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Liban - Feuille de route

Le Temps du Tribunal

Il ne faut guère s'étonner qu'à Beyrouth, abandonnée à la sinistrose d'un hiver politique morne et glacé, les images en provenance de La Haye n'aient pas encore provoqué, hier, le séisme dévastateur qu'elles devraient générer.


Si lassitude il y a, si la fatigue s'est emparée des esprits et des cœurs avec la banalisation de la violence et de l'injustice dans cette partie du monde, au rythme des carnages et de la barbarie du régime syrien à l'encontre de son peuple – ainsi que de la prolifération des abominations comme Daech auxquelles il a ainsi ouvert la voie royale –, dans l'indifférence quasi générale de l'humanité, cela n'enlève rien au caractère proprement historique du témoignage de Marwan Hamadé devant le Tribunal spécial pour le Liban.
Chaque individu a pu suivre, hier, sur son petit écran, en direct d'une petite salle de tribunal à Leidschendam, un homme politique témoignant des avanies subies par toutes les composantes d'un peuple durant près de trois décennies.


Devant le Tribunal spécial pour le Liban chargé de faire la lumière sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, Marwan Hamadé a ainsi opposé l'image d'une culture de non-violence, en quête de justice et alliée au droit face à un pouvoir barbare qui continue de massacrer son peuple impunément en usant de tous les stratagèmes machiavéliques. Soljenitsyne avait pourtant averti le monde, en recevant son prix Nobel en 1972, après la terrible expérience du Goulag : « La violence trouve son seul refuge dans le mensonge, et le mensonge son seul soutien dans la violence. Tout homme qui a choisi la violence comme moyen doit inexorablement choisir le mensonge comme règle. »


Mais le monde avait choisi de ne pas écouter. Le Liban avait été laissé en pâture aux loups et chiens enragés du régime baassiste et de ses alliés, trente ans durant. Et le monde ne veut toujours pas écouter, voir, ou parler, comme le prouve son insupportable apathie face à la tragédie du peuple syrien.
En l'espace de trois séances, c'est-à-dire de quelques petites heures, Marwan Hamadé a déconstruit, démystifié, devant une justice que chacun, de Beyrouth à Bagdad, souhaite être transactionnelle, consolatrice, réparatrice, les perversions commises par un régime tyrannique et hégémonique durant plus de trois décennies à l'encontre du peuple libanais, du dévoiement de l'accord de Taëf à la désubstantialisation de la formule de coexistence, en passant par l'asservissement de tout un peuple par toutes sortes de mécanismes sordides et d'oppressions intolérables.


Qu'un tel régime, qui tranche les gorges de troubadours protestataires et les organes génitaux des préadolescents, ait été posé sur une table de dissection et découpé pièce par pièce hier, représente, en soi, un fait unique dans un monde arabe systématiquement livré aux bourreaux en tous genres.
Car, il ne faut pas s'y tromper, cette prestation n'était pas confinée à l'espace clos du tribunal. Elle n'était pas retenue, incarcérée, entre quatre murs, en dépit de l'étroitesse de la salle, et malgré le dépareillement, la sobriété, le minimalisme de l'image, aux antipodes du sensationnalisme et des coups d'éclats médiatiques.
Au contraire : la parole, hier, avait des ailes, magnifiée par un effet catharsis libérateur pour tout un peuple victime, sinon deux, libanais et syriens, frères de sang dans le statut de victime face au régime-bourreau. La parole était guérisseuse, régénératrice, comme celle de Perceval au Roi Pêcheur malade, moribond dans un environnement abandonné au pourrissement et à la décrépitude, dans le passage de la Légende du roi Arthur que l'anthropologue Mircea Eliade analyse dans Images et symboles.


À la seule évocation, sous la forme d'une question, du Graal par Perceval, le roi se lève de son lit de souffrance, les rivières et les fontaines recommencent à couler, la végétation renaît, le château est miraculeusement restauré, raconte Eliade. Quelques mots avaient en effet suffi pour régénérer la Nature entière. Or personne n'avait pensé, avant Perceval, poser cette question centrale – et le monde périssait en raison de cette indifférence. Il avait suffi, en d'autres termes, de poser le problème central, fondamental, celui du Graal, c'est-à-dire du salut, pour que la vie se régénère.


Dans son réquisitoire face au monde entier, ou plutôt pour le monde entier et son salut, Marwan Hamadé-Perceval témoignait hier pour l'Histoire, dans le cadre d'un temps qui n'a que faire des contingences politiciennes et de l'opportunisme cynique lié aux rapports de force. Un temps immuable, celui de la justice, de la vérité et de la mémoire ; le temps de l'exorcisme national du démon de la tutelle perverse, sournoise, sanglante, qui a fait tant douter le Liban et ses fils d'eux-mêmes, et qui pousse désormais, au cœur même de son antre maléfique, ses dernières exhalaisons, en dépit de tout et de tous.


Transfiguré par le courage et la douleur de ceux qui ont vu la mort de trop près, en octobre 2004, pour se contenter de vivre dans les ténèbres de l'affadissement, de la renonciation à soi, de la peur et de la servitude, Marwan Hamadé a en fait incarné, à La Haye, cette parole printanière et magnifique énoncée hier par les parents de Peter Kassig, dernière victime innocente du tandem mimétique diabolique Assad-Daech : « Le monde est brisé, mais il sera, à n'en point douter, ultimement guéri. »

 

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commentaires (12)

CORRECTION ! MERCI : ".... formidable Vertu que seul ce montagnard Sain éhhh Libanais parvient à pratiquer quand il se sent humilié...."

