Rechercher
Rechercher

L’ école publique plombée par l’afflux des élèves syriens - Reportage

Le français en perte de vitesse, l’anglais gagne du terrain, l’arabe incontournable

Les sections anglophones sont pleines à craquer, mais les sections francophones sont à moitié vides. Boudé par les réfugiés syriens, de moins en moins adopté par les Libanais, le français disparaîtra-t-il de l'école publique ?

La petite Jamilé a beau essayer, elle ne comprend absolument rien à l’histoire du petit champignon, malgré les encouragements de la maîtresse. Photo Anne-Marie el-Hage

C'est à grand-peine que Jamilé essaie de déchiffrer la phrase écrite par la maîtresse au tableau sur «l'histoire d'un petit champignon». La fillette a pourtant 11 ans. Elle est scolarisée depuis deux ans à la seconde école officielle pour filles de Mousseitbé, à Beyrouth. Mais en vain. «Je n'y comprends strictement rien, le français est si difficile», dit-elle, l'air contrit. Cela se passe dans une classe de dixième (niveau EB2 ou CE1). Faute de place dans la section anglophone, c'est dans cette section francophone de 13 élèves seulement que la petite réfugiée syrienne a été placée, nettement moins populaire que la section anglophone. Autrement, elle n'aurait pas été scolarisée, ou aurait été contrainte d'attendre plusieurs semaines que soit mis en place l'enseignement de l'après-midi. Jamilé a pourtant le niveau requis en mathématiques et en arabe. Elle est intelligente et capte vite. Mais elle n'a pas eu les bases nécessaires pour suivre les cours en langue étrangère, en français plus particulièrement. Dans son pays, les leçons étaient exclusivement données en arabe. «Personne ne peut m'aider à la maison ou à l'école», regrette la fillette.

Sans soutien scolaire, aucune chance de combler le retard
Il faut dire que les élèves syriens ont fait leur rentrée scolaire avec plusieurs semaines de retard par rapport aux petits Libanais, à cause des circulaires ministérielles. De même, ils ont perdu de précieuses semaines, l'année dernière, le temps que l'Éducation nationale les intègre. Contrairement à certains de ses camarades syriens qui suivent des sessions de remise à niveau, Jamilé ne bénéficie du soutien d'aucune association. «J'essaie de l'aider quand j'en ai le temps. Mais je dois faire au mieux dans cette classe à deux vitesses», assure l'enseignante, dépassée, en l'absence de classes de rattrapage scolaire. À deux vitesses, car la majorité des élèves syriens présentent les mêmes problèmes que leur compatriote. «Je me demande s'ils comprennent ce qu'ils lisent ou s'ils se contentent de retenir», souligne la maîtresse.
À moitié vide aussi, cette classe de huitième francophone (niveau EB4), à l'école publique el-Alieh de Sedd el-Bauchrieh pour garçons, où 18 élèves de 8 à 14 ans tentent avec difficulté de prononcer le mot «articulation». L'enseignante persévère et explique dans la langue de Molière la leçon de sciences sur les os et les articulations. Aux questions qu'elle pose, les réponses fusent dans un français hésitant, souvent déformé. Les garçons passent rapidement à l'arabe. C'est tellement plus facile pour eux. «Le niveau de français de la grande majorité des élèves, libanais, syriens ou autres, est très faible. Vocabulaire, grammaire, formation des phrases ou prononciation, l'ensemble est déplorable», indique l'enseignante. «C'est d'autant plus compréhensible qu'ils ne pratiquent pas la langue à la maison.» Le scénario est identique dans la classe voisine de cinquième (EB7) où un professeur de géométrie doit se résoudre à donner des explications en arabe aux 16 élèves de 11 à 15 ans. «Une fois que j'explique les mots techniques en arabe, ils comprennent mieux la leçon», précise-t-il.
«La langue française est en voie de disparition.» Le constat du directeur de l'école publique Omar Fakhoury à Jnah, Ghassan el-Khatib, tombe comme un couperet. L'école primaire anglophone qu'il dirige reçoit 850 élèves de 6 à 14 ans, comme il l'indique. Il a de plus 1300 demandes d'inscription d'élèves syriens pour l'horaire de l'après-midi. «En revanche, les écoles francophones environnantes sont quasiment vides», assure-t-il. «L'école complémentaire dont je suis aussi en charge ne reçoit aujourd'hui que 80 élèves, alors qu'elle a une capacité de 500 élèves. Quant à l'école de Caracas, elle n'a plus que 35 candidats pour la langue française. La grande majorité des enfants, Libanais ou Syriens, optent désormais pour l'anglais.»

