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Économie - Analyse

II – Obscurité ou obscurantisme : le secteur de l’électricité, otage des enjeux politiques

Compte tenu de la pénurie de fonds publics, certaines solutions pourraient rassurer les antagonistes du débat politique et idéologique qui bloque le développement du secteur. Ces solutions sont ancrées dans les réalités économiques de notre pays, notamment les flux importants de capitaux privés dont il bénéficie du fait de l'épargne significative des Libanais résidents et ceux de la diaspora. Un exemple de solution est illustré ci-dessous, qui aurait aussi des effets induits bénéfiques sur le développement du marché financier.
Ainsi, la capacité additionnelle de production d'électricité requise pourrait être fournie par trois centrales électriques d'environ 600-800 MW de capacité chacune, qui viendraient en complément de la production supplémentaire prévue par le projet d'expansion (toujours en souffrance) de la centrale de Deir Aamar (450-500 MW) financé par la loi programme de 2010, et les projets de réhabilitation en cours aux sites de Zouk et Jiyeh. Ces nouvelles usines seraient exploitées par des entreprises distinctes, en vertu de contrats de gestion, par exemple pour cinq ans, renouvelables. L'exploitation des centrales se ferait dans un cadre concurrentiel, entre elles, ainsi qu'avec EDL, pour éviter le monopole. L'existence de capacité excédentaire à chacune des centrales serait utile pour assurer la concurrence et réduire le risque de collusion et l'émergence de cartel. Une structure réglementaire renforcée, aux pouvoirs adéquats, est une condition nécessaire pour la transparence et l'efficience du secteur. Dans le cadre d'un plan de réhabilitation crédible qui engagerait dûment les autorités et les autres parties prenantes, le reliquat des ressources budgétaires allouées au secteur pourrait être utilisé pour renforcer les capacités institutionnelles d'EDL en termes de performance et d'efficacité, et réviser son cadre organisationnel vers plus d'autonomie et de responsabilité lui permettant de faire face à la concurrence des nouveaux entrants dans le secteur.


Diverses options peuvent être envisagées pour l'opération et le financement de la transmission et la distribution. EDL étant elle-même un producteur d'électricité, l'optimum serait qu'une entreprise autonome, indépendante des producteurs, soit en charge de la transmission et, par là même, du financement des plans de développement y attenant. Toutefois, EDL pourrait conserver ses responsabilités dans la transmission à condition que les risques de conflit d'intérêt puissent être gérés par le régulateur. Les désaccords politiques au niveau de la distribution vont être moins vifs du fait qu'au Liban, les opérateurs privés sont depuis longtemps engagés dans la distribution de l'électricité. De nouveaux entrants (distribution services providers) opèrent à présent dans la distribution avec le mandat de moderniser le réseau, installer des compteurs de lecture à distance, améliorer la facturation et le recouvrement des créances, programme financé en amont par les distributeurs.


L'émergence d'une autorité de régulation efficace est la pierre angulaire de la réhabilitation du secteur de l'énergie, sans laquelle progrès et réforme seraient difficiles à achever. Son rôle, entre autres, serait d'instaurer un environnement concurrentiel garantissant les pratiques de marché transparent et équitable, établir des normes de performance, assurer la qualité du service, examiner et approuver les programmes d'investissement et de développement, et autoriser les révisions à la structure et au niveau des tarifs. L'absence de progrès dans l'amélioration du cadre réglementaire est moins le résultat de désaccord que d'absence de volonté politique.


Le financement des nouvelles centrales (investissement de l'ordre de 4 milliards de dollars) serait constitué : au tiers, soit 1,4 milliard de dollars, de capitaux propres; et aux 2/3, soit 2,5 milliards de dollars, d'emprunts. La grande liquidité du secteur bancaire libanais laisse supposer que trois consortiums de banques commerciales seraient prêts à pourvoir les capitaux propres, un consortium par centrale, un montant qui équivaut à 1 % de la base des dépôts du secteur bancaire (125 milliards de dollars aujourd'hui). La participation des banques commerciales au capital des centrales serait structurée en un financement dit de « mezzanine » (temporaire) pour être cédée à terme à d'autres (en l'occurrence deux) groupes d'investisseurs, par : offre à la souscription en Bourse de Beyrouth; et cession à un « investisseur stratégique » ayant un intérêt à long terme dans le secteur et une maîtrise qui permettent d'assurer l'efficacité et la pérennité des opérations. La dette serait mobilisée par l'émission d'obligations à faible dénomination (100 dollars de valeur nominale) adossées aux recettes de vente d'électricité (« revenue bonds » chez les Anglo-Saxons). Ce sont là des instruments traditionnels de financement de projets d'infrastructure (électricité, eau et assainissement, transports en commun) dans de nombreux pays et villes à travers le monde. Une telle émission d'obligations d'entreprises, qui ne représenterait que l'équivalent de 2 % de la dette publique, offrirait aux ménages une alternative pour le placement de leur épargne à présent largement limité aux dépôts bancaires et contribuerait au développement du marché obligataire domestique dominé exclusivement par les instruments du Trésor. Après un tiers de siècle d'obscurité, la « soif » des citoyens pour une alimentation fiable en électricité à prix abordable serait la plus forte garantie que les usagers s'acquitteront de leur facture à l'échéance, ce qui renforcera la solvabilité des titres de créance adossés à leurs paiements.

