrants invitent le pays du Cèdre à se pencher sur leurs droits. Dans une nouvelle pièce dirigée par Zeina Daccache, « Shebaik Lebaik », ils jouent leur rôle et celui de leurs employeurs.

La danse des travailleurs migrants pour rapprocher les cultures et pour réclamer leurs droits. Photo Catharsis

Ils avaient la scène à eux, exclusivement. Ils ont fait salle comble à AltCity pour deux soirées consécutives, samedi et dimanche derniers. Ils ont été applaudis à tout rompre en standing ovation. Eux, ce sont 24 travailleurs migrants, femmes et hommes, venus d'Éthiopie, du Cameroun, du Sénégal, du Burkina Faso et du Soudan, raconter leur histoire, leur pays d'origine, leurs coutumes, leur rêve d'un avenir meilleur, leur réalité libanaise. Une réalité difficile, faite de travail acharné, parfois forcé, de discrimination, d'incompréhension, d'interdits, de confinement, à l'ombre du système du garant (kafala) qui restreint leur liberté, porte atteinte à leurs droits les plus essentiels et les met à la merci de bureaux de placement mercantiles et d'employeurs parfois abusifs. Au point pour certains d'envisager le suicide, par désespoir.


Shebaik Lebaik, en référence au génie emprisonné dans la lampe magique, est le nom de la pièce qu'ont présentée ces employées de maison et ces travailleurs migrants, sous la direction de la comédienne Zeina Daccache en collaboration avec l'association Migrant Work Task Force (MWTF). Que du beau monde, pour l'occasion, le parrain de l'événement, le ministre du Travail, Sejaan Azzi et son épouse, les ambassadeurs de Suisse, François Barras, et de Grande-Bretagne, Tom Fletcher, la chargée d'affaires de l'ambassade de Norvège qui a financé l'événement, Stine Horn, le consul du Nigeria, Amos Idowu, le chargé d'affaires de l'ambassade du Bangladesh, Mohamed Nazrul Islam, le consul honoraire du Togo, Georges Boustany, le représentant de MWTF, Omar Harfouche, ainsi qu'un parterre de militants des droits de l'homme, de représentants de la société civile et d'employeurs venus soutenir et applaudir leurs employées de maison. C'est dire l'ampleur que prennent les revendications des droits des employées de maison. Des revendications qui sont désormais écoutées par les autorités, même si les changements tardent à se mettre en place.

 

Travail fastidieux, racisme, discrimination
Le week-end dernier, les vedettes se nommaient Aminata, Astou, Nardi, Ayni, Lina, Hirut, Rahil, Khadiga, Olga, Awa, Etafer, Adam, Ibrahim... Avec humour, tendresse et émotion, ces travailleurs ont brossé des tableaux réalistes de leur quotidien libanais, raconté des scènes, des moments, des situations. Ils ont ainsi décrit leur arrivée à l'aéroport de Beyrouth, leur passeport confisqué, leur contrat signé en arabe, une langue qu'ils ne comprennent pas, leurs tâches quotidiennes dont certaines fastidieuses, comme pour cette employée de maison, « les 11 voitures familiales à laver deux fois par semaine », ou pour cette autre, astiquer les vitres d'un étage élevé au risque de glisser dans le vide.
Ils ont aussi raconté le confinement à la maison, l'isolement, l'interdiction de sortie et de toucher à certains aliments, les heures interminables de travail, les salaires impayés, voire amputés, etc. Même le racisme a été évoqué sans détour, reprenant les propos d'employeurs : « Elle est trop noire. Les enfants auront peur d'elle », ou aussi « Frotte-toi bien sous la douche et mets un déodorant », ou encore « Pourquoi tes cheveux gonflent-ils autant ? ».


À plusieurs reprises, ces travailleuses et travailleurs se sont mis dans la peau d'employeurs, d'agents de recrutement, de forces de l'ordre, qu'ils ont malmenés avec tact et dérision. « C'est toi qui as volé de l'argent ? C'est toi qui as frappé les enfants ? Avoue », a ainsi demandé un enquêteur à une employée de maison éthiopienne qui se contentait de hocher la tête. « Chez nous en Éthiopie, lorsqu'on baisse la tête, cela veut dire non », a-t-elle observé, demandant à son tour pourquoi les interrogatoires des femmes migrantes dans les postes de police se déroulent sans traducteurs.


