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Liban - Tribunal international

Hamadé devant le TSL : « Les rêves de Rafic Hariri étaient incompatibles avec ceux des Syriens »

L'histoire tumultueuse des relations entre Beyrouth et Damas passée au crible.

« Si les assassins de René Moawad avaient été identifiés, Rafic Hariri serait aujourd’hui encore parmi nous », a affirmé hier Marwan Hamadé.

« Espoir, puis déception, et ensuite effondrement et désespoir. ». C'est par ces termes que Marwan Hamadé qualifie, devant les juges du Tribunal spécial pour le Liban, le développement des relations syro-libanaises depuis Taëf jusqu'à la veille de l'assassinat de Rafic Hariri.
Le temps d'un récit fourni, le député a fait défiler devant l'auditoire l'histoire tumultueuse des relations entre Beyrouth et Damas qui n'a pas été ménagé hier devant la chambre de première instance.
Celle-ci avait finalement statué en faveur de l'admissibilité de son témoignage ainsi que ceux des 12 autres témoins que l'accusation entend appeler à la barre dans les semaines à venir.


Ce n'est pas par hasard que le président de la Chambre de première instance, David Re, a qualifié le témoin de « conteur », mettant en avant ses dons d'orateur. Et pour cause : pendant de longues heures, M. Hamadé a pu capter l'attention des membres de la cour, mais aussi de tous ceux qui ont suivi en direct cet événement foisonnant d'informations et de détails qui seront peut-être d'un intérêt probant si les juges en décident ainsi. En effet, rappelle le juge David Re au début de l'audience, M. Hamadé ainsi que les témoins qui défileront par la suite sont invités à apporter un éclairage sur le contexte politique qui a entouré la préparation et l'exécution de l'assassinat, mais qui ne pourra cependant être évalué qu'à la fin du procès.
Ce qui pourrait être considéré, à un moment donné de la procédure, comme étant sans importance par rapport à l'affaire en cours pourrait par la suite s'avérer pertinent au cours d'une phase plus avancée du procès, explique le juge Re, justifiant la décision prise par la chambre d'admettre ces témoignages comme preuve.


C'est donc sur le contexte politique qui a précédé l'assassinat de Rafic Hariri que se penche longuement M. Hamadé, un fidèle compagnon de l'ancien Premier ministre qui a consigné une partie importante de son parcours libanais pour avoir connu de près l'ancien Premier avec lequel il a longtemps travaillé.
Des conditions qui ont entouré la naissance des accords de Taëf, jusqu'à la tentative de paralyser politiquement Rafic Hariri en lui imposant un gouvernement qui lui est quasiment hostile, en passant par les fameux accords bilatéraux de coopération et de fraternité censés sceller les liens entre les deux pays, autant de moments qui, assure le témoin, devaient aboutir en définitive à une « mainmise totale du régime syrien » sur l'ensemble des aspects de la vie publique au Liban.
Cette ingérence continue durant la période qui a succédé Taëf s'est progressivement renforcée pour culminer durant les années 2003-2004, dit-il. À partir de là, la mainmise syrienne qui était relativement confinée au plan sécuritaire et politique s'est renforcée pour englober l'économie.

 

Étendre les tentacules à l'ensemble des institutions
M. Hamadé explique comment les Syriens ont œuvré progressivement à étendre leurs tentacules à l'ensemble des institutions du pays, notamment sur la Sûreté générale, les services de renseignements de l'armée, le Conseil constitutionnel, la justice. Il relate des cas concrets d'ingérence tels que les élections partielles du Metn en 2002, ou la fermeture de la MTV qui s'ensuivit quelques mois plus tard.
L'ancien ministre évoque par la suite les conditions qui ont présidé à la naissance des accords de coopération et de fraternité censés « consolider la souveraineté des deux pays », dit-il. « Cet accord a fini par être altéré de sorte qu'il a affecté tous les aspects de la vie publique au Liban. Sa teneur a été corrompue à un tel point que le texte a fini par paver la voie à l'hégémonie syrienne par le biais du haut-commissaire qui résidait à Anjar, Ghazi Kanaan, d'abord puis Rustom Ghazali. Tout passait par eux », martèle M. Hamadé.
Selon lui, la logique qui gouvernait ces accords était qu'ils devaient constituer « un parapluie appelé à disparaître avec la reconstruction, la dissolution des milices et la finalisation de la libération du territoire occupé par Israël à l'époque. À l'instar de Taëf, estime le député, ces accords devaient être un premier pas vers l'édification d'un État libanais arabe, libre et indépendant.
Leur application a été conditionnée par l'équilibre des pouvoirs en présence » dit-il, en réponse à une question qui lui a été posée par le juge Akoum.


