Les cheveux dans le vent, respirant l'air parisien parmi une foule de touristes, au rythme des accordéonistes revisitant les classiques de la chanson française, je longe la Seine... Quelques années plus tôt, sur les bancs de l'école, rêvassant à la fenêtre, c'est vers ce cadre si mythique que je m'évadais.
Quitter Beyrouth et ses embouteillages, ses chauffards confondant les autoroutes et celles des jeux vidéo, les sifflets de la racaille traînant sur le trottoir. Quitter le Liban et ses coupures de courant, sa connexion Internet plus que lente, sa corruption, ses conflits politiques et religieux que je n'ai jamais essayé de comprendre, je ne pensais qu'à ça.
Aujourd'hui, je suis à plus de 3 000 kilomètres du Liban, de Beyrouth, de ma famille, de mes amis, de mon chien, de mes habitudes, de ma chambre, de mon cocon. J'ai beau être heureuse, épanouie et fière d'avoir atteint mon but, je ne peux m'empêcher de réaliser à quel point je suis attachée à ma patrie, à mon Liban. Ce pays que j'ai maintes fois insulté, ce peuple qui m'a tant exaspérée, cette langue que j'ai refusé de parler, ces « hayété » lancés à tort et à travers, ces déjeuners de famille chaque dimanche, ces couchers de soleil si uniques à Jbeil ou au Skybar me manquent terriblement.
Cette utopie parisienne, à laquelle j'aspirais si fortement, ne me déçois pas, loin de là. Elle m'a néanmoins aidé à concevoir l'importance d'appartenir à une nation et d'être fière de mes origines et de ma patrie ; parce que j'ai beau être charmée et envoûtée par la beauté des rues de Paris, si impressionnantes, du haut de tous ces bâtiments haussmanniens, ce ne sont pas « mes » rues. À mes yeux, elles ne valent pas les ruelles de Beyrouth respirant le parfum de mes plus beaux souvenirs. Ce ne sont pas ces rues qui m'ont vue grandir : ce n'est pas dans ces rues que je me baladais, bien installée dans ma poussette avec mon grand-père ; ce n'est pas dans ces rues que j'ai traîné les pieds, énervée en allant à l'école ; ce n'est pas dans ces rues que j'ai vu se manifester un peuple libanais assoiffé de paix, d'unité et d'indépendance, dans ces mêmes rues que j'ai vécu les moments les plus inoubliables de mon adolescence, de ma première cigarette, à mon premier baiser, à ces soirées qui se terminaient à la lueur du jour en revenant du BO affamée, arrivant à peine à marcher pour arriver à ZWZ, ou à ces autres soirs sur les trottoirs toujours aussi bondés, même en pleine semaine, de Mar Mikhaël ou de la rue d'Uruguay. Un train de vie exclusivement libanais, que l'on ne trouve pas ailleurs; une façon de croquer la vie à pleines dents, ou plutôt une façon de se voiler la face devant une réalité étouffante.
C'est ça la jeunesse libanaise. Une jeunesse qui profite à fond. Serait-elle inconsciente de tout ce qui se passe autour d'elle ? Courageuse peut-être? Ou tout simplement habituée, oui, habituée aux routes fermées par des manifestants brûlant des pneus, à entendre des coups de fusil ponctuant le dernier discours de Hassan Nasrallah, ou une explosion ravageant la banlieue sud. Nous y sommes tellement habitués que nous ne sommes même plus affectés. Plutôt paresseux. Mais peu importe. Je suis issue d'une génération qui a honte de ses origines, qui a honte de parler arabe, qui sous-estime le potentiel de son pays, une génération poussée par la précédente à aller voir ailleurs parce qu'il n'y a rien ici. Rien ? Nous n'avons peut-être pas de pétrole, presque plus d'eau, le taux de chômage est catastrophique, nous sommes menacés de tous les côtés, prisonniers des pires conflits, cependant nous ne devons pas négliger notre plus grande force, parce que la richesse que nous possédons est la richesse la plus belle et la plus profonde au monde, celle de la chaleur humaine, si unique, qu'on ne trouve nulle part ailleurs et qui nous permet de briller au-delà des frontières. Gibran Khalil Gibran disait justement : « Laissez-moi vous dire à présent qui sont les enfants de mon Liban... Ce sont les vainqueurs où qu'ils aillent, ils sont aimés et respectés où qu'ils s'installent. Ce sont ceux qui naissent dans des chaumières mais qui meurent dans les palais du savoir... » Tout comme lui, j'ai réalisé l'ampleur de cette force, maintenant que je vis dans un environnement où la loi du plus fort règne, où chacun ne pense qu'à sa peau, où les mots générosité et gentillesse riment avec intérêt et faiblesse, maintenant que je suis loin...
À mes yeux, tu n'as jamais été aussi beau qu'aujourd'hui, mon Liban, je ne t'ai jamais tant aimé et je m'excuse d'avoir attendu d'être si loin de toi pour réaliser à quel point je tiens à toi et à quel point je suis fière de faire partie de toi. C'est sur tes terres que je veux voir mes enfants grandir, c'est sur tes terres que je veux voir mes rêves et mes ambitions se réaliser, et c'est sur tes terres que je veux mourir. Et toi, mon Liban, de ton côté, ne me déçois pas, ne démolis pas cette image que j'ai de toi et promets-moi de toujours ressusciter de tes cendres et d'être pour toujours digne de tes cèdres.
À bientôt !
commentaires (5)
Bravo!!!... " On s'en va parce qu'on a besoin de se distraire... On revient parce qu'on a besoin de Bonheur... "
Nadine Naccache
11 h 01, le 22 novembre 2014