À mon fils

(à la manière de...)

Si tu peux voir en quelques ans détruit ton pays
Et sans un mot rester et rebâtir
Ou voir au long des ans filer tes amis
Sans un geste et sans un soupir :
Si tu peux voir tes voisins grandir et prospérer
Si tu peux te voir dans tes rêves rétrécir
Et te sentant floué, sans trahir et râler
Pourtant rester et
reconstruire
Si tu peux supporter leurs discours haineux
Déguisés en logique pour harponner les sots
Et entendre leurs mensonges, leurs bla-bla mielleux
Sans penser un instant qu'ils te traitent en idiot
Si tu peux rester au front en étant chair à canon
Si tu peux rester partisan en oubliant ton cerveau
Et si tu peux continuer te sachant le dindon
Sans un jour envisager de leur tourner le dos
Si tu sais lutter, renoncer et t'envoler
Sans jamais oublier ni ta montagne ni le bleu de ta
mer
Partir mais sans laisser l'ailleurs t'ensorceler
Quitter sans être jamais un exilé amer
Si tu peux être musulman sans être radical
Si tu peux être chrétien et jamais timoré
Si tu sais vivre de peu, si tu sais rêver d'étoiles
Sans être révolté ni même désemparé
Si tu peux rencontrer la trêve après la guerre
Et regarder ces deux leurres sans œuvrer à la paix
Si tu peux vivre tranquille sans tracer tes frontières
Quand autour de toi se dressent des armées
Alors les exilés, les ennemis et même les frères
Seront à tout jamais tes invités insoumis
Et ce qui ne te vaudra guère plus que des misères
Tu seras un Libanais, mon fils.