 

Aspects de gouvernance du schéma de financement proposé
Les participations en capital détenues par les banques commerciales dans les centrales électriques feraient l'objet, après un certain nombre d'années, d'une introduction en bourse (Ipo) contribuant ainsi au développement et à la croissance de la place de Beyrouth (où une entreprise à elle seule représente 1/6e de la capitalisation du marché). L'émission serait structurée pour attirer un groupe diversifié d'investisseurs individuels et de détail. En outre, un plafond peut être imposé sur la détention des actions émises de manière à prévenir une mainmise sur le secteur par quelques magnats ou groupes tentaculaires. Toutefois, il est essentiel de veiller à ce que les investisseurs stratégiques soient présents après que les institutions bancaires d'origine eurent cédé leurs titres de participation.


En outre, la structure de financement aurait des retombées bénéfiques pour le Trésor du fait de : la réallocation d'une part des recettes budgétaires initialement attribuées à l'électricité à des investissements prioritaires dans des secteurs qui, contrairement à l'énergie, ne sont pas à même d'attirer le financement privé; l'augmentation des recettes fiscales, dont la TVA sur les ventes d'électricité et prélèvements sur les bénéfices des producteurs d'électricité; et l'élargissement de l'assiette, et donc de la recette fiscale, en raison du « cercle vertueux » de la croissance économique stimulée par la réduction des coûts de production, la croissance du chiffre d'affaires et l'augmentation des profits des entreprises libanaises.
Les usagers libanais, ménages et entreprises, verraient enfin la lumière au bout de l'interminable tunnel et bénéficieraient d'un réseau d'électricité fiable, avec alimentation continue et moins onéreuse en comparaison aux factures d'énergie actuelles : EDL et générateurs privés confondus. Avec une base diversifiée d'épargnants qui détiennent une large participation et un intérêt dans le secteur ainsi rénové, les citoyens seraient en faveur d'un tel régime de gouvernance et de contrôle, sans qu'aucun groupe politique n'ait de motif probant pour s'y opposer. La voie pourrait être alors ouverte pour passer de l'obscurantisme à la raison, et de l'obscurité à la lumière.

* Conseiller économique de l'ancien Premier ministre Nagib Mikati

 

Lire la première partie

Obscurité ou obscurantisme : le secteur de l'électricité, otage des enjeux politiques (I)

Compte tenu de la pénurie de fonds publics, certaines solutions pourraient rassurer les antagonistes du débat politique et idéologique qui bloque le développement du secteur. Ces solutions sont ancrées dans les réalités économiques de notre pays, notamment les flux importants de capitaux privés dont il bénéficie du fait de l'épargne significative des Libanais résidents et ceux de la...

commentaires (3)

TOUT LE PAYS EST L'OTAGE DE L'ABRUTISSEMENT GÉNÉRAL DE NOS HYPER ABRUTIS !

LA LIBRE EXPRESSION

20 h 24, le 29 octobre 2014

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Commentaires (3)

  • TOUT LE PAYS EST L'OTAGE DE L'ABRUTISSEMENT GÉNÉRAL DE NOS HYPER ABRUTIS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    20 h 24, le 29 octobre 2014

  • LA NUIT DE L'OBSCURITÉ PEUT DEVENIR CLAIRE ! CELLE DE L'OBSCURANTISME EST DÉLÉTÈRE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 46, le 29 octobre 2014

  • J’ignore pourquoi, on s’obstine a rechercher les solutions compliquées. Pour construire les usines requises, tout ce qui est demande a l’Etat serait de bien étudier le problème au départ, en trouver les solutions efficaces, et une fois ceci achevé, procéder a leur mise en application et s’assurer chaque fin de mois que le plan est soigneusement exécute selon les normes et le calendrier prévu. Qu’est ce qui empêche de suivre une pareille procédure ? Si comme l’affirme Mr. Daher les moyens financiers existent au Liban, et je n’en ai aucun doute là-dessus, pourquoi ne pas emprunter des banques les fonds nécessaires quitte a les rembourser, au comptant, en dix ans. Si cette période, les nouvelles usines assorties de sérieuses reformes doivent nous permettre d’économiser vingt milliards de dollars sur nos couts énergétiques, qu’est ce qui nous empêcherait de rembourser les cinq milliards de dollars dont nous avons besoin a raison de cinq cent millions de dollars par an, étalés sur dix ans ? Quel avantage aurions-nous a nous fourvoyer dans des systèmes de privatisations compliques qui ont souvent échoué en Europe et ailleurs. N’est-il pas a craindre qu’il en soit de même au Liban qui est passe maitre en terme de corruption ? Cependant, j’estime, qu’afin de convaincre les préteurs d’avancer de telles sommes (chat échaudé craint l’eau froide), il faudrait leur présenter, au départ, un Plan d’ensemble étale sur cinq ans et couvrant les principaux secteurs de l’économie et le progra

    George Sabat

    08 h 31, le 29 octobre 2014

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