Inspirée par la dernière Coupe de l'America, la course océanique vit sa révolution copernicienne, un bouleversement qui touche prioritairement les multicoques, mais n'épargne pas les monocoques, avec un constat commun : pour aller vite, il faut voler.
À deux jours du départ, dimanche, de la 10e Route du rhum entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), le sujet est débattu tant par les skippers que par les architectes, l'idée étant de réduire la traînée hydrodynamique. Les Moths à foils – petites libellules monoplaces – avaient d'une certaine manière ouvert la voie, mais leurs vols au-dessus de l'eau étaient restés confidentiels et leurs performances réservées à quelques équilibristes. Comme l'étaient les « runs » à 50 nœuds (92,6 km/heure) de l'hydroptère d'Alain Thébault dans des eaux abritées : impressionnants mais difficilement transposables aux voiliers de course traditionnels, aussi sophistiqués soient-ils.
La 34e « Cup », l'été dernier, a tout changé. Les catamarans AC72 (22 m), graciles araignées d'eau écrétant les vaguelettes de la baie de San Francisco, perchées sur leurs foils et leurs safrans à plus de 45 nœuds au portant, ont stupéfié le monde de la voile... et banalisé l'exercice. Et quand les AC72 ont commencé à voler au près, c'est-à-dire contre le vent, la démonstration était totale : exit le mode archimédien, bienvenue dans un monde où les voiliers de course voleront ou seront irrémédiablement condamnés à jouer les seconds rôles.
Caresser le rêve d'Icare
Tous les architectes navals en conviennent : au cours des prochaines années, c'est dans le domaine des appendices (dérives, foils, safrans) que les progrès les plus importants interviendront. Reste bien sûr à les fiabiliser pour permettre aux bateaux de naviguer au large, dans du clapot. « Les bateaux ne voleront pas en toutes conditions », relativise Vincent Lauriot-Prévost, du cabinet VPLP, auteur de sept des huit plus gros (et plus rapides) multicoques de la 10e Route du rhum. « Mais il y aura sûrement des phases où naviguer sur des foils sera envisageable », ajoute-t-il.
Quoi qu'il en soit, un an après la victoire d'Oracle Team USA dans la « Cup », on ne compte plus les multicoques volants : Flying Phantom (premier cata volant grand public), GC32, SL33 et autres AC45 (petits frères des AC72)...
Sébastien Josse, qui disputera le « rhum » à la barre du MOD70 Edmond de Rothschild (21,30 m), a fait installer des plans porteurs en T majuscule inversé sur ses safrans, inspirés de ceux des AC72. L'objectif est de « caresser le rêve d'Icare » et, plus prosaïquement, de diminuer le tangage du trimaran, de maintenir une assiette idéale. « Le but, affirme le responsable du bureau d'études Gitana, Antoine Koch, est de faire évoluer la plate-forme (...) dès 2015 pour que ce trimaran devienne le premier multicoque océanique volant. »
Foiler, sinon voler
Thomas Coville, l'un des favoris du « rhum » 2014, songe lui aussi à installer des plans porteurs sur les safrans de son trimaran Sodebo Ultim' (31 m). Les monocoques n'échapperont pas à cette évolution, et certains n'excluent pas de voir « foiler » les 60 pieds (18,28 m) du Vendée Globe 2016. La classe Imoca s'est récemment penchée sur le sujet et plusieurs équipes envisagent de greffer des foils à leurs bateaux. Certes, avec un lest de 3 tonnes au bout de la quille, ils ne voleront pas. Mais ils déjaugeront certainement beaucoup plus que les 60 pieds actuels et traîneront beaucoup moins d'eau. À San Francisco, les AC72 étaient tous équipés de mâts-ailes. Peut-être en verrons-nous un jour à bord de trimarans océaniques. Ce jour-là, la frontière entre la voile et l'aéronautique sera encore plus ténue...
Hervé GUILBAUD/AFP
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