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Fêtes et gestes

Tout au long de l'occupation syrienne, année après année et au risque de passer pour un trouble-fête, ce journal ne s'est pas privé d'ironiser sur le caractère surréel des festivités marquant l'anniversaire d'une indépendance inexistante. Les Syriens sont partis, les Israéliens aussi, mais le Liban est-il vraiment indépendant pour autant ?

Depuis six mois, le pays est sans président, dans l'attente des bazars extralibanais qui permettraient de garnir le poste. Aussi faut-il savoir gré au Premier ministre Tammam Salam d'avoir, en signe de respect pour la magistrature suprême, annulé les festivités de l'Indépendance, que préside invariablement, exclusivement, le chef de l'État.

Six mois sans président. Merci encore Tammam Salam qui a tenu, jeudi, à s'entourer des membres de son gouvernement pour donner lecture du message traditionnel de l'Indépendance, normalement prononcé par le pensionnaire du palais de Baabda. En ces temps d'hérésies constitutionnelles, se trouvait ainsi consacrée, dans les faits, la règle constitutionnelle voulant que ce n'est pas un personnage, aussi haut placé soit-il, qui peut suppléer au président, mais le Conseil des ministres réuni : en l'occurrence une bonne trentaine d'Excellences ! Last but not least, c'est la teneur même du message de jeudi qui mérite d'être chaudement applaudie.

Car voilà bien, enfin, un responsable qui, dans les moments graves, se contente de dire la vérité, rien que la dure, la triste vérité, dépouillée de tous les baumes factices que peut receler la langue de bois. Se refusant à recourir au flou artistique, à l'art figuratif ou carrément abstrait, il a courageusement entrepris, au contraire, de brosser à l'intention des citoyens un tableau on ne peut plus réaliste (et donc alarmant) de la situation. Cela dans un pays où l'œuvre titanesque des pères fondateurs est menacée par les dérives actuelles et passées : où la légitime course au pouvoir se traduit par une sape méthodique des institutions étatiques.

Il reste qu'en matière d'observation des règles, autrement dit de savoir-vivre politique, il n'y a pas que des Salam dans le cabinet Salam. Aux quatre coins du pays, les tombes des héros et martyrs de l'indépendance ont été fleuries, comme l'exige, président ou pas président, le devoir de gratitude et de mémoire. Mais de là à singer les présidents, comme s'y employait hier, sans crainte du ridicule, le ministre des AE...

Une fois l'an – et une fois seulement –, c'est le président de la République – et seul le Président – qui reçoit, en son palais, l'intégralité des ambassadeurs et chefs de mission accrédités à Beyrouth, pour un traditionnel échange de vœux du Nouvel An. Le ministre Gebran Bassil, lui, affectionne apparemment le mélange des genres : à preuve ce projet farfelu de mettre le palais Bustros à l'heure de Star Academy en instituant des prix récompensant les diplomates de l'année. Là ne finit pas cependant son goût du showbiz. Car sans s'arrêter à des détails aussi futiles que la singularité des circonstances et la spécificité des fonctions, c'est dans ses propres bureaux que le ministre convoquait hier le ban et l'arrière-ban du corps diplomatique pour gloser – l'occasion était trop belle – sur les exigences de l'indépendance.

Les circonstances, c'est-à-dire l'absence prolongée d'un président élu, Gebran Bassil les a déplorées, c'est vrai, encore que son propre bord politique, dominé par le Hezbollah, n'est certes pas pour peu dans l'impasse actuelle. On trouve d'ailleurs plus d'une contradiction, tout aussi flagrante, dans son énoncé des critères qui, selon lui, sont ceux d'une diplomatie libanaise indépendante. Tout en se félicitant de la participation du Liban à la lutte internationale contre le terrorisme, il prône ainsi la neutralité du Liban face aux crises régionales, alors même que ses alliés du même Hezbollah sont impliqués jusqu'au cou dans les combats de Syrie. Et si Bassil prie les diplomates étrangers d'éviter de s'ingérer dans nos affaires intérieures, il oublie un peu vite avec quelle ferveur ses alliés du Hezbollah, encore et toujours lui, se disent soldats aux ordres de l'ayatollah Khamenei.

Une question, pour finir : quel diplomate présent a-t-il pu être convaincu par aussi peu diplomatique péroraison ?

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Tout au long de l'occupation syrienne, année après année et au risque de passer pour un trouble-fête, ce journal ne s'est pas privé d'ironiser sur le caractère surréel des festivités marquant l'anniversaire d'une indépendance inexistante. Les Syriens sont partis, les Israéliens aussi, mais le Liban est-il vraiment indépendant pour autant ?
Depuis six mois, le pays est sans président,...