Depuis que le ministre de la Santé Waël Bou Faour a ouvert la boîte de pandore de la sécurité sanitaire des aliments au Liban lors de deux conférences de presse mardi et jeudi, en nommant les établissements concernés par des infractions, la polémique va bon train et les questions fusent. (Les listes ici et ici)
Zeina Kassaify, présidente de la Lebanese Association for Food Safety (LAFS), et Nagi Morkos, PDG du cabinet de conseil en tourisme et hôtellerie Hodema, font le diagnostic de la situation en matière de sécurité sanitaire des aliments au Liban.
- Absence de centralisation
Zeina Kassaify et Nagi Morkos s'accordent tous deux à déplorer l'absence de centralisation au niveau institutionnel en matière de sécurité sanitaire des aliments. "Nous n'avons pas d'institution centrale pour protéger le consommateur. Plusieurs ministères sont compétents en matière de sûreté alimentaire", confie M. Morkos. Sept ministères sont compétents actuellement en la matière : les ministères de la Santé (inspections des points de restauration), du Tourisme (inspections des points de restauration), de l'Agriculture (inspections des productions locales), de l'Industrie (inspections des productions locales), de l'Intérieur (pour délivrer des certificats de santé publique), de l’Economie (direction de la protection du consommateur), et des Finances (inspection des produits aux frontières).
- Pas d'obligation de spécification de l'origine des marchandises
"Dans le circuit de distribution, hormis l'agriculture biologique soumise à une certification privée, aucune règle n'oblige à spécifier l'origine des marchandises vendues ou le nom le nom du producteur local. Ce qui empêche, par exemple, une réaction rapide en cas de problème sanitaire sur un produit", expliquait, dans le hors-série 2014 "Restos, bars, cafés" du Commerce du Levant, Ali Berro, directeur du programme Qualeb en charge de l'élaboration d'un système de sûreté sanitaire au Liban. "En cas de problème, nous sommes incapables de remonter la chaîne jusqu'à la matière première pour voir d'où vient le produit", ajoutait-il.
- Une loi obsolète, vieille de 30 ans
"La loi actuelle vieille de 30 ans, n'a connu que quelques changements cosmétiques. Les contraintes principales concernent l’aménagement des locaux, la tenue des employés et la conservation des denrées. Néanmoins la vingtaine de critères qu'elle définit restent très généraux et laissent une large marge d'interprétation aux restaurateurs", pouvait-on lire dans le hors-série 2013 "Restos, cafés, bars" du Commerce du Levant. Exemple : "Le pain doit être stocké dans un emplacement approprié".
"La loi en vigueur depuis trente ans se base sur des standards qui ne sont plus adaptés à la situation actuelle : la façon de produire des aliments au niveau international, leur stockage... Tout a changé", souligne M. Morkos. Mme Kossaify précise que "la loi en vigueur, vieille de 30 ans, concerne la production des aliments, plus que leur conservation dans les restaurants".
- Un projet de loi bloqué
Un nouveau projet de loi, élaboré avec une aide juridique internationale, a été mis sur la table en 2004. Ce projet prévoyait notamment la création d'une entité indépendante, l'Autorité libanaise pour la sûreté alimentaire. En 2006, il a été retiré pour révision. Depuis, plus rien.
"Je ne vois pas pourquoi cette loi n'a pas été votée", reconnaît M. Morkos. Mme Kassaify estime de son côté que "le problème était entre autres politique, chaque ministère ne voulant rien céder de ses prérogatives au profit d'une institution indépendante. Il n'y avait pas d'accord non plus entre les ministères sur la constitution de cette autorité".
- Pas de standards au Liban
Dans ce contexte, nos experts s’interrogent sur les standards retenus par le ministre de la Santé pour son investigation. "De quels standards parlons-nous ? Parle-t-on de standards privés ? A titre d'exemple, nous, en tant qu'entreprise privée, avons nos propres standards, précise M. Morkos. Il faut une loi qui unifie tout cela". "M. Bou Faour parle de normes et standards, mais il ne précise pas de quoi il parle. Il se peut qu'il se réfère plutôt aux normes internationales que nationales", souligne, pour sa part, Mme Kassaify.
Pour les deux experts, le ministre a raison de pointer du doigt les dysfonctionnements. Mais la polémique ne règle pas le fond du problème. "Le seul point positif de cette polémique est qu'elle remet à l'ordre du jour la question de la sûreté alimentaire" au Liban, souligne M. Morkos.
- Initiatives privées
Dans ce contexte, certains professionnels de la restauration ou de l’agroalimentaire, adoptent et mettent en oeuvre des initiatives individuelles pour la sécurité sanitaire des aliments.
En la matière, les options sont nombreuses : audit internes effectués par une société extérieure, obtention de labels décernés par des organismes privés, comme les certifications de qualité HACCP et ISO:22000, qui met en place un système règlementé de management encadrant la sécurité alimentaire et la traçabilité des aliments.
"Les établissement qui obtiennent cette certification respectent les standards minimum en matière de sûreté alimentaire. Mais l'ISO:22000 ne suffit pas à lui seule. Une continuité et une obligation dans le contrôle est nécessaire", souligne Zeina Kassaify. Même son de cloche de la part de Nagi Morkos: "Cette certification est l'un des moyens de réguler le secteur, mais il faut la remettre en question". L'expert souligne notamment qu'un organisme privé n'a pas de réel pouvoir de levier sur un client, il ne peut le contraindre à des contrôles réguliers par exemple.
Les labels ne peuvent donc remplacer un système de contrôle régi par un organe central étatique.
Lire aussi
Polémique autour de la viande de poulet importée au Liban
Tous les jours, des ovins et des bovins non vaccinés traversent la frontière syrienne vers le Liban
Zeina Kassaify, présidente de la Lebanese Association for Food Safety...
commentaires (3)
CORRECTION : YIA 7ARAM WÉYN SAR HAL BALAD IL MISKIN ! ETC... MERCI.
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 06, le 14 novembre 2014