Le 16 octobre, les journalistes américains ou travaillant pour des médias américains en poste au Liban ont été conviés à l'ambassade des États-Unis à Aoukar. Il s'agissait officiellement de faire le point sur la situation. L'ambassadeur David Hale a surpris les présents par sa soudaine participation à la rencontre et il a clairement demandé aux journalistes de ne pas se rendre dans certaines régions du Liban ou en tout cas d'alerter l'ambassade au sujet de leurs déplacements. L'impression générale, à la fin de cette rencontre, était donc que les États-Unis s'attendent à un développement probablement sécuritaire au Liban au cours des prochaines semaines. Cette impression rejoint en réalité les informations parvenues aux services de sécurité sur la forte probabilité d'une action sécuritaire quelque part sur le territoire libanais.
En réalité, les services de sécurité prennent très au sérieux ces informations et ils sont en état d'alerte permanent. Une source sécuritaire précise à cet égard que les menaces viennent de trois endroits en particulier, le Nord, la Békaa et le Sud, avec un même objectif : permettre aux combattants installés dans le jurd entre le Liban et la Syrie de desserrer l'étau sécuritaire déployé autour d'eux et de leur permettre d'assurer leur approvisionnement et de soigner leurs blessés pendant le long et dur hiver dans cette région. Selon les estimations des services de sécurité, ils seraient actuellement 6 000 combattants de Nosra et de Daech encerclés dans le jurd. Du côté syrien, l'armée du régime et les combattants du Hezbollah ont fermé toutes les voies d'infiltration possibles. Ce qui empêche ces combattants de pouvoir faire la jonction avec la région de Zabadani pour ensuite se rendre à Raqqa, comme ils en avaient exprimé le souhait au début des négociations avec les médiateurs pour libérer les militaires qu'ils avaient pris en otage. Entre-temps, la situation s'est encore détériorée pour les combattants et désormais, ils n'ont plus la possibilité de soigner convenablement leurs blessés. Ce qui pourrait d'ailleurs expliquer le soudain retour de l'émissaire qatari qui a repris sa mission d'intermédiaire entre le gouvernement et les ravisseurs...
Au Nord, les cellules dites dormantes pourraient donc se réveiller, et la multiplication des agressions contre la troupe ainsi que la mise en scène des désertions pour les montrer comme un lâchage de l'armée au profit des groupes extrémistes serviraient en réalité à préparer le terrain à une action plus large. Les combattants souhaiteraient notamment avoir un accès à la mer via Tripoli ou le Akkar, pour avoir plus de liberté dans leurs déplacements et dans leurs commerces illicites de pétrole et d'autres produits. Mais l'objectif le plus important pour eux est de porter un coup à l'armée pour la contraindre à alléger son dispositif autour de Ersal de manière à permettre aux combattants du jurd d'avoir un accès à cette bourgade.
Dans la Békaa, toute la frontière peut être la cible d'attaques de la part des combattants. Mais après la faille qui a été découverte lors de l'infiltration jihadiste dans le jurd de Brital, le Hezbollah a non seulement changé sa tactique, mais il a pris aussi toutes les précautions nécessaires pour éviter une nouvelle incursion ne fût-ce que pour quelques minutes. Même chose pour l'armée à Ersal qui boucle pratiquement toutes les issues de la bourgade, et celle qu'elle ne contrôle pas directement se trouve sous sa puissance de feu qui rend tout déplacement des combattants très risqué. Certes, des infiltrations en nombre réduit restent encore possibles, mais il n'est pas question pour les combattants de lancer une vaste offensive contre l'armée. Il y aurait encore une possibilité d'infiltration via ce qu'on appelle les projets de Qaa, mais là aussi, les précautions ont été prises. Preuve en est que la dernière tentative au cours du week-end s'est soldée par un échec. Même la voie qui passe par Toufayl (village libanais en territoire syrien) et que l'État libanais voulait ouvrir pour des raisons humanitaires reste bloquée. Pour que les combattants puissent arriver jusqu'à Masnaa et atteindre des villages qui pourraient plus ou moins les tolérer, ils ont absolument besoin de passer soit par Toufayl, soit par Zabadani. Or, en principe, ces deux passages ne sont pas praticables pour eux.
Reste alors le Sud et la région de Aïn Ata toute proche des fermes de Chebaa. Le Hezbollah est totalement mobilisé dans le secteur, et la dernière opération qu'il a effectuée contre une position israélienne montre qu'il n'est plus seulement une force défensive. Sa participation au combat en Syrie lui a donné une grande expérience dans les techniques offensives. Au final, le Hezbollah a largement contribué à chasser les combattants syriens d'une région qui fait plus que la moitié du Liban. Qousseir et le Qalamoun font 70 km2, et les Israéliens sont les premiers à s'informer sur ces données militaires.
Sur la base de ces données, les autorités libanaises cherchent à rassurer les citoyens en montrant que toutes les précautions sont prises et que la vigilance est de mise. Les trois menaces n'éliminent pas l'espoir de les voir se dissiper à cause de l'état d'alerte des forces armées. Mais il est certain que les combattants sont réellement coincés et prêts à tout, sans oublier le fait que dans la région, le climat reste à l'orage entre l'Iran et l'Arabie saoudite, sur fond d'implication américaine directe dans la bataille qui se déroule en Irak. Ce qui pourrait expliquer les conseils de prudence adressés aux journalistes des médias américains...
commentaires (11)
"Il existe une parfaite répartition des tâches...", pour ne pas dire un parfait jeu de rôles !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
11 h 11, le 25 octobre 2014