«Mais bon, il est gentil.» Haram. En gros, il ou elle est con. Voilà ce qu'est devenue la gentillesse. Un défaut. Une disposition d'esprit hautement suspicieuse. Une espèce de tare dont on affuble les autres quand ils ont «le malheur» de l'être. Comme si être gentil, bon ou agréable, peu importe, n'avait pas lieu d'être. Et donc, aujourd'hui, la gentillesse est notre plaisir interdit. Pas la violence, pas le sexe, pas l'argent. La gentillesse. Aussi absurde soit cette conception, elle est de rigueur. Les gens gentils sont des imbéciles. Allez comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à penser comme ça. Pourquoi cette qualité qu'on louait pendant des siècles est devenue has-been? Pourquoi la gentillesse est-elle aussi péjorative? Pourtant, il est de loin plus facile d'être méchant que l'inverse. Plus facile d'être blessant, condescendant, détestable, voire odieux. Plus facile de faire du mal que du bien.
La gentillesse est périlleuse. Un exercice où l'on se casse souvent les dents. Parce qu'elle nous expose aux autres, parce qu'elle repose sur la sensibilité aux autres. Parce qu'elle demande de l'empathie ou de l'identification, des sentiments. Le problème, c'est que l'ère d'individualisme dans laquelle nous avons plongé tête la première a travesti notre capacité à aimer les autres. On installe une distance entre eux et nous, pour nous préserver de toute douleur, comme si la solitude était le prix inévitable à payer pour se protéger. Difficile d'être gentil dans ces cas-là. Difficile de l'être quand on a peur. Mécanisme de défense. Je te déjeune avant que tu ne me dînes. Parce que si je suis gentil(le), c'est comme si je te montrais mon flanc. Parce que si je suis gentil(le), tu en profiterais. Parce que si je suis gentil(le)...
On pense qu'en likant un status sur les réseaux sociaux, en mettant un petit RIP quand un faux «friend» perd sa mère ou en souhaitant un joyeux anniversaire à quelqu'un qu'on ne connaît pas, on fait preuve de gentillesse. Oui... mais non. Pianoter sur un clavier, envoyer de petits «ça va?», ce n'est pas de la gentillesse. Ce n'est rien. C'est souvent du vent coincé entre deux messages envoyés ailleurs, entre deux lignes écrites en même temps. Rien qu'un courant d'air. Malheureusement, on a fini par se contenter du minimum syndical requis. Un sourire qui nous surprend, un «pardon» qu'on apprécie, un compliment qu'on ne comprend pas. On est toujours très étonné quand quelqu'un est gentil. Gentil avec nous. On nous remercie si on ouvre une porte, si on fait un geste, si on dit un mot sympa. C'est dire ce qu'il est advenu de nous. Des petits cœurs. Haram, elle est gentille.
Haram... On préférera utiliser un autre vocabulaire pour décrire quelqu'un de foncièrement bon. Tiens. Foncièrement bon. Il/elle a de la compassion, de la solidarité, de l'empathie. C'est un altruiste. Un vrai. Au cas où il y en aurait des faux. Ceux-là mêmes qui font semblant pour avoir quelque chose en retour. Quelque chose en échange. Quand on est gentil(le) par essence, quand c'est inscrit dans votre ADN, quand c'est votre pattern, ça se voit. Ça se sent. Pas besoin d'attendre quelque chose en contrepartie. What goes around, comes around. Le karma quoi. Ce n'est pas parce que Noël approche, pas pour une quelque rédemption ou la miséricorde, qu'on parle de gentillesse. Ni parce que c'était la Journée mondiale de la gentillesse il y a une semaine. Non, c'est juste comme ça. Parce que ça ne coûte rien et ça rapporte beaucoup. Même si c'est cliché, même si ça fait sentimental ou moraliste bon marché. C'est beau la gentillesse, au sens noble du terme – on est toujours obligé de le préciser. Bête et gentil? C'est toujours mieux que bête et méchant. Eux, ce sont les pires.
Lifestyle - Un peu plus
La gentillesse est une (vilaine) qualité
OLJ / Par Médéa AZOURI, le 22 novembre 2014 à 00h00
commentaires (5)
Et chiant aussi....
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
17 h 28, le 22 novembre 2014