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Nos Lecteurs ont la Parole - Amr JOMAA

Te révolter, tu ne feras point

Soyez beaux, soyez chics et mondains, soyez #inlove encore plus qu'hier, cultivez des corps prêts à bronzer dans un pays qui ne connaîtra bientôt plus d'hiver.
Surconnectés via notre éclatante figure filtrée sur les réseaux sociaux, la révolte des « shares » est notre fracassante spécialité, à nous autre Libanais, et contrairement aux mezzés on ne risque pas de la nous dérober, car dans notre croisade guinnessienne et patriotique du plus grand hommos, nous bravons vents de mégas épuisés et marées de réseaux laissés sciemment atrophiés pour mettre à jour nos statuts et « walls », véritables salons électroniques dans un Liban 2.0.


Parfois, l'indignation est si intenable et le soulèvement tellement irrépressible que l'on prend, par élan révolutionnaire, jusqu'à la peine de partager, d'un clic presque inconscient, un article par semaine.
Et oui, nous nous offusquons du clavier pour les droits de la femme, nous nous indignons avec un panache majusculaire contre la maltraitance des animaux et nous irions même jusqu'à débattre, sur Facebook, de tout, et surtout de rien, afin de récolter, avec liesse, des « likes » et, qui sait, peut-être bien 3 « shares » et un « friend request » d'un potentiel prince charmant.
Joie, éclat et notoriété.


Mais sortir de son diwan, de sa chambre, de son caza et de son quartier pour se révolter ! Pardon ? Oh Dieu, enfin doux Jésus, ou ya Mohammad ! Car, bien des années après 43, 75, 90 et 2005, il est de notoriété que l'autre, quel qu'il soit, n'a pas la même déité ; son dogme l'exclut de mes cieux à moi, à quoi bon rêver d'un lendemain différent avec lui ?
Où sont votre rage démocratique et vos élans féministes quand un Parlement, dans son immense majorité acquis aux dogmes du patriarcat « weina Caroline », du zaïm-isme Bab el-Tebbané et du rayess-isme clientéliste, prolonge, en catimini, son mandat ?
Où sont votre fierté et votre nationalisme-taboulé, quand les jours s'écoulent dans une république fantôme ridiculisée par l'absence de président ?
Où sont votre fierté et vos valeurs quand chaque jour le Liban s'enfonce dans le règne de la corruption, du népotisme et de l'impunité pour ceux qui accaparent le sommet d'institutions tantôt mort-nées tantôt délibérément assassinées ?


Mais n'oublions pas que le pays du Cèdre se présente et se construit comme un exemple de progrès dans le monde arabe ; sa démocratie, quand il s'agit de placer sur la tête d'une reine de beauté une couronne éclatante la sacrant « Miss Liban », est d'une efficacité effarante. Et nous sommes les premiers à nous en réjouir, à grand renfort de « likes », de « shares » et de statuts enthousiastes. Car au Liban, ce concours demeure le seul fossile de démocratie participative et de règne non moustachu au sommet d'une quelconque institution, aussi dérisoire soit-elle, dans un pays où le vote n'existe plus que dans les jeux-concours des applications mobiles.
Alors que le Liban et les courageux qui s'y accrochent encore s'enfoncent dans un abysse sans fond et sans fin, sans forme et sans son, peut-être faudrait-il vous priver, nous priver de Facebook pour que nos gènes révolutionnaires ressortent. Ou renaissent.

Amr JOMAA
Université Jean Moulin Lyon III

Soyez beaux, soyez chics et mondains, soyez #inlove encore plus qu'hier, cultivez des corps prêts à bronzer dans un pays qui ne connaîtra bientôt plus d'hiver.Surconnectés via notre éclatante figure filtrée sur les réseaux sociaux, la révolte des « shares » est notre fracassante spécialité, à nous autre Libanais, et contrairement aux mezzés on ne risque pas de la nous dérober,...

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