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Culture - Bilan

Grands bonheurs et petites misères du Salon du livre francophone

Organiser un Salon du livre francophone, le 21e, dans la situation actuelle du pays est une gageure. Un défi relevé une fois de plus avec bonheur. C'est ce qu'on appelle la résilience. Culturelle. La seule, la vraie et l'unique dans ce pays qui va à vau-l'eau. Tour d'horizon...

La fête des 90 ans au stand de « L’Orient-Le Jour ». Photos Michel Sayegh

Aucun événement n'est idéal dans l'absolu. Que serait-ce lorsqu'il s'agit d'organiser un Salon du livre francophone, avec tous les aléas que cela suppose dans ce pays?

«C'était un bon Salon, mais...» Petite réflexion et grand débat chez les visiteurs, les libraires comme les éditeurs. Chacun y allant de son commentaire. Satisfait contrarié, avec quelques petites ou grandes misères relevées à l'unanimité cette année.

Les doléances

L'infrastructure d'abord. Les services. «Les parkings, un drame pour y entrer comme pour en sortir en raison des travaux qui transforment la route en piste...» «À l'intérieur, la moquette est une calamité, surtout pour les dames en talon...» «Et la cafétéria, un semblant d'espace étriqué, inhospitalier et pas suffisamment achalandé. C'est pourtant là que se donnent les rendez-vous pour se retrouver, discuter des auteurs, des rencontres, se reposer pour mieux repartir flâner entre les stands...» «Et ce fameux second week-end (7 et 8 novembre). Un enfer pour tous. Un véritable parcours du combattant pour accéder aux lieux, tant pour les exposants que pour les visiteurs...» C'est le grand «mais» enragé de ceux qui ont passé des heures bloqués en voiture, fait une partie du trajet à pied et, pire, qui n'ont pas pu y arriver.

Le contenu. Certains trouvent qu'«on prend les mêmes et qu'on recommence. Toujours les mêmes intervenants, animateurs et souvent même auteurs invités, formant un club encore plus évident cette année», dit une fidèle du Salon, comme pour insister sur cette «équipe immuable qui semble faire la pluie et le beau temps»... Et la qualité des intervenants était, elle aussi, très inégale. «Il y avait parfois une belle cacophonie avec une sono calamiteuse où on entendait tout et rien à la fois en raison de la trop grande proximité des lieux consacrés aux rencontres et débats...» «Un manque d'annonce à l'avance pour les signatures et les débats. Le faire aurait permis à tout un chacun d'organiser son temps... Une annonce sur le site aurait suffi...» Et enfin, «l'absence d'une remise plus consistante sur le prix des livres, ce qui aurait été intéressant à cette occasion et en cette situation particulière de crise...».

La mise au point du Biel

À toutes ces doléances, les divers responsables apportent chacun ses réponses. Certaines sont évidentes et convaincantes. D'autres moins.
Pour les parkings, la cafétéria, la moquette et le triste second week-end d'embouteillages, Ramy Joueidy, directeur du Biel, s'explique: «Les travaux sur le bord de mer sont décidés par l'État et s'inscrivent dans le cadre d'un plan général des projets de la ville de Beyrouth. Par conséquent, le Biel n'a aucune prise là-dessus.» Quant à la moquette, ce responsable est tout étonné qu'on s'en plaigne puisqu'«elle est arrachée et remplacée par une nouvelle à chaque nouveau Salon. Quel qu'il soit».

Joueidy est, lui aussi, critique pour la cafétéria. Il est «conscient du problème. C'est dérangeant, mais je vais m'en occuper. dit-il. Le service complet devrait être meilleur dans l'absolu, mais la situation économique est difficile pour ceux qui s'en occupent. D'autre part, le manque d'espace a porté les organisateurs à soustraire quelques mètres carrés aux cafétérias pour en faire profiter les exposants.»

