En défendant, au Parlement, une cause qui lui tient à coeur, Hind el-Fayez, députée jordanienne, a fait sortir de ses gonds un collègue qui, au lieu de rester sur le terrain de la politique, est parti sur celui beaucoup plus glissant, du genre. Aujourd'hui, Hind el-Fayez est un phénomène.
L'affaire remonte au 30 novembre dernier. Dans l'enceinte du parlement, où elle siège depuis les législatives de 2013, Hind el-Fayez, 46 ans, brandit une pancarte sur laquelle est écrit "Le gaz de l'ennemi (Israël) est une occupation". La députée s'était vue confier cette pancarte lors d'une manifestation contre un important accord gazier prévu avec Israël. Cet accord suscite la polémique au sein du royaume et certains, parmi lesquelles la députée, estiment qu'il doit être rejeté au motif qu'on ne coopère pas avec un pays considéré encore comme un "ennemi" 20 ans après le traité de paix. Avec cet accord de 15 milliards de dollars, Israël deviendrait le principal fournisseur en gaz du royaume, extrêmement dépendant sur le plan énergétique, pour les quinze prochaines années. Il permettrait aussi de mettre fin à la dépendance jordanienne du gaz égyptien et diminuerait les dépenses énergétiques annuelles du pays d'environ deux milliards de dollars.
شجاعة النساء .. مميزة .. والأمثلة كثيرة .. #اقعدي_يا_هند pic.twitter.com/BMdk0CTkq0
— أحمد وبس #لجين (@Ahmadwebass) December 10, 2014
"J'ai fait entrer cette pancarte au Parlement, et cela a été vu comme une provocation", explique Hind el-Fayez, interrogée par L'Orient-Le Jour. Deux jours plus tard, la députée remet le sujet sur le tapis sur fond de défense du nationalisme arabe. Le président de la Chambre décide alors de passer la parole au voisin de la députée, un certain Yahya el-Saud. Mais Hind el-Fayez, toujours debout, continue de défendre son point de vue.
S'ensuit une altercation verbale généralisée, le chef de la Chambre et le député el-Saud multipliant les "Assieds-toi Hind!" et "Ça suffit Hind". Face au refus de la députée de se plier à ces injonctions, Yahya el-Saud perd son sang froid et laisse filtrer le fond de sa pensée. "Que Dieu maudisse celui qui a permis le quota au Parlement, que Dieu se venge de lui, lance-t-il exaspéré. Que Dieu se venge de lui, que Dieu se venge de lui !".
En 2003, le roi Abdallah II, pour encourager les Jordaniennes à participer à la vie politique du royaume, a instauré un système de quota pour les femmes au sein du Parlement. Depuis 2012, une nouvelle loi électorale a fait passer le nombre de sièges réservés aux femmes au sein de la chambre basse de 12 à 15 (sur 150 députés).
"Quelle honte!", rétorque Hind el-Fayez à son collègue. Yahya el-Saud poursuit sur sa dénonciation du quota, les députés gloussent, le président de la Chambre demande au député de s'excuser, ce dernier s'y refuse.
Face à la confusion générale, la séance est levée, alors que Hind el-Fayez, l'index levé hurle de nouveau en direction de son collègue : "Quelle honte ! Quelle honte !"
(Pour mémoire : Le Liban tout au bas de l'échelle dans le classement des "femmes en politique")
"Je pensais juste à cette cause (le rejet de l’accord gazier avec Israël, ndlr) que je voulais défendre, je voulais faire passer un message", confie Hind el-Fayez à L'Orient-Le Jour. Mariée et mère de quatre enfants, la députée s'inscrit politiquement dans la lignée de son père qui a passé des années en prison en Syrie. "Sur le moment, il me semblait que cette cause était bien plus importante que tout ceux qui étaient au parlement en train de m'attaquer", poursuit-elle.
Autre engagement de la députée, qui figure dans le classement établi par Jordan Business des 10 femmes les plus puissantes du royaume : la place des femmes en politique. Pour Hind el-Fayez, la mise en place de ce quota est importante, et pas seulement parce qu'il lui a permis, justement, d'entrer à la Chambre, après deux échecs en 2007 et 2010. "Ce quota est important car le peuple n'avait pas confiance dans les femmes, le quota a donné à ces dernières l'occasion de se prouver et aujourd'hui l'on constate que la confiance du peuple en les femmes croît", estime-t-elle. Il n'en demeure pas moins que, selon elle, le quota doit être une mesure transitoire, l'idéal étant que les femmes n'aient pas besoin de ce type de mesure pour faire de la politique.
En attendant, l'histoire de Hind el-Fayez a, sans surprise, trouvé un relais sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter, avec le hashtag "Ne t’assieds pas Hind"
#هند_الفايز بتسوى 100 زلمة .. عالاقل صوتها طالع وبتحكي الحق.
— MeeRa | أم صخر (@Meera_730) December 3, 2014
"Hind el-Fayez vaut 100 hommes, au moins elle dit vrai"
في مجتمعنا الذكوري كثيير من النساء أثبتن مواقف وأخلاقيات وقدرة لم نجدها عند الرجال في نفس الموقع. #المرأة الأردنية فخر #لا_تقعدي_يا_هند
— بسمة الأردن (@KBothina) December 4, 2014
"Dans notre société masculine, de nombreuses femmes ont affirmé leur position et une capacité que l'on ne trouve pas chez les hommes qui ont le même poste. La femme jordanienne est une source de fierté."
ضلك واقفة حرة ياهند #اقعدي_يا_هند
— سماء (@i_ambitiouss) December 10, 2014
"Reste debout libre Hind"
Des tweets, des caricatures, et même une chanson ont fait le tour du web. Dans une vidéo postée sur YouTube, un homme lance, en hommage à Hind et en s'adressant aux hommes : "Raconte-moi ce que tu vaux sans ta mère, explique-moi pourquoi la femme doit s'asseoir (...) Ne t'assieds pas Hind".
Pourquoi tellement de bruit autour de cette histoire? "Parce que le peuple a vu qu'une femme peut tenir tête à un député qui, en plus, a le bras long. Parce que les Jordaniens ont compris que lorsque l'on défend une cause, l'on peut se battre jusqu'au bout, indique Hind el-Fayez. Je voterai toujours pour une femme. Les femmes sont des leaders capables, elles ne laissent pas tomber une cause qu'elles défendent."
Quant à Yehya el-Saud, Hind el-Fayez assure qu'elle continuera à lui dire "bonjour". "Ce n'est pas une affaire personnelle, au contraire, il a rendu un service à la femme. Cette affaire a été une occasion de dire aux députés : vous avez sous-estimé les femmes, mais vous avez eu tort! Les droits s'arrachent!"
Lire aussi
Laury Haytayan, Libanaise, engagée et distinguée
Soutenir les femmes pour qu'elles soient mieux représentées au Parlement
Les candidates irakiennes aux législatives en campagne pour les droits des femmes
L'affaire remonte au 30 novembre dernier. Dans l'enceinte du parlement, où elle siège depuis...
commentaires (3)
Au Liban le nombre des femmes députées est il encadré par un quota?
Beauchard Jacques
11 h 34, le 12 décembre 2014