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Liban - Réforme

L’application de la loi sur la libéralisation des loyers ajournée de facto

À deux semaines de son entrée en vigueur, la nouvelle loi sur les loyers sera dès aujourd'hui réexaminée au Parlement en vue d'un « amendement global » du texte. Son amputation par le Conseil constitutionnel avait posé le problème de son applicabilité, sur fond de vives tensions entre propriétaires et locataires. Ces tensions semblent avoir été résorbées « politiquement ».

« Le droit au logement est supérieur aux intérêts des banques et des sociétés immobilières », peut-on lire sur une banderole improvisée par un « ancien » locataire.

La commission de l'Administration et de la Justice se réunit aujourd'hui au Parlement pour un réexamen de la loi sur la libéralisation des loyers, que les députés jugent « constitutionnelle mais inapplicable en son état actuel ». La commission prévoit de « revoir le texte dans sa globalité, à la lumière des quatre propositions de lois présentées pour son amendement », précise à L'Orient-Le Jour le président de la commission, le député Robert Ghanem.

L'amendement envisagé ne se limitera pas aux articles annulés par le Conseil constitutionnel, mais doit s'étendre pour inclure une réforme globale de l'habitat. Cette seconde rédaction de la loi sur les loyers nécessiterait donc au moins trois mois, apprend-on de source proche du dossier. En attendant, les tensions entre locataires et propriétaires semblent avoir été « résorbées politiquement », grâce à la démarche conciliatrice menée par le président de la Chambre auprès des deux parties. Il avait reçu les représentants des locataires jeudi dernier, et des propriétaires le jour suivant.

La commission parlementaire de l'Administration et de la Justice prévoit en outre d'émettre une recommandation sur le taux d'augmentation rétroactive des anciens loyers, prévue par le décret sur la hausse des salaires. La commission recommandera de fixer à 17 % le taux d'augmentation, rejetant ainsi la majoration de 50 % qui avait été envisagée.

Après l'annulation partielle de la loi par le Conseil constitutionnel et la confusion qui avait régné alors sur son applicabilité (lire par ailleurs), le débat semble être revenu à la source, c'est-à-dire à l'hémicycle. Mais à deux semaines de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, le 28 décembre, ce retour à la case départ est-il légal ?

L'avis des juristes sur la question est catégorique : « Nulle loi ne peut être abrogée qu'en vertu d'une autre loi. Aucun marché politique, couvert ou non par le Parlement, ne supplante la loi. » Les sources juridiques rappellent que le Conseil constitutionnel, seule autorité habilitée dans ce cas à définir la mise en œuvre de la nouvelle loi, a décidé de sa conformité à la Constitution, à l'exception de quelques dispositions. Ces sources estiment en tout cas que les propositions présentées pour un amendement de la loi, notamment les propositions des députés Ziad Assouad et Élie Aoun, « acceptent le mécanisme de la loi ».

En pratique, si aucune loi n'est votée avant le 28 décembre pour abroger celle déjà votée sur les loyers, rien n'empêcherait les propriétaires d'agir en vertu de cette loi. Dans les deux mois à dater de l'entrée en vigueur de la loi, c'est-à-dire jusqu'au 28 février 2014, les propriétaires pourront faire évaluer les locaux loués, calculer le loyer réel sur la base de 5 % de cette évaluation et faire signifier le rapport au locataire qui dispose à son tour de deux mois pour faire signifier une contre-évaluation. Mais il serait fort probable que les locataires invoquent le débat parlementaire en cours pour s'abstenir d'appliquer la loi. Le résultat en sera « l'augmentation de la masse de dossiers pendants devant la justice, c'est-à-dire des cas non résolus et de plus en plus complexes, aussi bien pour les juges et le législateur que pour les parties civiles ».

Le débat sur l'inapplicabilité de la nouvelle loi

La polémique autour de la loi sur la libéralisation des loyers, publiée au Journal officiel le 8 mai dernier, avait porté dans un premier temps sur le fond : la question de l'équilibre entre les intérêts des propriétaires fonciers et ceux des « anciens » locataires ; le flou sur le nombre et le niveau de pauvreté des foyers concernés, ou encore sur le mécanisme relatif au fonds prévu par la nouvelle loi pour subventionner leur déplacement (caisse de solidarité) ; la défiguration démographique que ce déplacement risque de provoquer; l'absence d'un plan global de l'habitat, censé consolider les réformes efficaces relatives au bail résidentiel...

