Le président turc Recep Tayyip Erdogan a dénoncé mercredi "l'impertinence" des Etats-Unis dans la crise syrienne, illustrant à nouveau, après la visite du vice-président américain Joe Biden en Turquie, les divergences des deux alliés sur ce dossier.
"Je veux que vous sachiez que nous sommes contre l'impertinence et les demandes sans fin", a déclaré M. Erdogan devant un parterre d'hommes d'affaires réunis à Ankara en évoquant les requêtes adressées par Washington à la Turquie dans la lutte contre les jihadistes du groupe Etat islamique (EI).
"Pourquoi quelqu'un fait-il 12 000 km pour venir s'intéresser à cette région ?", a-t-il ajouté en référence à la visite de M. Biden le week-end dernier à Istanbul.
Malgré les pressions exercées par les Etats-Unis, le gouvernement islamo-conservateur turc refuse toujours d'intervenir militairement au profit des forces kurdes qui défendent la ville syrienne de Kobané assiégée depuis mi-septembre par les jihadistes, à la frontière turque. Ankara oppose également une fin de non-recevoir à la demande américaine d'ouvrir sa base d'Incirlik (sud) aux avions qui bombardent les positions de l'EI en Irak et en Syrie. La Turquie juge ces raids inefficaces et plaide pour que le départ du président syrien Bachar el-Assad, sa bête noire, constitue la priorité de la stratégie antijihadiste.
"Ils (les Américains) sont restés simples spectateurs lorsque le tyran (le président syrien, ndlr) a massacré 300 000 personnes. Ils sont restés silencieux face à la barbarie d'Assad et maintenant ils jouent sur la mauvaise conscience (de l'opinion internationale) autour du sort de Kobané", a regretté M. Erdogan. Sous pression de ses alliés, Ankara s'est contenté d'autoriser le passage vers Kobané, via son territoire, de 150 combattants peshmergas kurdes venus d'Irak. "Nous ne résoudrons pas nos problèmes avec l'aide d'un +esprit supérieur+ mais avec celle de notre propre peuple", a conclu l'homme fort de Turquie.
Lundi, M. Erdogan avait déjà dénoncé leur intérêt pour le "pétrole" comme la seule motivation stratégique des Américains dans la région.
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M. Biden a conclu dimanche un séjour de trois jours à Istanbul sans rapprochement spectaculaire avec la Turquie sur le dossier syrien. A l'inverse du ton adopté publiquement par M. Erdogan, dans l'entourage de Joe Biden, un responsable américain s'était toutefois réjoui d'un "rapprochement des positions" lors de cette visite. Un haut responsable américain avait estimé que l'absence d'une annonce majeure ne devait pas être considérée comme un échec. Selon lui, cette série de rencontres a permis de rapprocher les positions entre les deux pays membres de l'OTAN par rapport à ce qu'elle étaient il y a quelques mois.
Lundi, le ministère turc des Affaires étrangères avait annoncé que la Turquie et les Etats-Unis assureraient l'entraînement de 2 000 combattants syriens considérés comme modérés sur une base à Kirsehir, ville située dans le centre de la Turquie. Ankara avait déjà donné son accord de principe pour entraîner et équiper les forces rebelles syriennes dans le cadre de la campagne de la coalition internationale contre l'EI, mais les informations sur le nombre de Syriens formés et sur le lieu de la formation n'avaient pas été dévoilées.
Début novembre, un coup de chaud diplomatique avait déjà opposé M. Biden et Erdogan. Avant d'arriver à Ankara, le vice-président américain avait suscité la polémique avec la Turquie le mois dernier en l'accusant publiquement de complaisance envers les jihadistes, avant d'amender ses propos. Dans une première réaction, M. Erdogan avait déclaré : "Si M. Biden a utilisé de tels propos, il deviendra quelqu'un du passé pour moi.
Par ailleurs, pendant son voyage en Turquie, M. Biden avait souligné le caractère "corrosif" de la concentration des pouvoirs à la tête d'un pays, alors que le gouvernement islamo-conservateur turc est souvent accusé de dérives autoritaires. Le président Erdogan lui-même, élu en août pour de cinq ans après avoir conduit pendant onze ans le gouvernement de son pays, fait l'objet de nombreuses critiques qui dénoncent sa dérive autoritaire et sa volonté d'islamiser la société turque.
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commentaires (4)
Il n'est pas mal, ce Grand turc de temps à autre....
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
04 h 41, le 27 novembre 2014