Pour l'affreux week-end d'embouteillage, Joueidy est catégorique: «L'an dernier, le Biel avait sensiblement le même programme: les deux Salons, du livre et du chocolat, se déroulaient à la même date, comme le marathon d'ailleurs. Qu'y a-t-il eu de changé? C'est probablement un embouteillage comme tous les autres...» Et peut-être, faut-il ajouter, une combinaison d'embouteillages classiques que connaissent les routes de ce pays, et davantage de visiteurs le dernier week-end puisque, cette année, la fréquentation du Salon a enregistré une augmentation de 16%! Allez savoir.
«D'autre part, dit enfin Ramy Joueidy, nous avons essayé, avec les organisateurs, de déplacer le Salon une semaine plus tôt. Mais cela n'était pas possible pour plus d'une raison.» Des réponses qui ont l'avantage d'être claires.

L'argumentation de l'IFL

«Le Salon du livre francophone est organisé par l'Institut français, en partenariat avec le syndicat des éditeurs, les libraires et d'autres fidèles partenaires comme L'Orient-Le Jour et L'Orient Littéraire», dit Henri Lebreton, conseiller culturel près l'ambassade de France et directeur de l'IF du Liban. Tous les ans, ces partenaires incontournables de la francophonie sont là... Ils constituent l'équipe renforcée, très présente, avec l'IF comme maître d'ouvrage. « Pour les rencontres, il s'agit surtout de propositions des exposants, des éditeurs et des libraires. »

«Nous regardons toujours s'il y a compatibilité entre les intervenants. Certains pensent que ce n'est pas toujours le cas, dit pour sa part Thierry Qinqueton, chef du Bureau du livre et des médiathèques et cheville ouvrière du Salon. Mais nous avons une petite expérience dans le domaine. Sur une même rencontre, nous essayons de réunir un auteur libanais et un autre français... Il est très important d'avoir une rencontre à deux voix. La logique générale est de rassurer le public.»
Pourquoi tel auteur et pas un autre? «Le choix est fait en fonction de l'actualité littéraire, et la possibilité pour l'auteur de répondre à l'invitation. Côté animation, nous avons besoin de personnes rompues à la communication avec le public», insiste encore le responsable qui évoque une règle absolue, celle du refus de l'autoédition, c'est-à-dire les livres à compte d'auteur. «Les ouvrages proposés relèvent de la maison d'édition qui s'engage sur la qualité de l'écrit.» Voilà qui est dit.

Côté sonorisation: «Certes, il faut améliorer le confort. Mais dans un événement comme celui-là, le débat se fait au milieu du Salon qui est essentiellement une grande librairie, mais aussi un lieu où sont organisées des rencontres», souligne Henri Lebreton.

Faudrait-il alors envisager un autre lieu avec des espaces plus grands, ou reintégrer l'autre côté du Biel doté de salles assez espacées l'une de l'autre? Quant à l'annonce des événements bien à l'avance, surtout les signatures: «Les organisateurs ne peuvent pas imprimer plus tôt les programmes qui restent souvent sujets à changement. C'est pourquoi ils sont distribués à l'entrée du Salon.» C'est ce que relève un membre de l'équipe organisationnelle.

Enfin, pour en revenir aux remises qui n'excèdent pas les 10%, un éditeur-libraire fait ses calculs pour lui comme pour tous ses collègues: «Les remises que nous avons sur le livre français sont de l'ordre de 30 à 40%. En comptant les frais de transport par avion, il nous reste 25% auxquels nous ajoutons ce qu'on appelle un "tabel" dans le jargon du métier, correspondant à d'autres frais. C'est ce "tabel" que nous réduisons pour le Salon, et il nous reste presque 25% de bénéfices. Il faut savoir qu'en librairie, le Libanais paie le livre français 10% de plus qu'en France, alors que le Suisse, lui, plus proche de l'Hexagone, l'achète 30% plus cher.»

