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Shocking !

Avec tout ce qu'ils ont vécu et enduré, plus rien ne devrait heurter encore les Libanais. Et pourtant...
Tant bien que mal, nous nous sommes habitués à vivre dans un pays ingouvernable, ingérable, où le citoyen est contraint de recourir au système D pour ses besoins quotidiens : entre autres de l'eau en bouteilles, en bonbonnes ou par camions-citernes entiers, une eau dont la pureté échappe souvent d'ailleurs à tout contrôle sanitaire ; et un courant électrique inscrit depuis la fin de la guerre aux abonnés absents, mais que se font un plaisir de vous fournir – à prix d'or – les providentiels, les gentils générateurs de quartier. Bon gré, mal gré, la maréchaussée étant elle aussi absente, nous voyons nos routes et autoroutes se transformer en mortelles pistes de rodéo ; toute courtoisie a disparu du vocabulaire national, et même les élégantes se sont mises au diapason, fonçant résolument dans le tas au volant de leurs énormes 4 x 4, mâchoires serrées, cigarette au bec et téléphone mobile à l'oreille.


Nous avons tous assisté, impuissants, à la lente mais régulière déliquescence des institutions et au dévoiement de la pratique démocratique. On a vu les portes d'un Parlement cadenassées, des mois durant, par son propre président ; et on voit maintenant l'Assemblée s'apprêtant à s'octroyer elle-même, pour la seconde fois en deux ans, un supplément de sinécure. On a vu naître puis se développer un État dans l'État ; et on a vu le Hezbollah, pourtant membre d'un gouvernement prônant la neutralité, s'en aller guerroyer en Syrie, affichant ainsi – avant même qu'y aient pensé les illuminés de Daech ! – une insolente vocation transfrontalière.


Pour clore cette liste non exhaustive, on vient de voir, lors de la commémoration de l'assassinat du superflic le général Wissam el-Hassan, un ministre de l'Intérieur adresser les accusations les plus graves à la milice, et par-dessus le marché aux Renseignements militaires. De telles accusations, fera-t-on observer, remontent à l'assassinat, il y a presque dix ans, de Rafic Hariri, et certaines ont même été validées par le Tribunal spécial pour le Liban. Ce qui est sidérant, en revanche, c'est qu'accusateurs et accusés se retrouveront dès demain, comme si de rien n'était, autour de la même table du Conseil des ministres.


Les apparences sont-elles sauves pour autant ? Ce qui est loin de l'être, en ces temps d'infortune, c'est la dignité inhérente à l'action politique, déjà étrillée par d'innombrables cas de prévarication. Il y a peu, YouTube offrait le triste spectacle d'un ministre des Affaires étrangères filmé en marge de l'Assemblée générale de l'Onu alors qu'il vantait, rires gras et gestes à l'appui, la silhouette d'une compétente, respectable et très respectée diplomate libanaise. Un député et ancien ministre faisait encore mieux, lundi, en malmenant une fonctionnaire qui n'avait pas répondu à sa démarche administrative avec toute la célérité – et la servilité – due à son rang : incident d'autant plus révoltant qu'il a eu pour cadre le ministère de la Justice et que l'agresseur est lui-même juriste de profession.


Autres temps, autres mœurs, décidément.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Avec tout ce qu'ils ont vécu et enduré, plus rien ne devrait heurter encore les Libanais. Et pourtant...Tant bien que mal, nous nous sommes habitués à vivre dans un pays ingouvernable, ingérable, où le citoyen est contraint de recourir au système D pour ses besoins quotidiens : entre autres de l'eau en bouteilles, en bonbonnes ou par camions-citernes entiers, une eau dont la pureté...