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Lifestyle - F(r)ictions

Au bureau (épisode 4)

Je ne suis pas rassuré. Pas à cause d'une fête d'indépendance dénuée de sens, d'une parade militaire inexistante devant un président fantôme, d'une guerre religieuse à Tripoli. Non. Je ne suis pas rassuré à cause d'un bout de dentelle noire. Et d'une femme de ménage. Et ça m'agace. Je tente de me distraire en regardant le ciel, dehors, de l'autre coté de la fenêtre. Il pleut. L'hiver a débarqué en un clin d'œil il y a quelques jours, et les femmes sont ravies. Fourrures vintage, cuir intemporel, daim et chamois ressortis des 90s. Elles musardent toutes avec des cadavres sur le dos. Une cruauté ignare qui m'agace encore plus.


Je me retourne vers mon écran. Je me force de paraître le plus naturel possible devant mes collègues lorsqu'ils passent devant ma porte. J'ai peur de divulguer ma paranoïa. Je suis métaparanoïaque. Mon néologisme me fait sourire. Je parcours des e-mails sans vraiment y prêter attention, sous prétexte de brainstorming. Mon rôle dans cette boîte est de concevoir des idées novatrices, des idées anticoncurrence, des idées qui vendent. Souvent, je n'ai qu'à m'enfermer dans mon bureau et annoncer que je bosse pour qu'on me foute la paix. Je méprise le monde de la pub. Mais je ne me plaindrai pas : ici, je me sens comme un roi. J'ai galéré pendant des années, m'étant persuadé que j'étais un artiste, que mon art allait changer l'histoire du cinéma. Mais à trente-huit ans et sans le sou, j'ai dû me heurter à la dure réalité : je suis sans talent réel et d'une prétention grossière. Heureusement, grâce à ma belle gueule et à quelques contacts de ma mère, j'ai réussi à me faire embaucher dans cette boîte de merde où ma médiocrité est adulée, où je suis acclamé comme un artiste déjanté, perçu comme un marginal – parce que j'écoute de la musique un peu moins populaire que la radio locale. Ici, ils sont tous pathétiques. Nos clients sont tous pathétiques. Et moi aussi, je suis pathétique. Heureusement, j'ai une formule simple pour supporter tout cela : chaque matin, en sortant de la douche, je me persuade que je suis en train de m'habiller pour un rôle. Dans un long métrage ou dans une série télé. Peu importe. J'arrive au bureau et entame ma performance. Distancié de tout. Je vois mes collègues en stress devant les chiffres de cette année, les comparant à ceux de l'année dernière, et ça me fait rire. Je les vois sortir de chez la directrice en pleurs, ça m'énerve. Je les vois baisser la tête, obéir, esclaves d'une boîte qui profite à un connard qui vaut moins que rien. Ça me donne envie de leur cracher dessus.


Je perds un peu de temps en cherchant Yasmina sur Facebook. Facile. Je clique sur ses images et repère les albums d'été pour la voir en maillot de bain. Délicieuse. Je ferme la porte de mon bureau à clé et me masturbe. J'adore. Ting. Mon écran me fait signe. Un nouvel e-mail reçu attire mon attention. Les initiales de l'expéditeur ne me disent rien : G.K. Sujet : Je sais... Un mauvais pressentiment me saisit à la gorge. Inexplicable. Mon cœur bat vite. J'ouvre le message : je sais tout. Présente-toi demain soir à cette adresse si tu tiens à ton travail, à ta réputation. Et à ta vie.

 

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Je ne suis pas rassuré. Pas à cause d'une fête d'indépendance dénuée de sens, d'une parade militaire inexistante devant un président fantôme, d'une guerre religieuse à Tripoli. Non. Je ne suis pas rassuré à cause d'un bout de dentelle noire. Et d'une femme de ménage. Et ça m'agace. Je tente de me distraire en regardant le ciel, dehors, de l'autre coté de la fenêtre. Il pleut....

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