Une fête malgré tout

Mais ce Salon est une aubaine pour les francophones, lecteurs, libraires et éditeurs qui se félicitent, par ailleurs, de ces moments de joie volés à un quotidien d'une tristesse sans nom. Les éditeurs se disent satisfaits malgré certaines remarques à faire. Les libraires assurent avoir fait bonne recette. Tous heureux de voir une telle fréquentation et un tel bonheur des visiteurs d'être là.
Beaucoup de lecteurs ont découvert de «véritables petites pépites dans le lot des auteurs français présents». Plus que les débats, ce sont les échanges informels avec le public, jeune surtout.

Une initiative de l'IF du Liban intéressante à plus d'un titre aura été l'édition d'un catalogue «présentant une sélection d'ouvrages publiés en arabe. Il est destiné aux professionnels francophones – notamment français – du livre...», qui pourraient être intéressés par leur traduction.
Et puis peut-on ne pas saluer les efforts du Bureau du livre et de l'équipe de communication avec la presse, toujours présents, à l'écoute de tout un chacun?

Quelques idées à brasser

Un Salon réussi donc? Assurément. Une garantie d'un succès encore plus fort serait de l'inscrire dans la vie culturelle de la capitale en créant des animations en ville. En d'autres termes, ce Salon pourrait instaurer une dynamique, un réseau, un décloisonnement certain en s'associant à des théâtres, des galeries d'art, des groupes de musique par exemple qui pourront y participer, chacun à sa façon.

Par ailleurs, présenter des auteurs français connus et reconnus est un must. Mais pourquoi ne pas aller aussi vers d'autres écrivains francophones du Machrek, du Maghreb ou d'Afrique qui sont de véritables creusets de talents. Offrir, en somme, un regard croisé. Puisque nous avons la langue en partage, pratiquons à fond la francophonie.

Enfin, pour intéresser davantage les jeunes, un «chèque-livre» pourrait être créé à leur intention, à l'instar de ce qui se pratique au Salon de Montreuil. C'est-à-dire établir un nombre important de chèques d'un montant modeste chacun, de quoi permettre d'acheter un ou deux ouvrages par exemple. Distribués aux écoliers, ces chèques-livres seraient sponsorisés par des entreprises, des institutions diverses. Les modalités restant à définir quant à la visibilité des sponsors.


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Aucun événement n'est idéal dans l'absolu. Que serait-ce lorsqu'il s'agit d'organiser un Salon du livre francophone, avec tous les aléas que cela suppose dans ce pays?«C'était un bon Salon, mais...» Petite réflexion et grand débat chez les visiteurs, les libraires comme les éditeurs. Chacun y allant de son commentaire. Satisfait contrarié, avec quelques petites ou grandes misères...

commentaires (3)

Encore une petite remarque: les livres du Prix Nobel de Littérature 2014, Patrick Modiano, étaient absents du Salon! Inadmissible...

Georges MELKI

12 h 20, le 24 novembre 2014

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Commentaires (3)

  • Encore une petite remarque: les livres du Prix Nobel de Littérature 2014, Patrick Modiano, étaient absents du Salon! Inadmissible...

    Georges MELKI

    12 h 20, le 24 novembre 2014

  • En dépit de toutes les petites "emmerdes", ce Salon était très réussi, comme chaque année d'ailleurs...Imaginez un peu Beyrouth sans ce Salon! Mais les changements de programme sont parfois gênants: la signature de l'Extravagance de Salah Stétié, que j'attendais impatiemment, était prévue pour le jeudi 6 novembre, 19 heures...Il y avait même une table avec son nom dessus, mais il s'est absenté ce jour là...J'ai donc raté une rencontre avec notre "contemporain capital" de la francophonie.

    Georges MELKI

    11 h 25, le 24 novembre 2014

  • C'est vrai qu'il y règne une atmosphère (intellectuelle et sociale) très particulière, que ce salon grouille toujours de monde. Les organisateurs en évaluent toujours les dysfonctionnements pour y remédier. Que peut-on leur dire de plus qu'un grand merci pour ce très bel événement, très attendu de tous?

    NAUFAL SORAYA

    07 h 09, le 24 novembre 2014

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