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

14 h 08, le 21 novembre 2014

Tous les commentaires

Commentaires (12)

  • CORRECTION ! MERCI : ".... formidable Vertu que seul ce montagnard Sain éhhh Libanais parvient à pratiquer quand il se sent humilié...."

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    14 h 08, le 21 novembre 2014

  • cher Michel Tes éditoriaux me raccrochent au PAYS malgré la distance... merci enoore et à bientôt j'espère . adel

    Hamed Adel

    10 h 31, le 21 novembre 2014

  • Attention à la grandiloquence qui efface les faits au profit, par exemple, d'un aveuglement global du "monde" à l'endroit d'un Liban abandonné dans les griffes syriennes....

    Beauchard Jacques

    11 h 15, le 19 novembre 2014

  • CORRECTION : LIGNE 4 " GRIMPENT "... MERCI.

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 57, le 18 novembre 2014

  • vouloir s'obstiner a comparer l'incomparable c'est etre cantoner dans nos préjuger !! une guerre est une guerre, un assassinat est un assassinat les 2 sont bien et de loin différents meme s'il est question de mort dans les 2 cas .. a bon entendeur salut !!! les verites vont sortir peu a peu et les coupables seront juger

    Bery tus

    16 h 52, le 18 novembre 2014

  • La justice devrait etre rendue un jour...j'y crois...

    Soeur Yvette

    15 h 10, le 18 novembre 2014

  • CLAP ...CLAP...CLAP ...de la fin , a la fin ... On applaudira de bon Coeur lorsqu'on nous sortira un tribunal qui jugera des crimes d'une occupation barbare et criminelle de 1982 a 2000 .

    FRIK-A-FRAK

    14 h 19, le 18 novembre 2014

  • A Mr Yves Prevost: Vois avec sans doute raison concenant la version du mythe de Perceval telle que donnée par Chrétien de Troyes. Je tiens cependant, par souci de précision, à dire que Mircea Eliade ne fait pas référence à Chrétien de Troyes, mais au mythe tel qu'il figure dans Perceval, aux éditions Hucher, p. 466, ainsi que dans From Ritual to Romance, aux éditions Cambridge, 1920, p. 12. Voir ELIADE, Mircea, Images et symboles, 1952, aux éditions Gallimard, 1980, p. 77-78, dans la section "Symbolisme du centre". Cordialement. Michel Hajji Georgiou

    L'Orient-Le Jour

    09 h 57, le 18 novembre 2014

  • LA JUSTICE DEVRAIT ÊTRE RENDUE ! MAIS JE ME DEMANDE POURQUOI ELLE MET 9 ANS POUR DÉMARRER... POURQUOI ELLE FLUCTUE AVEC LES FLUCTUATIONS POLITIQUES... ET SURTOUT ON NE SAIT QUAND ELLE SE PRONONCERA... ET COMBIEN DE MILLIARDS ELLE AURA COÛTÉE AU TRÉSOR D'UN PAYS DONT LES DETTES GRINPENT EN FLÈCHE PAR L'ABRUTISSEMENT DE SES ÉLUS ABRUTIS... QUAND CET ASSASSINAT EST UN SECRET DE POLICHINNELLE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 16, le 18 novembre 2014

  • Chacun a son musée imaginaire fait d'images, de paysages et de parfums…. de nèfles et de coings ; d'instants prodigieux ou de chagrins. Un bric-à-brac émotionnel dans lequel il suffit de puiser, pour qu'immanquablement le battement du cœur s'accélère. Et chaque Libanais Sain inclut dans 1 tel musée, la mer et le ciel libanais chaque journée dans Beyrouth sa Belle Cité : ses cieux et sa mer sont bleus.... à chantonner. Quant à ce Libanais-ci, le monde entier sait qu'il reste I r r é s i s t i b l e ; mais qui à part des Malsains en 8 songeraient à lui résister ? Bref, il marchera de nouveau à grandes enjambées, délié, bel épervier éhhh libanais fendant l'air et ré-optimisé ! C'est fou ce qu'il rit ce Libanais tel 1 nouveau-né ; surely parce que ça désinfecte du passé. C'est, en effet, l'histoire d'1 Grand Homme martyrisé, démembré et qui, inaltérable, ressurgit cependant que ses ennemis incrédules constatent qu’il reste souriant même après 1 attentat sauvage subi, "sévère" comme il se contente de le préciser en 1 imparable euphémisme ! Il suffit de bien l’ouïr. Pour ce qu'on devine de la manière dont il l’a vécu, et pour la façon désinvolte qu'il a de s'en souvenir le mot qui sied est Bravoure, avec ce qu'il y a de sûr narquois dans cette variété d'Héroïsme ! Et, bien sûr, de Dignité : formidable Vertu que seul ce Libanais Sain parvient à pratiquer quand il se sent humilié, offensé et bâillonné par ces Satanés Malsains bääSSyriens et/ou pro-bääSSyriens pseudo-libanais(h).

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    07 h 29, le 18 novembre 2014

  • Juste une petite correction: dans le conte du Graal de Chrétien de Troyes, Perceval n'a justement pas posé la question et,pour cette raison,est chassé comme un malpropre du château. Et quand il apprend tout ce qu'il serait advenu s'il l'avait fait, il n'a plus de cesse de retrouver le Graal pour demander "qui l'on en sert".

    Yves Prevost

    06 h 57, le 18 novembre 2014

  • E_xa_cte_ment ! Maintenant on peut affirmer que "deux peuples ont été et sont victimes" du régime criminel : le peuple libanais et, bien plus encore, le peuple syrien. Un régime monstre qui a enfanté DAECH, un monstre encore plus criminel et plus monstre que lui-même !

    Halim Abou Chacra

    06 h 46, le 18 novembre 2014

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