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Encre rouge sang

Marwan et Gebran, l'oncle et le neveu. Le druze du Chouf et le grec-orthodoxe d'Achrafieh. Le martyr vivant, réchappé par miracle au prix de terribles blessures d'un attentat à la voiture piégée, lequel était le tout premier d'une longue série d'assassinats politiques ; et l'impétueux trompe-la-mort tragiquement rattrapé, au bout du compte, par la fatalité.


Marwan Hamadé et Gebran Tuéni auront eu deux dévorantes passions en partage. L'une, à laquelle ils se sont donnés corps et âme à l'ombre du légendaire Ghassan Tuéni, est ce journalisme qui, dit-on, mène à tout, pourvu que l'on en sorte : option que retint effectivement le premier. L'autre est l'action politique, à laquelle s'est voué Gebran sans jamais se résoudre, pour autant, à sortir du journalisme. Ces deux destins parallèles, consanguins si l'on peut dire et qu'avait cruellement séparés le sort, ce sont tout à la fois le rituel du souvenir et l'actualité qui, ces jours-ci, les réunissent.


Il y a neuf ans, Gebran était tué par une terrible explosion. Bien que notoirement menacé, cet infatigable lutteur avait renoncé à la relative sécurité de son bref exil parisien pour poursuivre, sur place, sa campagne souverainiste. Tout aussi flamboyants qu'enflammés, ses éditoriaux dans an-Nahar, comme d'ailleurs ceux de son illustre collègue Samir Kassir, assassiné six mois plus tôt, étaient particulièrement intolérables aux yeux d'un occupant syrien contraint de rapatrier ses troupes mais se refusant obstinément à lâcher sa proie libanaise. Car, pour ces deux plumes de grand prestige, la libération totale du Liban ne pouvait qu'aller de pair avec une libéralisation en Syrie même, dont semblait augurer déjà l'éphémère printemps de Damas, étouffé dans l'œuf par Bachar el-Assad. Ce n'est que des années plus tard que sautait le couvercle de la marmite, livrant la Syrie à un sanglant chaos sans pour autant délivrer le Liban. Pas encore du moins...


La justice internationale, à son tour, n'a pas l'air d'être pressée. Mais du moins marche-t-elle. Elle le fait avec détermination et dans le bon sens, puisque le Tribunal spécial pour le Liban en est à traquer non plus seulement les exécutants, mais aussi les commanditaires de l'effroyable série d'assassinats visant nombre de chefs politiques et de leaders d'opinion. C'est sur ce point précis que la marathonienne déposition de Marwan Hamadé revêt une portée capitale. Dans un premier temps, le député et ancien ministre a amplement éclairé les juges sur les menaces très précises proférées par Assad contre Rafic Hariri. Après les pousse-au-crime, ce sont les couvreurs de crimes qu'a pointés du doigt Hamadé : c'est-à-dire ces responsables qui, sous les prétextes les plus incongrus, ont refusé de livrer aux enquêteurs les données télécom que réclamaient ceux-ci, se rendant ainsi coupables d'obstruction à la justice.


Marwan et Gebran, deux cèdres du Liban agressés de la plus vile des manières. L'un par le legs qu'il laisse à tous les Libanais épris de liberté, l'autre par son époustouflant et tranquille courage, Gebran et Marwan sont faits du même bois. Celui contre lequel toutes les scieries du monde ne pourront jamais que se casser les dents.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Marwan et Gebran, l'oncle et le neveu. Le druze du Chouf et le grec-orthodoxe d'Achrafieh. Le martyr vivant, réchappé par miracle au prix de terribles blessures d'un attentat à la voiture piégée, lequel était le tout premier d'une longue série d'assassinats politiques ; et l'impétueux trompe-la-mort tragiquement rattrapé, au bout du compte, par la fatalité.
Marwan Hamadé et Gebran...