L'enjeu est de taille. En témoigne la présence en personne des chefs de la diplomatie des 5+1 (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Allemagne) et du ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, à Vienne. Parce que, dans la capitale autrichienne, pourrait se décider un accord mettant un terme à 35 ans de méfiances et de politiques vindicatives entre l'Iran et l'Occident. En rupture avec l'utilisation systématique, du côté américain comme du côté iranien, d'une rhétorique diabolisante pour se qualifier l'un et l'autre. En rupture avec les provocations de l'ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad et la politique anti-iranienne des États-Unis depuis 1979. En rupture avec les déclarations bellicistes de Bernard Kouchner, qui, pointant l'Iran comme étant la grande menace du Moyen-Orient, prônait une logique interventionniste à son égard, au nom du si malléable principe de droit d'ingérence. En rupture avec la démonstration du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, le 27 septembre 2012 devant l'Assemblée générale des Nations unies, tentant désespérément de prouver de manière scientifique l'urgence de fixer une ligne rouge au programme nucléaire iranien.
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Les parties actuellement présentes à Vienne, et malgré les divergences au sein même du 5+1, semblent vouloir réellement aboutir à un accord. Un accord complet, où l'Iran s'engagerait à fournir les preuves, peut-être en adhérant aux Traités de non-prolifération (TNP), qu'il a renoncé à acquérir la bombe atomique, et où les grandes puissances s'engageraient en contrepartie à lever les sanctions contre Téhéran. Un accord qui ouvrirait la voie à des négociations sur d'autres grands contentieux comme la guerre en Syrie et le combat contre l'État islamique (EI), ou même sur le dossier du Hezbollah. Un accord global donc, qui, selon les termes employés par Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l'Iran, dans un article du 21 novembre 2014 publié sur le site de L'Orient XXI, « changerait la face du Proche-Orient ». Cela dit, ce que l'expert nomme « la normalisation des rapports avec Téhéran » ou encore le « retour à l'équilibre » relève jusqu'alors essentiellement de l'ordre de la potentialité. Une forte potentialité certes, mais que les acteurs politiques n'avaient pas encore réussi hier soir à convertir en engagements réels. Deux scénarios apparaissaient alors probables : soit la conclusion d'un accord solide, peut-être pas définitif mais hautement symbolique, soit la prolongation des négociations pour une durée de six mois ou d'un an.
Si les 5+1 et l'Iran parviennent à un accord...
Sur la scène internationale, le président des États-Unis, Barack Obama, semble avoir fait du règlement de la crise iranienne une de ses priorités. Probablement parce qu'il a très vite compris qu'il ne pourrait pas obtenir d'avancée majeure sur la crise israélo-palestinienne et surtout parce que sa politique de désengagement régional semblait fortement contradictoire avec une marginalisation d'une des seules puissances stables de la région. Si l'accord aboutit, M. Obama obtiendra une victoire politique d'autant plus importante que la charge de le préserver incombera à son successeur. Côté iranien, le guide suprême Ali Khamenei, tout comme le président Hassan Rohani ont conscience de l'importance politique interne de cet accord pour la survie du régime islamique. Une très grande partie de la population ne peut plus supporter le poids économique des sanctions, et les dirigeants semblent vouloir la rassurer pour ne pas mettre en péril l'équilibre du régime. Si l'accord passe, les Iraniens devront le célébrer comme il se doit, et M. Rohani sortira en position de force par rapport à la branche plus conservatrice et radicale des parlementaires.
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Et si M. Hourcade estime que cet accord aurait « pour corollaire, au moins à court et moyen terme, un discours anti-israélien et un durcissement de la situation dans les domaines culturels, des droits humains et du statut des femmes », il ajoute que « le retour des entreprises occidentales » devrait « générer un changement profond et irréversible ». L'accord ne positionnerait pas l'Iran comme le nouvel allié des Américains. Loin de là. Il ne remettrait pas en cause l'alliance américaine avec Israël et avec l'Arabie saoudite. Non plus. Mais il permettrait, chose essentielle, une possible coopération, ou au moins un dialogue, concernant les crises en Irak, en Syrie, à Gaza, au Yémen, à Bahreïn, en Afghanistan, au Pakistan, mais aussi au Liban.
Si les 5+1 et l'Iran décident de prolonger les négociations...
À l'heure actuelle, un prolongement de la durée des négociations, de 6 à 12 mois, apparaît hautement probable. Cette solution semble être privilégiée par Téhéran. Cela dit, il n'est pas évident d'en saisir la logique. Tout d'abord parce que les termes sont sur la table depuis des années et que les négociations sont devenues très sérieuses depuis déjà un an. Les acteurs auront ainsi du mal à justifier un manque de temps. Ensuite, parce qu'une prolongation est un risque de voir des événements à l'échelle internationale, mais surtout à l'échelle interne, fragiliser les possibilités d'accord. Une prolongation serait perçue comme un petit échec, et, des deux côtés, les franges les plus conservatrices pourraient en profiter pour discréditer l'idée même d'une négociation. Sauf si la prolongation ne concerne que des questions purement techniques et que ce soir, à l'issue du délai, les parties aient réussi à s'entendre sur l'essentiel. Ceci dit, les arcanes de l'Assemblée des experts à Téhéran et celles de la Maison-Blanche à Washington restent parfois bien tortueuses...
Voilà pour les prédictions. C'est désormais à ces ministres des Affaires étrangères réunis dans cette antichambre historique de la diplomatie mondiale qu'est Vienne d'avoir le courage politique, l'audace et le côté visionnaire de les concrétiser. Ou de les réfuter, et d'en assumer les conséquences.
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commentaires (5)
Cet "accord" sera d'office signé par ces mollâhs Per(s)cés, sinon ils seront "vitrifiés" ! Toujours selon le Président Chirac.
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
14 h 09, le 24 novembre 2014