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Nos Lecteurs ont la Parole - Georges TYAN

Questions idiotes

En lisant le témoignage de l'ancien ministre Marwan Hamadé devant le TSL sur les relations du président Rafic Hariri avec le régime syrien et par ricochet avec le président Émile Lahoud, je me suis souvenu de ma première entrevue avec ce grand homme.
Entrevue privée, contrairement aux précédentes où il y avait foule, une quarantaine de personnes entre chefs d'entreprise, avocats, médecins, ingénieurs, responsables d'institutions financières, appartenant aux communautés chrétiennes. Il prenait un plaisir certain à écouter les interventions, donnant une attention particulière aux remarques, suggestions et plaintes des intervenants.
Réunion au cours de laquelle le président Hariri m'avait demandé de rejoindre la liste que, de concert avec Fouad Boutros, il avait formée pour participer à l'élection du conseil municipal de la ville de Beyrouth de 2004, leur choix s'étant porté sur des personnes représentatives des familles de la capitale.
J'avais fait remarquer au président Hariri que je suis fondamentalement contre toute atteinte à la Constitution, à son amendement pour uniquement proroger le mandat présidentiel. Bien qu'au courant de sa position sur ce sujet, je me suis permis d'ajouter qu'au cas où il y donnerait son aval, je pourrais avoir à son encontre une réaction en flèche, et d'amis nous deviendrions le cas échéant ennemis.
Levant les yeux sur la hampe du drapeau national auprès de lui, il me rétorqua dans un large sourire où pointait quand même une pointe d'amertume : « Mon ami, si vous croyez que les bastonnades – verbales s'entend – et les problèmes auxquels je suis en butte existent parce que je porte à bout de bras la prorogation, vous vous trompez énormément. Ce dont vous voulez un mètre j'en veux dix. »
Notre poignée de main scellant le long chemin que j'escomptais faire avec ce géant fut tout autre que les précédentes, qui étaient molles, voire flasques, impersonnelles. Celle-ci était forte, franche, directe, pleine de paroles non dites, de beaucoup d'appréciation et d'estime, comme j'en fus informé plus tard.
Rafic Hariri a par la suite jeté du lest, il a accepté la prorogation au prix d'une main tordue et de beaucoup d'amour-propre froissé. Allant même plus loin, il avait rameuté le ban et l'arrière-ban de ses amis et alliés, dont nous en tant que conseil municipal de Beyrouth, insistant pour nous rendre au palais de Baabda féliciter son locataire pour la reconduction, quoique partielle, de son bail.
J'avais ce jour-là, au grand étonnement de quelques collègues connaissant mon avis tranché au sujet de la sacralité de la Constitution, accepté de les accompagner, proclamant, sans doute pour me dédouaner à mes propres yeux, que « seuls les imbéciles ne changent pas d'avis ».
Ce faisant, Rafic Hariri avait pensé donner au monde l'image d'un Liban uni, peut-être prendre un nouveau départ, donner sa chance à un impossible dialogue, appréhendant courageusement un avenir qu'il voulait radieux, prometteur, avançant à pas assurés dans ce siècle nouveau. Il voulait tout simplement, par la reconstruction, faire oublier les affres de la guerre. Hélas, il n'en fut rien.
Et à la barre des témoins du TSL, Marwan Hamadé, atteint dans sa propre chair, de mettre ses talents de narrateur au service de l'accusation, nous faisant revivre intensément les moments forts du duel entre la lumière et l'obscurantisme.
Walid Joumblatt, demain s'il est convoqué, en dira encore plus peut-être. Ira-t-il jusqu'à évoquer le sombre tableau de la terreur personnelle qu'il a vécue, l'insoutenable pression de ceux-là mêmes qui ont tué son père ? Ému, racontera-t-il son chemin de croix à côtoyer un régime qu'il fut forcé d'encenser, d'applaudir, alors qu'il l'abhorrait. Ou par pudeur le taira-t-il ?
Avant eux, d'autres personnes bien ou peu connues ont témoigné devant le TSL, accablé le régime syrien, son président, ses hauts commissaires qui étaient reçus aux tables les plus huppées de la ville, entourés de beaucoup d'égards, d'honneurs et de fierté, nonobstant leurs origines rustres, leur inculture, leurs mauvaises manières, leur grossièreté, juste pour être dans leurs bonnes grâces, s'attirer leur bienveillance et vaquer tranquillement (avec eux) aux magouilles.
Rafic Hariri savait pertinemment que ces pratiques minaient dangereusement la souveraineté de notre pays. Comme Bachir Gemayel, mais avec une approche différente, il travaillait à libérer le Liban des tentacules du régime syrien qui, à tous les niveaux, étouffaient sa souveraineté.
Son dessin était de relever le Liban, lui redonner sa place de plaque tournante commerciale, touristique et culturelle du Moyen-Orient. À plus ou moins brève échéance, cela aurait amené les pays qui ont champignonné dans la région à péricliter et disparaître.
Quand on remarque les immenses moyens en hommes, matériel et fonds mis en œuvre, pour faire émerger ces paradis du sable qui naguère recouvrait ces régions, la manne que les puissances régentant le monde engrangent à travers leurs expatriés, les conseillers, les tonnes d'armes inutiles qu'elles leur imposent d'acheter au prix fort, cet homme qui venait contrecarrer des plans minutieusement élaborés devait disparaître.
Son rêve, le nôtre, celui de tous ceux qui croient en ce pays, espérant des lendemains meilleurs, sont devenus cauchemars. Ceux qui sont morts l'auront été pour rien, le Liban doit continuer perpétuellement à se lamenter.
Le régime syrien, témoigne encore Marwan Hamadé à la barre du TSL, considérait les dirigeants libanais comme des moins que rien, et bien que l'implication de ce régime dans l'assassinat du président Hariri ne fasse pas l'ombre d'un doute et qu'il s'était érigé responsable sécuritaire unique de notre pays, je persiste à croire que ce régime inique, baignant en ce temps-là dans toute sa gloriole, n'aurait jamais osé entreprendre pareille gageure sans un énorme feu vert venu d'outre-mer. Et c'est par là également qu'à mon humble avis il faut enquêter.
Actuellement, le régime syrien est faiblard, il n'est plus que l'ombre de lui-même. Les dirigeants de notre pays sont-ils pour autant devenus des plus que rien ?
Quand on s'aperçoit que ces mêmes dirigeants n'on jamais été capables de respecter les normes d'une seule échéance cruciale pour le pays, qu'ils persistent à servir leurs propres intérêts contre ceux du peuple, qu'ils sont perpétuellement à l'écoute non des gémissements de leurs concitoyens, mais de l'étranger, mieux vaut ne pas poser des questions idiotes.

Georges TYAN

En lisant le témoignage de l'ancien ministre Marwan Hamadé devant le TSL sur les relations du président Rafic Hariri avec le régime syrien et par ricochet avec le président Émile Lahoud, je me suis souvenu de ma première entrevue avec ce grand homme.Entrevue privée, contrairement aux précédentes où il y avait foule, une quarantaine de personnes entre chefs d'entreprise, avocats,...

commentaires (3)

LE FASCISME PERSONNIFIÉ !

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 22, le 23 novembre 2014

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Commentaires (3)

  • LE FASCISME PERSONNIFIÉ !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 22, le 23 novembre 2014

  • Ce ne sont que des Vichystes, tout simplement.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    17 h 36, le 22 novembre 2014

  • Et dire qu'il y a encore des Libanais qui se battent pour sauver ce regime....pauvre de nous

    Houri Ziad

    16 h 03, le 22 novembre 2014

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