Vous avez dit Constituante ?...

Franchement a-t-on besoin encore et encore de nouveaux accords, Constituante, ou autre Convention ?
A-t-on encore besoin d'autres Danton, Marat ou Robespierre après tous ceux auxquels on a eu droit pendant les 15 tristes années de notre longue et désastreuse guerre civile ?
N'y a-t-il pas eu assez de guillotines et de charniers pour des querelles chimériques ? Faut-il à nouveau couper des têtes maintenant que Daëch et al-Nosra campent à nos frontières ?
À l'instar de la Suisse à laquelle on le compare si souvent quand il s'agit d'argent, le Liban ne peut qu'être une démocratie consensuelle, indépendante de la loi du nombre, car le nombre, en dehors des équations mathématiques, n'a jamais rien résolu.
Sans son visage chrétien le Liban existerait-il ? Tout le monde connaît la réponse. À quoi bon dès lors évoquer des thèmes qui sont autant de pommes de discorde ?
Pensez-vous par exemple que si son commandant en chef n'était pas chrétien, l'armée aurait pu intervenir de manière aussi convaincante à Abra, à Ersal ou à Tripoli, demeurant unie et imperméable à toutes les voix des gens mal intentionnés ?
Le Hezbollah finira tôt ou tard par céder face à la légalité de l'État, unique garant pour tous, indivisible et irremplaçable ici comme partout ailleurs dans ce vaste monde d'États. L'exception ne pouvant être la règle, les résistants en 1944 et jusqu'à la Libération de la France ont rejoint la légalité. Le plus illustre des libérateurs, à la tête d'un gouvernement provisoire, le général de Gaulle, rendait en 1946 le pouvoir à la IVe République. Toutes les milices ont été contraintes de rendre les armes, hormis le Hezbollah à la sortie de la guerre civile. Mais pourra-t-il garder éternellement les siens ?
Aujourd'hui comme demain, ça ne sera jamais le grand nombre qui protégera les chiites, pas plus que leur petit nombre ne constituera une menace pour les chrétiens. La garantie fut, est, sera la nécessaire volonté de vivre ensemble.
Car le Liban in fine n'est qu'un conglomérat de minorités persécutées venues s'y réfugier. Il n'y a que les opprimés qui compatissent avec les opprimés. Regardez les Kurdes (ces héros des temps modernes qui refont Stalingrad à Kobané) comment ils ont sauvé et protégé les chretiens et les yazidis en Irak.
Il y a plus de douze siècles, et pour sauver ses compatriotes chrétiens de l'augmentation exorbitante de la jizia, une forme d'extermination décidée à l'époque par le nouveau calife abasside de Bagdad – car la famine tue autant si ce n'est plus que les armes* –,un imam natif de Baalbeck (il y a toujours eu des sunnites et des chrétiens dans la ville du soleil) a brandi des versets du Coran face aux légions du calife pour les dissuader tout simplement par l'argument et la preuve (al-hojja wal borhane). Qui pourra oublier l'imam beyrouthin al-Ouzaï ce grand musulman humaniste des Lumières ? Plus tard, un autre imam, cheikh Mohammad Mahdi Chamseddine, répondait à un élu de Jezzine venu lui indiquer le lieu d'un maqam chiite jadis vénéré dans la bourgade où vécut et prêcha l'illustre imam chiite martyr al-Jazzini),et devenu depuis simple maison d'habitation d'une famille de prélats catholiques : « Gardez, gardez cette maison comme toutes les autres, et surtout ceux qui y habitent. Dites-leur de ne plus jamais vendre leurs biens et émigrer... Seront-t-ils sûrs d'être plus heureux ailleurs qu'ici ? Que sera le Liban sans ses chrétiens ? »
Dieu a créé l'homme à Son image. Il n'y aura de meilleur Constituante que celle de l'amour et de la fraternité basée sur la dignité humaine. Il suffit de respecter ces notions élémentaires des droits de l'homme.
Depuis plus de huit siècles, la Confédération helvétique connaît paix, prospérité et progrès. Le plus petit canton en surface et nombre d'habitants dispose du même poids au niveau fédéral que le plus grand et le plus peuplé. Quelle belle leçon de tolérance à méditer !
Si enfin on imitait ces Suisses et pas uniquement pour la banque et l'hôtellerie... Ne serions-nous pas plus tranquilles, et pour bien longtemps ?

Chloé KATTAR
Paris

*Lire a ce propos le livre qui vient de sortir sur la grande famine de la guerre 14-18, écrit par le professeur Boustany, président de l'ordre des médecins.