Le débat sur le fond s'est mû ensuite en débat sur l'applicabilité de la loi. Saisi par dix députés, le Conseil constitutionnel avait statué en annulant les dispositions de la loi prévoyant la création d'une instance chargée d'évaluer le taux d'augmentation des loyers et de décider d'éventuelles aides à verser aux locataires ne pouvant payer la hausse du bail. Cette instance étant un rouage essentiel de la mise en œuvre de la loi, des avis contraires avaient émané sur l'applicabilité de la loi ainsi amputée et sur la légalité d'une éventuelle substitution de cette instance par les juges.

À la demande du ministre de la Justice, le comité de législation et de consultation (organe consultatif relevant du ministère) avait émis un avis en date du 15 octobre dernier. Il avait estimé que la loi est uniquement applicable pour les baux résidentiels de luxe.

En outre, peu après la décision du Conseil constitutionnel, le président du Conseil supérieur de la magistrature, le juge Jean Fahd, avait convié les magistrats à une réunion élargie pour tenter d'aboutir à une entente sur les moyens d'appliquer la nouvelle loi, sinon de l'occulter et de statuer éventuellement en équité. La réunion, assez agitée, avait trahi les vives divergences des juges sur la question, même si le Conseil supérieur de la magistrature a affirmé tendre vers l'applicabilité de la loi.
« Les juges eux-mêmes sont perdus », reconnaît à L'OLJ une source judiciaire, non présente à la réunion.

 

(Voir aussi, le dossier spécial du Commerce du Levant : Que dit la loi sur la libéralisation des loyers ?)

 

Le scénario d'une « guerre sociale » évité de justesse ?

L'avocat Ghadir Alayli, du bureau de l'ancien ministre Ziyad Baroud, estime que l'annulation partielle de certaines dispositions de la loi par le Conseil constitutionnel pave la voie à des scénarios extrêmes de chaos jurisprudentiel et social. « À partir du 28 décembre, les propriétaires vont se ruer devant les tribunaux en fondant leur action sur la nouvelle loi. Que feront les juges dans ce cas ? Toutes les options sont envisageables : certains choisiront d'appliquer la loi malgré son annulation partielle, sinon d'appliquer l'ancienne loi, arrivée à expiration le 31 avril 2012, ou encore de revenir au droit commun, c'est-à-dire au code des obligations et des contrats », affirme-t-il à L'OLJ.

Pour comprendre ces deux derniers scénarios, il faut savoir qu'entre l'expiration de l'ancienne loi, non renouvelée depuis avril 2012, et l'adoption de la nouvelle loi, les juges ont fait face à une situation de « vide juridique ». Pendant cette période, à défaut de texte spécial (la loi sur les loyers étant une loi spéciale), certaines actions ont été intentées par des propriétaires sur la base du COC (code civil libanais). Les propriétaires réclamaient l'éviction des anciens locataires en invoquant « l'occupation illégale d'une propriété foncière ». Dans le remous provoqué par le vote de la nouvelle loi, des propriétaires avaient intenté au cours des derniers mois près de 400 actions en référé pour expulser les anciens locataires. « L'expulsion des locataires n'a jamais intégré la jurisprudence puisqu'elle ne s'aligne pas sur l'esprit de la loi », estime Ghadir Alayli.

Mais les tensions persistent entre locataires et propriétaires. L'avocat était allé jusqu'à évoquer une possible « guerre civile sociale » dès l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Il a fallu l'interposition directe des politiques et une reprise en main du dossier par le Parlement pour éviter ce scénario. Il va donc falloir élaborer une nouvelle loi « réaliste » pour empêcher ces tensions de ressurgir.

Vers une reprise en charge du dossier par l'État ?

Parmi les éléments à prendre en compte cette fois par le législateur : l'évaluation précise du nombre de ménages dans le besoin, susceptibles de demander une aide au versement de l'augmentation des loyers; le changement du paysage démographique de la ville, la prise en compte des normes de « protection et de confort » dans les alternatives de résidence à proposer.

Or, dans tous les textes de lois relatifs au bail, le même nœud persiste : au lieu de consolider une relation tripartite locataires-propriétaires-État, l'État s'est soustrait à toute responsabilité, provoquant « une confrontation directe mais vaine entre deux parties aux motifs également légitimes », relève Ghadir Alayli.
L'enjeu est donc de rétablir l'équilibre des rapports entre locataires et propriétaires. Cet équilibre trouvera-t-il ses germes à l'hémicycle ou dans l'équité des magistrats ?

 

La commission de l'Administration et de la Justice se réunit aujourd'hui au Parlement pour un réexamen de la loi sur la libéralisation des loyers, que les députés jugent « constitutionnelle mais inapplicable en son état actuel ». La commission prévoit de « revoir le texte dans sa globalité, à la lumière des quatre propositions de lois présentées pour son amendement », précise...

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