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Liban - Témoignages

A Tripoli, la mort, la peur, l’exode et de vieux souks dévastés

Les affrontements du week-end à Tripoli ont laissé des cicatrices dans les bâtiments comme dans les esprits. La peur régnait hier dans les quartiers de la ville, tout comme ceux relativement éloignés des combats.

La fuite éperdue des habitants de Tripoli. Omar Ibrahim/Reuters

« J'ai fait un tour aujourd'hui dans les vieux souks. J'étais bouleversée. Ces souks restent généralement ouverts, même dans les pires circonstances. Ils offrent dorénavant le spectacle d'une dévastation généralisée : une très grande partie des boutiques est brûlée, d'autres ont subi d'importants dégâts.

Partout, les câbles électriques sont sectionnés et jonchent le sol. Les commerçants inspectent les lieux et semblent anéantis. Ils se demandent combien de temps ils devront encore subir les conséquences de pareils incidents sécuritaires. » Racha Halabi est reporter et fille de Tripoli. Même si elle n'habite pas elle-même un des quartiers chauds, elle ressent la désolation d'une population fatiguée. « C'est la première fois que les vieux souks sont très fortement touchés, dit-elle. Les commerçants et les habitants de ce quartier ont dû fuir leurs domiciles et leurs boutiques au cours des deux derniers jours, pour les retrouver en ruine à leur retour. Ils se demandent s'il y aura des indemnisations et si cela vaut la peine de tout reconstruire, quand l'incertitude plane sur l'avenir de la sécurité dans la ville. »

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Le week-end a été violent et particulièrement sanglant à Tripoli, où les combats ont fait rage entre l'armée et des groupes islamistes. L'armée a traqué ces islamistes, vendredi et samedi, jusque dans les anciens souks de la ville, où de violentes batailles ont eu lieu. Les combats se sont déplacés vers Bab el-Tebbané depuis hier.

Jalal Halwani, membre du conseil municipal de Tripoli, déplore ces vastes destructions dans les anciens souks. « Il faut savoir que ces souks sont un véritable labyrinthe de petites ruelles que seuls connaissent les fils de la région, explique-t-il. Souvent, des personnes en fuite prennent l'habitude de s'y réfugier. Ni la police, ni la municipalité, ni même l'armée n'y mettent les pieds d'habitude. C'est probablement pour cela que les groupes armés, déchaînés suite à l'arrestation d'Ahmad Mikati, s'y sont réfugiés, entraînant l'armée à leur suite. »
Il confirme que la municipalité a déjà envoyé des équipes pour aider à éteindre les feux et à déblayer les rues, mais les grandes réparations devront être envisagées par le Haut Comité de secours. « Il y aurait non moins d'une cinquantaine de boutiques entièrement calcinées, et quelque 200 magasins endommagés : vitres cassées, éclats d'obus et de tirs, etc, précise-t-il. Les habitants de ce quartier sont généralement issus de milieux défavorisés, et auront beaucoup de mal à s'en sortir. »

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Un bilan humain très lourd

Comme dans les souks, le quartier de Bab el-Tebbané a subi les flammes de l'enfer ce week-end. Hier soir, deux heures de trêve ont été observées entre l'armée et les islamistes, pour évacuer les habitants, notamment les familles, piégées entre deux feux depuis l'aube. La Croix-Rouge libanaise (CRL) a évacué plus d'une centaine de personnes et de nombreux blessés ont été transportés vers les hôpitaux. Des centaines d'autres quittaient le quartier en voiture ou à pied. Des victimes civiles sont tombées dans cette zone : dix-huit tués et près de 90 blessés, selon un bilan de la CRL .

Samer Dabliz, président d'une association à Tripoli, a pris part hier à une réunion du Rassemblement des associations civiles de la ville, œuvrant ensemble pour la paix. « Un nombre conséquent de personnes ont quitté Bab el-Tebbané en raison de la virulence des combats, dit-il. Nous savons que beaucoup d'entre eux iront chez des proches. Mais d'autres se retrouveront totalement démunis. Nous sommes entrés en contact avec le mohafez pour leur assurer un ou deux centres d'accueil, notamment dans des écoles. »

Le ministre de l'Éducation Élias Bou Saab a annoncé en soirée que les écoles publiques dans les zones sûres seront ouvertes aux habitants de Bab el-Tebbané ayant dû fuir les combats. Samer Dabliz nous confirme que « deux écoles à Mina seront mises dès ce soir (hier soir) à la disposition des déplacés, gérées par les associations civiles ». Il explique que les associations attendent de connaître le nombre de personnes qui auront besoin d'un logement, et qu'elles se préparent à assurer des couvertures et autres produits de première nécessité.

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« Nous voulons en finir »

Les vieux souks et Bab el-Tebbané sont considérés depuis ce week-end comme des zones sinistrées, mais la ville de Tripoli, qui compte près de 350 000 habitants, a été tout entière traumatisée par ce regain de violence. « J'habite un quartier très loin des centres habituels de combats, confie Khaled
Merheb, avocat tripolitain. Cette fois-ci, nous avons entendu davantage de coups de feu et d'obus. Il est vrai que les combats étaient un peu plus proches de nous, dans les souks. Mais nous avons nettement l'impression que cette bataille est plus intense que celles qui l'ont précédée, et que les armes utilisées sont plus lourdes qu'avant. »

Khaled Merheb évoque une ville vide, où les habitants se cloîtrent chez eux, ne sortant qu'en cas d'extrême nécessité. « Vendredi soir, j'étais en train de raccompagner un ami chez lui, qui n'habite pas loin de chez moi, raconte-t-il. Nous avons été arrêtés par des hommes armés, qui avaient monté un barrage. Ils nous ont signifié, d'un ton agressif, qu'il fallait rebrousser chemin car les combats faisaient rage. »

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Il semble que tout Tripoli a vécu ce week-end au son des coups de feu, des obus et des hélicoptères de l'armée, comme nous le confirment Racha Halabi et Jalal Halwani, tous deux vivant dans des quartiers relativement sûrs. En fin de compte, la peur taraude tous les habitants. « Il est vrai que l'armée boucle hermétiquement les secteurs où ont lieu les troubles et effectue des patrouilles, mais nous craignons que des islamistes venus de l'extérieur ne tentent de prêter main-forte à leurs compagnons, embrasant d'autres parties de la ville, confie Racha. Les événements de Minyé prouvent que plusieurs foyers pourraient s'enflammer en même temps. »

Dans l'absolu, les personnes interrogées assurent que la majorité écrasante des Tripolitains est solidaire de l'armée. Khaled Merheb déplore « les voix, même rares, qui se sont insurgées contre l'intervention de l'armée dans la ville ». « En fait, les Tripolitains veulent en finir, ils espèrent que cette bataille sera la dernière et que l'armée tranchera », insiste-t-il. Quant à Jalal Halwani, il assure que « ces groupes ne sont pas représentatifs de Tripoli, ils sont même déconnectés des grandes organisations islamistes et leur action n'a aucun support idéologique ».


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