Espace blanc pour des œuvres détonantes et éloquentes dans leur minimalisme même. Michelangelo Pistoletto a investi les lieux pour parler du malaise de vivre. En termes simples et des matériaux encore plus simples. C'est l'agencement et le choix des mixages qui font la force singulière des œuvres du détenteur du prestigieux prix Praemium Imperiale 2013, au Japon. Et leur étonnante expressivité.
Pour cet octogénaire piémontais, turinois d'adoption, ancien apprenti de restauration dans l'atelier de son père, de l'autoportrait à l'usage du métal, du polyuréthane, du marbre et du bonze, l'art est là pour exprimer les réalités changeantes, les conflits d'une humanité en constante mutation.
Accueilli par une Vénus de Milo (une reproduction au grain luisant!) au dos tourné devant un amoncellement de chiffons bigarrés, opposant dénuement sublime et vrac de futiles vieilleries, le spectateur est d'emblée invité à une ronde insolite où il est lui-même happé par les reflets des miroirs qui lui renvoient sa propre image. Actant bon gré, mal gré de cette expo qui donne à réfléchir, au sens premier du terme. Tant le visiteur, en morceaux ou entier, est bombardé de réflexions de miroirs omniprésents.
Dans cette galerie de miroirs (intacts ou en morceaux, aux formes parfois à la tendresse matissienne) où, comme la marâtre de Blanche Neige devait s'interroger sur son invincible beauté, le spectateur entreprend un ballet entrecoupé de son propre regard. Regard complice, inquiet, suspicieux, inquisiteur, interrogateur. Regard acéré comme une pointe de lame de rasoir car brusquement aux aguets. Comme pour surprendre ou éviter le regard de la Méduse...
Tournée impromptue, aux surprises comme dans un jardin de délices (avec quelques déceptions ou platitudes aussi, tel ce miroir rond ou octogonal posé banalement à même le sol!) dans un univers baroque, car déstructuré et aux mélanges délibérément contradictoires. Mais dont la mise en scène reste presque constamment brillante, éveillée et interpelle.
Un carré cintré (!) pour une porte, une table de ping-pong, des canevas de toiles en monticule, une pomme en plexiglas qui se répercute en vagues successives comme une onde troublée, une chaise hissée sur des échasses (ah, l'attrait du pouvoir !) autant de réflexions sur le convenu, le conformisme ou les agissements de nos contemporains.
Moment de silence et de méditation dans le temple de Bouddha où l'on croise, outre un prie-Dieu, des tentures blanches et d'autres bric-à-brac de religiosité, un vilain tapis rongé sans doute à force d'être piétiné...
On s'arrête net pour tant d'hyperréalisme devant ces miroirs hallucinants où une femme est assise, des grévistes groupés qui fixent un point de l'horizon, ou cette chaise vide. Le tout dans un contexte de théâtre ultravivant, à embarquer le visiteur dans un autre monde, celui d'une humanité en attente, en conflit, en rêverie, en cohue se bousculant, en solitude. Telle est la force massue d'une photo reproduite sur de l'acier poli. Et le tain de miroir offre ici, sous des mains magiciennes, par-delà presque rien (mais en art moderne il n'y a pas de presque rien!), un spectacle palpitant de vie.
Laissez-vous tenter par cette aventure faussement «pauvre», vous n'en ressortirez que plus riche. Et comme tout le monde doit le savoir, la richesse n'est pas seulement matérielle...
*L'exposition Michelangelo Pistoletto au Beirut Exhibition Center au Biel (en collaboration avec la galerie Tanit et Solidere) se prolongera jusqu'au 11 janvier.
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https://www.youtube.com/watch?v=MazCnEDHkB8
Gebran Eid
16 h 41, le 26 novembre 2014