Rechercher
Rechercher

Économie - Par Barry EICHENGREEN et Dominico LOMBARDI

L’Ukraine, le FMI et le reprofilage de la dette

Dominico Lombardi est directeur du programme d’économie mondiale du Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale à Waterloo, au Canada.

L'Ukraine est minée par l'insécurité – l'insécurité géopolitique, mais aussi économique. Sa production est en chute libre, son déficit extérieur explose et le coût de ses emprunts atteint des sommets alors qu'elle a plus que jamais besoin de financements.
Le FMI, qui a conscience de ce danger, a approuvé en avril un prêt de 17 milliards de dollars pour stabiliser son économie et éviter qu'elle ne se trouve en défaut de paiement. Mais il a péché par excès d'optimisme quant aux perspectives du pays et à sa capacité à assainir sa situation financière. Il est maintenant évident que les 17 milliards ne suffiront pas.
Le FMI espérait que les tensions avec la Russie allaient se dissiper et inciter de nouveaux prêteurs à intervenir. Il s'est passé l'inverse : la prolongation du conflit a compliqué l'évaluation des risques et restreint les possibilités de financement extérieur pour l'Ukraine, ce qui accroît la probabilité d'un défaut de paiement désordonné.
Dans un contexte normal, cela ne susciterait pas beaucoup d'inquiétude. Jusqu'à la fin de l'année dernière, sa dette publique ne dépassait pas 40 % du PIB. Néanmoins, il est compréhensible que peu d'investisseurs soient disposés à prêter davantage à l'Ukraine.
Le problème du manque de liquidité à court terme servira à mesurer sa capacité à honorer ses dettes. Ce n'est pas satisfaisant et cela aurait pu être évité. La situation dans laquelle se débat l'Ukraine met en évidence la nécessité d'un cadre reconnu qui permette de résoudre les difficultés liées à sa dette souveraine et de réguler les prêts du FMI.
Actuellement, si le FMI estime « hautement probable » que la dette publique d'un pays est soutenable, il lui accordera un prêt conditionnel, même d'un montant important, pour effacer l'ardoise. Mais il doit imposer une réduction de dette à ses obligataires si le pays en question se révèle insolvable, afin que ce dernier remplisse la condition voulue pour bénéficier de son aide.
Dans ce cadre, une restructuration est souhaitable, car cela évite que l'argent injecté par le FMI serve simplement à rembourser les créanciers d'un pays – ce qui se passe dans le cas de l'Ukraine avec la Russie. Et comme le FMI est pratiquement toujours remboursé, la restructuration évite d'imposer aux contribuables de mettre la main à la poche.
Cette stratégie est efficace dans certains cas, mais elle n'est pas adaptée à une situation très incertaine comme celle de l'Ukraine. Qui peut dire si sa dette est soutenable ? La réponse peut changer d'un jour à l'autre.
Pour résoudre ce problème, le FMI propose de « reprofiler » la dette d'un pays plutôt que de la restructurer. Cela consiste à allonger la maturité d'une obligation tout en préservant son principal et en général les coupons. Le pays concerné met alors en œuvre un programme de réformes et reçoit l'aide financière du FMI.
Cette stratégie doit donner davantage de temps à un État pour rembourser sa dette sans être contraint de faire défaut. Il peut ainsi restaurer sa croissance économique tout en gardant sous contrôle ses obligations liées à son endettement. Cela permet d'éviter le coût social et financier élevé d'un plan de sauvetage ou d'une restructuration désordonnée.
Le reprofilage ne sera pas simple à appliquer. Pour éviter d'exciter les marchés, il devra être volontaire. Persuader les obligataires de l'accepter ne sera pas facile – et le sera d'autant moins à la lumière de la récente décision d'un tribunal américain qui renforce le pouvoir des investisseurs. Mais il n'y a pas de meilleure alternative.
L'Ukraine est un candidat idéal pour le reprofilage. Étant donné les incertitudes quant aux perspectives à court terme de ce pays, un énorme plan de secours ou une restructuration en profondeur de sa dette ne seraient pas adaptés. Par contre, un allongement de la maturité de ses remboursements répond exactement à ce dont elle a besoin pour faire face à la tempête.
Mais pour suivre cette voie, le FMI doit supprimer un autre point noir de sa politique actuelle : la mesure « d'exemption systémique » introduite en 2010. Cette exemption a été créée pour la Grèce, car sa dette souveraine paraissait insoutenable, tandis que les membres européens du FMI craignaient qu'une restructuration ne provoque une contagion financière aux autres pays de la zone euro. En réaction à leur pression, le FMI s'est donné le droit de prêter aux pays susceptibles de faire défaut si c'est supposé menacer le système international.
Or, plutôt que de résoudre la crise, l'exemption systémique l'a prolongée. La dette grecque a commencé à devenir insoutenable, et elle l'est restée. Le plan de sauvetage de grande envergure du FMI et de l'UE n'a en rien catalysé l'arrivée de capitaux privés. En 2012, quand la restructuration inévitable a eu lieu, ce fut, selon l'expression du FMI, « trop peu, trop tard ».
Malheureusement, le reprofilage présente le même risque. Les investisseurs pourraient craindre que s'il y a reprofilage dans un pays, d'autres dans la même situation veuillent faire de même. Les États hésiteront à prendre position en faveur d'un reprofilage, de crainte de déstabiliser le système international (que ce soit justifié ou non), et inciteront plutôt le FMI à prêter davantage.
Les experts du FMI recommandent d'abolir cette exemption systémique. Mais des membres importants du Fonds (non seulement les pays de la zone euro frappés par la crise, mais aussi les USA) y sont réticents. Le FMI doit agir rapidement pour supprimer cette exemption systémique et favoriser un usage approprié du reprofilage de la dette souveraine. Des pays comme l'Ukraine en dépendent.

Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz
© Project Syndicate, 2014.

L'Ukraine est minée par l'insécurité – l'insécurité géopolitique, mais aussi économique. Sa production est en chute libre, son déficit extérieur explose et le coût de ses emprunts atteint des sommets alors qu'elle a plus que jamais besoin de financements.Le FMI, qui a conscience de ce danger, a approuvé en avril un prêt de 17 milliards de dollars pour stabiliser son économie et...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut