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Culture - Course aux prix

Big Brother (saint Pierre) is watching

Figurant dans la sélection du Prix Goncourt (2e) et du Grand Prix de l'Académie française (1er), « L'Ordinateur du paradis » (Gallimard, 213 p.) de Benoît Duteurtre propose, à la place du sempiternel « Y a-t-il une vie après la mort ? », un tonitruant : « Y a-t-il un paradis après la vie virtuelle ? ».

Benoît Duteurtre : humour noir et encre acide.

Et si tous les mails effacés, les messages coquins, les pages visitées, les vidéos plus ou moins « innocentes », l'historique de votre navigation clandestine, toutes traces écrites sur un ordinateur ayant voyagé sur Internet, les photos ou autres documents sauvegardés sur le Cloud refaisaient surface, non pas sur votre ordinateur, mais sur celui de quelqu'un d'autre? Un scénario catastrophe en ces temps connectés que le romancier, essayiste et critique musical français Benoît Duteurtre exploite avec fantaisie et humour dans le bien nommé Ordinateur du paradis.

Résumé : s'il fallait « hashtaguer » ce roman, ce serait avec : #vieaprèslamort #scandalesnumériques #transparence #vieprivée #Internet #fantaisie #humour #kafkaïen. Et bien d'autres thèmes à extraire de cette fable satirique actuelle divertissante, écrite dans un style simple, facile à lire. Décor ? Celui calfeutré de l'antichambre du paradis qui ressemble à un grand hall d'aéroport, avec des employés blasés, un système bureaucratique et autres rouages bien terrestres. Le paradis, lui, est un « resort » de luxe surpeuplé, où les places sont chères et les listes d'attentes sujettes à des transactions. L'intrigue, menée sur un train d'enfer, met en scène Simon Laroche, fraîchement décédé (au ciel), ex-haut fonctionnaire en charge des libertés (sur terre). Avant de trépasser, il a fait le buzz comme on dit. Cela se résume en une déclaration lors d'un entretien qu'il croyait off the record. «La cause des femmes! La cause des gays! J'en ai marre de ces agités qui s'excitent pour des combats déjà gagnés.» Le politiquement correct est pulvérisé. L'enregistrement est balancé sur les réseaux sociaux et le scandale qui en résulte risque fort de lui coûter sa place au paradis, d'autant plus que le Cloud, atteint d'un bug, sème ses données numériques... et la panique.

Auteur : la polémique, Duteurtre s'y connaît. Depuis son Requiem pour une avant-garde (Robert Laffont), essai sur la musique contemporaine. Puis controverse avec Gaieté parisienne (Gallimard 1996), cette fois dans le milieu gay qui apprécie diversement cette satire. L'année suivante, Duteurtre publie Drôle de temps, prix de la nouvelle de l'Académie française, encensé par Milan Kundera. Pour Les Malentendus (paru en 1999, sur les «sans-papiers»), il est applaudi par une critique pendant que l'autre le qualifie «d'homme le plus détesté de Paris». Le Voyage en France, Prix Médicis 2001, se vend en France à 50000 exemplaires. Après Le Grand embouteillage, un petit essai sur les folies de la circulation, il s'attaque au monde de la communication en 2003 et 2004, puis dans Service clientèle, «roman bref» où il est question de téléphone portable, La Rebelle met en scène une journaliste égarée par les stock options.
La Petite fille et la cigarette – paru chez Fayard en mai 2005 – prend la défense de l'homme, créature menacée par deux travers des temps modernes: l'enfant roi et l'intolérance. On l'aura compris: Duteurtre s'en donne à cœur joie dans la satire du monde contemporain et zoome sur ses travers, ses dérives et ses excès.

Extrait : ... saint Pierre a murmuré, comme s'il avait honte :
– On fait comme tout le monde. On cherche des réponses dans le réseau !
Pour illustrer ses dires, il a tendu son doigt vers cette immense constellation de filaments lumineux regroupés au milieu du ciel, tel un gros estomac. On aurait dit qu'il désignait la vraie puissance supérieure. Puis il a expliqué :
– Le Cloud : on y trouve tout, ou presque, sur chacun d'entre vous.
Et soudain, plus joyeux, comme pour donner la preuve de ce qu'il venait d'avancer, il s'est écrié :
– Tenez, posez-moi une question, n'importe laquelle !
À quoi jouait-il ? Le grand saint Pierre me proposait-il de trouver sur Wikipedia les réponses aux mystères de l'univers? De rechercher dans les journaux de téléchargement les travers de l'humanité? D'identifier les péchés par des mots-clés? Le Cloud avait-il vraiment pris la place de Dieu? Cette hypothèse effrayante agitait mon pauvre cerveau, et je restais bouche bée devant ce vieillard impuissant, quoique désireux de m'ouvrir la porte du paradis ...

Et si tous les mails effacés, les messages coquins, les pages visitées, les vidéos plus ou moins « innocentes », l'historique de votre navigation clandestine, toutes traces écrites sur un ordinateur ayant voyagé sur Internet, les photos ou autres documents sauvegardés sur le Cloud refaisaient surface, non pas sur votre ordinateur, mais sur celui de quelqu'un d'autre? Un scénario...

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