L'anglais s'impose, mais...
Réputé pour sa facilité, considéré comme la langue du travail et de l'informatique, l'anglais s'impose inévitablement dans l'enseignement public, traditionnellement francophone. Mais les difficultés persistent, non seulement pour les petits réfugiés syriens exclusivement arabophones, dont les parents sont peu instruits ou analphabètes, mais pour les élèves libanais, très attachés à leur langue maternelle.
«Une mère d'élèves syriens s'est plainte que ses enfants ne comprenaient rien à la biologie et aux sciences enseignées en anglais, raconte le directeur de l'école publique primaire de Laylaki, Ahmad Abboud, dont le tiers des élèves est de nationalité syrienne. Elle m'a demandé si la leçon pouvait se faire en arabe. J'ai refusé, car ils doivent s'adapter au système, ajoute-t-il. Mais dans les classes, les enseignants n'ont pas vraiment le choix.» «Je leur explique les sciences en arabe », avoue la maîtresse d'une classe primaire. Une autre enseignante renchérit: «L'année passée, j'avais divisé la classe en deux et mis en place deux niveaux d'enseignement. J'étais au bord de l'épuisement. Cette année, j'ai préféré me mettre au niveau des élèves.» Dans la classe d'à côté, des enfants s'essaient à un exercice de lecture en anglais, guidés par la maîtresse. «Répétez après moi», dit-elle. Malgré les efforts, les résultats ne sont guère brillants. Les moins bons lâchent prise et interpellent l'enseignante en arabe. «Les différences de niveaux retardent la classe», déplore-t-elle. Aussi pénible soit-elle pour les enseignants, «la situation est meilleure que l'année passée », tient pourtant à préciser le directeur. Parmi ses élèves syriens, « quelques-uns ont même un excellent niveau».

Libanais et Syriens, même niveau lamentable
Le cas de ces deux fillettes assises côte à côte sur le banc de leur classe est là pour le prouver. Crayon mine à la main, l'une Libanaise, l'autre Syrienne tentent de résoudre des additions posées. Il s'agit pour elles et pour les 30 élèves de onzième (EB1ou CP) de 6 à 9 ans, du premier exercice de la sorte, après l'apprentissage de l'addition sur des dominos. La scène se déroule à la seconde école officielle pour filles de Mousseitbé, section anglophone. Très concentrée, Dilbar compte sur ses doigts, fait la somme et inscrit le total. La fillette travaille méticuleusement, avec facilité. Sa voisine Nour n'a pas l'air d'avoir compris la consigne. Elle pose des nombres au hasard, au bas des opérations. Dilbar tente de l'aider, de la pousser à réfléchir. Mais la maîtresse passe déjà à autre chose. «L'exercice avait pour objectif de connaître le niveau des élèves», indique-t-elle. Contrairement aux différences de niveau que l'on sait entre élèves libanais et syriens, Dilbar, la petite Syrienne, capte rapidement les explications. Elle n'a aucun mal à les appliquer ou à compter en anglais, alors que c'est Nour, l'élève libanaise, qui traîne la patte.
Il faut dire que dans les petites classes où les élèves acquièrent les bases de la lecture et de l'écriture, tous les élèves, libanais, syriens ou autres, ont les mêmes chances de départ. Mais les disparités d'âges et de niveaux demeurent
importantes, la grande majorité des élèves syriens n'ayant fait aucune maternelle et démarrant donc leur éducation avec un handicap. Certains ne savent même pas tenir un crayon, selon les observations des enseignantes. D'autres ont été scolarisés sur le tard, ou ont redoublé leur classe.
C'est de cette réalité que tente de s'accommoder l'enseignante d'une classe de huitième anglophone de 26 élèves. «Leur niveau d'anglais est lamentable, Libanais ou Syriens», déplore-t-elle, faisant part de sa grande frustration. «Qu'ont-ils appris dans les classes de base » demande-t-elle avec insistance.
Car ces lacunes, les enfants les traînent longtemps, jusque dans les grandes classes. Seront-ils seulement capables de présenter les épreuves officielles? C'est la question que se pose une enseignante de chimie dont les huit élèves de troisième, parmi lesquelles une seule Syrienne née au Liban, ne comprennent rien aux explications en anglais. «Elles ne comprennent pas non plus les questions d'examens, je dois les traduire en arabe», dit-elle, consternée. Terrible constat!

C'est à grand-peine que Jamilé essaie de déchiffrer la phrase écrite par la maîtresse au tableau sur «l'histoire d'un petit champignon». La fillette a pourtant 11 ans. Elle est scolarisée depuis deux ans à la seconde école officielle pour filles de Mousseitbé, à Beyrouth. Mais en vain. «Je n'y comprends strictement rien, le français est si difficile», dit-elle, l'air contrit. Cela...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut