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Nos Lecteurs ont la Parole - Nathalie SAAD

À nos indépendances !

Face à la mer, sous un ciel nuageux et gris, je te regarde longtemps en silence. Qui sait comment j'arrive encore à t'aimer malgré tout ce que tu m'as fait endurer ? Conflits interminables. C'est bizarre comment j'ai réussi à te pardonner toute cette guerre que tu m'as fait subir et qui m'a volé mon enfance, mon adolescence et ma jeunesse. Cela fait longtemps que je veux partir, m'en aller loin de toi. Voler de mes propres ailes. Et pourtant, me voilà aujourd'hui encore ici à te regarder en silence.
Tu es déjà septuagénaire. Tu fêtes bientôt tes 71 ans... 71 ans de quoi déjà ? De vie ou de survie ? Presque tous tes fils t'ont abandonné et émigré. Es-tu vraiment né en 1943 ou bien avant ? Tu es deux, trois, quatre, mille fois millénaire. Mon Dieu, que tu parais vieux !
Est-ce le poids des années qui te courbe le dos ou bien celui des tabous ? Je déteste te voir dans cette posture : recroquevillé, soumis et vaincu. Mais redresse-toi donc ! Dis, n'as-tu jamais été libre et indépendant ?
Libre d'aimer sans être jugé. Libre de penser sans préjugés. Je ne veux pas te ressembler, ni même t'appartenir. Je n'appartiens à personne, moi. À personne ! Et pourtant, bon gré, mal gré, je te ressemble un peu quelque part. Moi aussi, comme toi, je cours toujours après mon indépendance. J'en rêve jour et nuit. Je la vois défiler devant moi, parader avec toute la bande. Mon indépendance, ma liberté...
Face à la mer, je te regarde longtemps en silence. Dieu, ce que nous nous ressemblons ! Comme moi, tu es unique dans ta pluralité, tes identités multiples. Je t'aime aujourd'hui et je t'aimerai pareil dans un autre siècle et sous un autre ciel. Tu es mon âme sœur. Et pourtant, on se fuit. Toi aussi, tu te leurres d'être libre et indépendant. En réalité, tu es prisonnier de tes démons et de ton passé.
Face à la mer, je te regarde en silence : déchiré, humilié, bafoué, en train de flotter toujours dans les airs comme un aigle. Solitaire comme ton cèdre planté au milieu du blanc sidéral et du sang de tes martyrs. Une pluie fine tombe du ciel. Je sèche les gouttes qui s'écrasent sur mon visage. Dis, serons-nous jamais indépendants ? Des fils barbelés nous séparent. Tu m'ignores, tu fais comme si je n'existais pas. Mais quand comprendras-tu que tu ne seras jamais indépendant, ni demain ni dans un million d'années, tant que tu me dénigres et que tu ne m'accordes pas ma liberté, ni mon indépendance. À moi, moi, moi la femme, la vraie, l'authentique. Celle qui engendre les véritables hommes et femmes d'État.
Ils disent que tu es « tout », mon Liban. Je regrette de te le dire, mais sans moi, tu seras à jamais « rien ». Le soleil se couche à l'horizon et la mer devient rouge comme du vin. Allez, trinquons : à nos indépendances !

Nathalie SAAD

Face à la mer, sous un ciel nuageux et gris, je te regarde longtemps en silence. Qui sait comment j'arrive encore à t'aimer malgré tout ce que tu m'as fait endurer ? Conflits interminables. C'est bizarre comment j'ai réussi à te pardonner toute cette guerre que tu m'as fait subir et qui m'a volé mon enfance, mon adolescence et ma jeunesse. Cela fait longtemps que je veux partir, m'en aller...

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