Cherchant à démontrer l'ampleur de l'hégémonie syrienne sur le Liban et ses hommes politiques, M. Hamadé raconte ce que Rafic Hariri lui disait lorsque leur avion décollait de Damas, à l'époque où la situation sécuritaire ne leur permettait pas de prendre un vol à partir de Beyrouth : « Lorsque nous avions atteint les 27 000 pieds, Rafic Hariri me disait : "maintenant, on peut parler en toute liberté". »
À la question du juge Braidy de savoir si les atteintes présumées à la souveraineté libanaise étaient différentes sous le mandat de Hafez el-Assad puis celui de son fils Bachar, M. Hamadé répond en soulignant que les marges de souveraineté octroyées au Liban variaient selon les périodes. Il souligne à ce propos que sous le mandat d'Élias Hraoui, Rafic Hariri était occupé par le chantier de reconstruction, laissant à la Syrie le soin de gérer les grandes orientations sécuritaires. Il évoque au passage les négociations de Madrid, en 1991, et le veto imposé par la Syrie pour empêcher le Liban de conduire des négociations bilatérales avec Israël, avant de conclure que la mainmise syrienne a effectivement augmenté sous le mandat de l'ancien président Émile Lahoud (à l'ère de Bachar el-Assad).

 

(Pour mémoire : Le politique s'invite au TSL : la défense conteste l'admissibilité du témoignage de Marwan Hamadé)

 

L'après-retrait israélien
En 2000, c'est une nouvelle période qui commence, notamment après le retrait d'Israël du Liban-Sud et le refus catégorique de la Syrie et du Hezbollah d'envoyer l'armée au Liban-Sud, poursuit Marwan Hamadé.
Il mentionne au passage les appels répétés des chrétiens exhortant la Syrie de respecter la souveraineté du Liban et de se retirer, la demande de Walid Joumblatt en faveur du redéploiement des troupes syriennes vers la Békaa et le fameux épisode des fermes de Chebaa avec les complications créées de toutes pièces autour de ce dossier.


Le grignotage progressif de la souveraineté a culminé, selon lui, en avril 2003 lorsque la Syrie a imposé à Rafic Hariri un remaniement majeur de la composition du gouvernement, en écartant Bassel Fleyhane de la nouvelle équipe, imposant une équipe majoritairement proche du régime de Damas.
« Ils aimaient régler les choses dans l'immédiat, sans trop tarder », assure encore le député en parlant d'une réunion à ce propos qui avait eu lieu entre Rustom Ghazali et Rafic Hariri que le chef des services de renseignements syrien a pressé de se débarrasser de Bassel Fleyhane. « Le but étant de paralyser complètement le gouvernement », a souligné M. Hamadé.
Cette mesure visait, selon lui, à « préserver la mainmise syrienne » qui désormais se déployait sur l'ensemble des secteurs, à savoir la sécurité, la politique et même l'économie. La situation a commencé à se dégrader lorsqu'il est apparu que le régime de Damas n'était pas seulement intéressé par une emprise politique mais également économique, conclut M. Hamadé.


Et de résumer la relation entre Rafic Hariri et les Syriens par cette phrase lapidaire : « Les rêves de Rafic Hariri étaient incompatibles avec ceux des Syriens. »

 

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commentaires (5)

ET... NON SEULEMENT !

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 58, le 18 novembre 2014

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Commentaires (5)

  • ET... NON SEULEMENT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 58, le 18 novembre 2014

  • Dans touuus les cas, ils finiront par être suspendus par leurs guibolles, tous ces salopards qui avaient tenté de l'assassiner ! Tféhhh.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    13 h 44, le 18 novembre 2014

  • Que dire quand un nul se rend dans un machin ? machine arriere toute !

    FRIK-A-FRAK

    13 h 18, le 18 novembre 2014

  • Quand seront appliqués les accords de Taëf ? Le Liban doit se débarrasser de la mainmise de la Syrie. Extrait des accords de Taëf G - L'abolition du Confessionnalisme politique L'abolition du confessionnalisme politique est un objectif national essentiel qui exige pour sa réalisation une action programmée par étapes. Le nouveau Parlement élu sur la base d'égalité de sièges entre chrétiens et musulmans devra adopter les décisions adéquates pour la réalisation de cet objectif, et constituer une instance nationale sous la présidence du chef de l'Etat II - SOUVERAINTE DE L'ETAT LIBANAIS SUR L'ENSEMBLE DE SON TERRITOIRE Suite à l'accord des parties libanaises afin d'instaurer un Etat fort et efficace fondé sur l'entente nationale, le gouvernement d'union nationale élaborera un plan détaillé de sécurité qui durera un an et dont le but est d'étendre progressivement la souveraineté de l'Etat libanais sur tout le territoire national. Ce plan dans ses grandes lignes prévoira : 1- La proclamation de la dissolution de toutes les milices, libanaises ou non, et la remise de leurs armes à l'Etat libanais dans un délai de 6 mois.

    Jacques MARAIS

    12 h 22, le 18 novembre 2014

  • "Tout passsait par le haut-commissaire (syrien) qui résidait à Anjar, dit le député Hamadé au Tribuanl international, Ghazi Kanaan d'abord, puis Roustom Ghazalé". Y compris, et avant tout, les assassinats politiques. Il y aurait tant et tant de choses à dire au Tribunal pour montrer que depuis qu'il existe, soit depuis 1970, le régime baassiste de Damas n'a pas laissé un jour de répit au Liban et a commis tous les crimes possibles et imaginables contre ce pays. Tout un chapitre devrait être évidemment consacré aux laquais de ce régime au Liban, qui l'ont énormément aidé dans sa besogne criminelle. Sans oublier ceux qui de nos jours lui jurent amitié et lui donnent couverture à tous ses crimes.

    Halim Abou Chacra

    06 h 23, le 18 novembre 2014

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