Une nouvelle page s'ouvre dans l'histoire contemporaine du Moyen-Orient. Une nouvelle page entamée au moment des révoltes arabes mais dont le contenu apparaît encore inconnu aujourd'hui. Une nouvelle page jusqu'alors marquée par le réveil des revendications populaires, par la chute de plusieurs régimes ancestraux, mais aussi par la remise en cause des frontières de Sykes-Picot, par l'exacerbation des tensions communautaires et par la radicalisation des projets politiques. Une nouvelle page où islamisme et autoritarisme, loin d'avoir disparu, semblent au contraire s'être redéfinis à l'aune des nouveaux enjeux de l'époque.
Une nouvelle page que beaucoup présentent comme la genèse d'un énième conflit fratricide entre sunnite et chiite. Un conflit interne à l'islam qui, du Liban au Pakistan, en passant par l'Irak, la Syrie et le Yémen, suffirait à expliquer la multiplicité des crises actuelles. En témoigne les récents attentats contre la communauté chiite qui ont meurtri le Nigeria, le Pakistan, l'Irak et surtout l'Arabie saoudite, à l'occasion des célébrations de Achoura. En témoigne le changement de discours du jihadisme international, version 2.0, dont le principal ennemi n'est plus le lointain occidental comme autrefois, mais le voisin chiite qualifié d'hérétique. En témoigne encore la tentative de mise à mort du régime syrien alaouite par les puissances sunnites du golfe Arabo-Persique et par la Turquie d'Erdogan.
(Commentaire : L'arc sunnite de l'instabilité)
À bien des égards, on se croirait revenu au temps où Ibn Taymiyya, l'une des grandes références de la pensée salafiste, qualifiait les nosaïris (alouites) d'hérétiques et appelait à les détruire. Pourtant, et malgré sa séduisante apparence, la similitude n'a de sens qu'au niveau de la rhétorique. Et c'est bien là le problème. C'est à partir de cette rhétorique, construite sur des arguments d'ordre métaphysique, que les tensions entre les deux grandes branches de l'islam sont instrumentalisées. Évoquer ce constat ne revient pas à nier la réalité de la construction des identités communautaires et de leur processus exclusif de socialisation. Cela ne revient pas non plus à nier les différences, pourtant peu visibles du point de vue extérieur, entre ces deux branches appartenant parallèlement à la grande tradition de l'islam. Enfin, cela ne revient pas à nier que la tension est à la fois réelle et exponentielle entre les deux communautés sur le terrain. Cela revient surtout à ne pas tout voir, tout expliquer, tout penser, à partir de cette grille de lecture qui oppose de manière manichéenne le monde sunnite et le monde chiite. Cela revient à rappeler que ce soi-disant conflit ne suffit pas à expliquer les crises palestinienne, libyenne, égyptienne, qataro-saoudienne, afghano-pakistanaise, ou sahélienne.
(Opinion : De l'Occident et du monde arabo-musulman)
Ce qui prend aujourd'hui l'apparence d'une nouvelle fitna semble être le résultat d'une lutte, à tous les niveaux, entre deux versions radicales de l'islam politique. L'une wahhabite, financée et diffusée grâce aux pétrodollars saoudiens, l'autre iranienne et aux ambitions tentaculaires depuis sa prise de pouvoir en 1979. Deux versions de l'islam politique, qui ont donné naissance à de multiples embryons islamistes, qui se combattent parfois entre eux, et que les deux mastodontes régionaux utilisent habilement pour obtenir la victoire sur les plans géopolitique et idéologique. Ce qui pourrait s'apparenter à un choc des islamismes, dont les effets collatéraux échappent très largement à la stratégie des deux acteurs principaux, en témoigne l'offensive de l'État islamique, est une confrontation entre deux projets politiques ayant une vision exclusive de l'islam.
De ce fait, alors que le renversement des Frères musulmans en Égypte concrétise ce qu'Olivier Roy avait appelé « l'échec de l'islam politique » et favorise sa mutation vers l'islamisme jihadiste, c'est probablement l'issue de ce conflit irano-saoudien qui déterminera la (ou les) nouvelle(s) identité(s) de l'islam politique.
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commentaires (4)
Cette jeune religion Abrahamique du VII siècle après J.C ,avec son schisme historique, ses multiples écoles et sectes divergentes ...souffre d'un manque d'adaptation chronique au réalités du monde du 21 siècle ...faut bien le dire avec modestie et en toute honnêteté ,que cela n'est certainement pas une raison suffisante, pour vouloir éliminer les autres religions qui existent en moyenne depuis 5000 ans ...!
M.V.
10 h 27, le 15 novembre 2014