Si les terroristes du Front al-Nosra devaient être condamnés à la prison à perpétuité sans la moindre possibilité de relaxe pour un seul crime, pour une seule (de leurs nombreuses) barbarie(s), ce serait pour cette torture indicible qu'ils ont infligée et qu'ils continuent d'infliger à la mère de Ali Bazzal. Et avant elle, aux mères des trois autres soldats libanais otages qu'ils ont assassinés. Et à toutes les autres. Qui attendent, exsangues et hagardes et électrifiées. Qui attendent : rien n'est pire.
Cela, Nouhad Machnouk le sait. Tout ministre de l'Intérieur qu'il soit, il n'en est pas moins père. Comme sans doute l'immense majorité des ministres du gouvernement Salam. Ce qui n'a pas empêché le premier flic du Liban de faire primer les raisons d'État. De rappeler aux familles déchirées qu'elles jouissent d'une tribune sous les spots, juste devant le Grand Sérail. Que les routes ne doivent pas, ne peuvent pas être bloquées. En cela, il n'avait pas tort, loin de là. Sauf que Nouhad Machnouk aurait pu s'excuser du comportement des forces de l'ordre. Ordonner l'ouverture d'une enquête. On ne violente pas des femmes et des hommes qui vivent le cauchemar le plus insoutenable qui soit. Ni des journalistes. Nouhad Machnouk aurait dû également enlever ses gants lorsqu'il a critiqué le Hezbollah. Y aller bien, bien plus fort. Pour une seule et simple raison : le comportement de Hassan Nasrallah et de ses lieutenants est désormais juste inouï.
Qu'une milice ait négocié avec une autre milice un échange de prisonniers n'est aucunement le problème. Bien au contraire. Le Hezbollah a fait ce qu'il avait à faire. Intelligemment. L'Armée syrienne libre aussi. Les deux ennemis sont satisfaits. Jusque-là, tout est dans l'ordre des choses. Là où cela devient immoral, plus encore : criminel, c'est quand arrive cette parade hallucinante à la libération du hezbollahi Imad Ayyad, cet étalage d'une obscénité infinie, que Mme Ayyad mère elle-même n'a probablement pas dû cautionner : comment, en embrassant son fils, aurait-elle pu ne pas penser à ses compatriotes, à ces vingt-sept mères de soldats-otages, gluées place Riad el-Solh, jour et nuit, et qui n'ont rien à serrer contre leurs seins qu'une photo et une odeur virtuelle, c'est quand se crashe et se crache, sur la douleur de ces mères, cette phrase pas encore dite, du moins pas à haute voix : vos fils n'avaient qu'à choisir le Hezb plutôt que la troupe, vos fils n'avaient qu'à préférer la milice à l'État. Parce que passe encore ce gigantesque doigt d'honneur asséné, par parade interposée, à la gueule d'un gouvernement Salam qui se démène comme il peut pour trouver une solution à cette crise absolue. Le Hezbollah s'emploie méthodiquement, avec une minutie et un stakhanovisme épatants, et depuis des années, à vampiriser ce qui reste de la carcasse étatique et institutionnelle libanaise. À vouloir montrer que l'État est mort et qu'il l'a remplacé. Dans le fond et dans la forme. Dans sa nature et sa culture. Mais infliger cela à des mamans, des épouses, des filles, des sœurs...
Pauvre État. Crétin d'État. Il faut dire que dès le mois d'août, dès le rapt, l'on mettait en garde l'exécutif, dans ces mêmes colonnes, contre le caractère atrocement délétère de ce dossier. Tous les États cèdent au chantage des terroristes. Mais loin, tellement loin des médias. Sans libérer aucune Joumana Hmayed d'aucune sorte. Juste en trouvant des quantités astronomiques de dollars, commission incluses, à transférer aux ravisseurs contre la libération inconditionnelle de tous les otages. Si le Qatar, l'Arabie saoudite, l'Iran ou quelque pays que ce soit voulait réellement aider, il aurait juste suffi de puiser dans le stock de pétrodollars.
Et de mettre un terme à l'agonie des otages. Et à celle de leurs familles.
P.S. : si elle avait pu le faire, Sabah aurait certainement multiplié les allers-retours place Riad el-Solh. Aurait chanté pour ceux qui sont loin de chez eux. Dans une robe couleur du soleil. Pris la main d'une maman dans la sienne. De toutes les mamans. Elle aurait séché leurs larmes. Ravalé les siennes. Partagé l'un des plus beaux sourires du monde. Ses yeux comme deux bombes atomiques de bonté. Elle aurait contaminé la place. Le Sérail. Le centre-ville. Beyrouth aurait souri. Puis tout le monde aurait souri, le cœur et le battoun un peu moins crispés, de Tripoli à Tyr en passant par Zahlé. Où Saïd Akl, s'il avait pu le faire, aurait réinventé des mots, ou dynamité des maux, c'est pareil. Aurait chanté le courage de ces hommes, ces soldats, ces Libanais.
commentaires (5)
Et Fairouz dans tout cela ? Silencieuse et de marbre, pour changer.
Remy Martin
16 h 59, le 29 novembre 2014