Le système du garant n'a pas été épargné. Bien au contraire. Ses répercussions négatives ont été montrées du doigt. Négatives non seulement pour les migrants eux-mêmes, privés de liberté et de droits, mais pour les garants et employeurs contraints de débourser des sommes faramineuses pour embaucher une employée de maison ou un travailleur étranger, et qui sont responsables des actes de ces derniers auprès des autorités.
Les 24 acteurs amateurs ont alors raconté leurs pays et chanté leurs hymnes nationaux. Ils ont mis en relief les mauvaises conditions de vie qui les ont poussés à partir, les parcours pénibles d'Ayni ou d'Adam, mais aussi les bons côtés de leurs patries, comme les avancées des droits de l'homme. « Depuis l'année 2013, la femme sénégalaise peut transmettre sa nationalité à son mari et ses enfants », n'a pas manqué de raconter Khadija en arabe et en français. « Nous vous avons dépassé », a-t-elle lancé dans un clin d'œil aux femmes libanaises. « Même chose en Éthiopie où le mariage civil est pratiqué et où chrétiens et musulmans vivent en paix », a renchéri une jeune Éthiopienne. Le public a aussi appris, au passage, qu'au Burkina Faso, l'eau courante est fournie en continu et que le 8 mars, la Journée de la femme est célébrée comme une fête nationale. « Ce jour-là, les rôles sont inversés. Les hommes s'occupent des enfants et les femmes donnent des ordres », raconte une femme burkinabée, suscitant les applaudissements de l'assistance.

 

(Lire aussi : Employés de maison : ce que facturent les agences)

 

Dramathérapie avec Catharsis
Bien présente mais à l'écart pour ne pas voler la vedette à la troupe, Zeina Daccache veillait à la bonne marche de la pièce. Après son petit mot de bienvenue, ses rares interventions se sont limitées à relancer les dialogues pour parer aux hésitations, aux trous de mémoire. « Aujourd'hui, la parole est aux employées de maison migrantes et aux travailleurs migrants », a-t-elle dit, dans une volonté de ne pas se mettre en avant. Il faut dire que c'est à travers son association Catharsis et la dramathérapie que l'actrice a réussi à accomplir ce travail monumental et bénévole avec une vingtaine de travailleurs migrants. « Ces derniers bénéficiaient de cours de langues délivrés par l'association MWTF et ses bénévoles. Nous avons proposé de leur donner des cours de dramathérapie. C'est ainsi que le projet de raconter l'histoire des travailleurs migrants est né en association avec MWTF », a expliqué l'humoriste.
Au rythme d'une danse endiablée du célèbre compositeur sénégalais Youssou N'Dour, la troupe a clôturé son spectacle. C'est alors que les questions ont fusé, adressées principalement au ministre du travail, Sejaan Azzi. « Pourquoi nos compatriotes se suicident-elles au pays du Cèdre ? » lui a demandé à plusieurs reprises Rahel Zegeyé, une employée de maison militante. « Les Libanais sont pourtant heureux dans nos pays. Ils sont bien traités et ne se suicident pas », a-t-elle insisté. Le débat était lancé, animé par Zeina Daccache. Face à une assistance survoltée, le ministre Azzi a présenté les efforts déployés par son ministère pour que les choses changent. Se disant prêt « à écouter les suggestions et nouvelles idées », il a toutefois reconnu que l'abolition du système du garant n'est pas pour demain.

 

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Ils avaient la scène à eux, exclusivement. Ils ont fait salle comble à AltCity pour deux soirées consécutives, samedi et dimanche derniers. Ils ont été applaudis à tout rompre en standing ovation. Eux, ce sont 24 travailleurs migrants, femmes et hommes, venus d'Éthiopie, du Cameroun, du Sénégal, du Burkina Faso et du Soudan, raconter leur histoire, leur pays d'origine, leurs coutumes,...

commentaires (2)

CETTE ATTITUDE ENVERS LES EMPLOYÉES DE MAISON... DU SEXE FAIBLE EN GÉNÉRAL... N'EST PAS NOUVELLE. ON CROIT QU'ON A ACHETÉ UN ESCLAVE DU TEMPS DES GLADIATEURS ET QU'ON PEUT EN DISPOSER À SA GUISE ! LE CHANGEMENT DOIT INTERVENIR !

LA LIBRE EXPRESSION

18 h 00, le 17 décembre 2014

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Commentaires (2)

  • CETTE ATTITUDE ENVERS LES EMPLOYÉES DE MAISON... DU SEXE FAIBLE EN GÉNÉRAL... N'EST PAS NOUVELLE. ON CROIT QU'ON A ACHETÉ UN ESCLAVE DU TEMPS DES GLADIATEURS ET QU'ON PEUT EN DISPOSER À SA GUISE ! LE CHANGEMENT DOIT INTERVENIR !

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 00, le 17 décembre 2014

  • C'est toujours un plaisir de lire vos articles qui denoncent le comportement barbare de nos compatriotes vis a vis de ces jeunes filles...

    Houri Ziad

    17 h 36, le 17 décembre 2014

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