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Liban - Militaires otages

Place Riad el-Solh, 26 familles chiites, sunnites, chrétiennes et druzes, unies dans le malheur

Aujourd'hui les familles des militaires enlevés au début du mois d'août dernier à Ersal devraient avoir recours à des mesures d'escalade. Plusieurs routes de Beyrouth pourraient être bloquées.

Les familles des militaires enlevés par l'organisation Etat islamique et le Front al-Nosra tiennent depuis plusieurs jours déjà un sit-in place Riad el-Solh, dans le centre ville de Beyrouth. Photo H. Assal.

Dix tentes, vingt-six familles... Cela fait deux semaines que les proches des soldats et des agents des Forces de sécurité intérieure enlevés par le Front al-Nosra et l'État islamique, au début du mois d'août dernier à Ersal, campent à la place Riad el-Solh. Cela fait un peu moins de trois mois que les parents des militaires kidnappés manifestent, organisent des sit-in et bloquent des routes pour se faire entendre, pour que le dossier de leurs fils soit une priorité. Vingt-six familles, chiites, sunnites, chrétiennes et druzes – à l'image de l'armée libanaise –, sont unies dans le malheur, celui de ne pas savoir si un jour elles pourraient retrouver vivants leurs bien-aimés. Les parents des vingt-six détenus ont tous reçu des appels téléphoniques de leurs enfants pour les fêtes de l'Adha.


Les soldats enlevés par l'État islamique ont contacté leurs parents il y a cinq jours pour les informer que les négociations piétinent et qu'ils seront prochainement égorgés si des avancées ne sont pas effectuées dans le dossier de la libération de prisonniers islamistes de Roumié. C'est pour cette raison que les familles auront recours à l'escalade aujourd'hui.
Certaines familles parlent de bloquer plusieurs artères de Beyrouth. D'autres menacent de manifester devant des ambassades ayant de l'influence auprès des ravisseurs. Les parents pourraient revenir sur leur décision s'ils constatent de véritables avancées dans ce dossier dans les heures qui viennent.
Tous les jours, au centre-ville de Beyrouth, des proches des militaires enlevés, venus des quatre coins du Liban, se retrouvent. Pères, mères, sœurs, frères, épouses, oncles, cousins se relaient pour que les tentes ne soient jamais vides, même la nuit.

 

« Quand je ferme les yeux, je vois mon fils devant moi »
Zeinab Bzal, la mère de Ali Bzal, 26 ans, soldat de l'armée libanaise originaire de Bazzallié dans le caza de Baalbeck, dort presque tous les soirs au centre-ville. Ali est le soldat témoin de l'assassinat de son camarade Mohammad Hamiyé, tué par balle par le Front al-Nosra, le mois dernier. Il avait appelé, dans la vidéo publiée par l'organisation fondamentaliste, sa famille à agir. Dans le cas contraire il serait le premier à subir le même sort que celui qui a été réservé à son camarade.
Rana, l'épouse de Ali Bzal, s'était rendue à Ersal pour tenter de rencontrer les ravisseurs. Elle avait pu s'entretenir avec le cheikh Moustapha Houjeiri, alias Abou Takiyé, qui est proche des jihadistes et tente de jouer le rôle d'intermédiaire entre ces derniers et les familles des militaires détenus.
« Rana vient de partir à Bazzallié. J'étais dans la Békaa hier. Je rentre une ou deux fois par semaine chez moi », indique Zeinab, la mère de Ali, mettant sur ses genoux sa petite-fille, Maram, âgée de 5 ans. « Maram a été inscrite cette année à l'école, mais comme toute la famille passe son temps dans la rue depuis que son papa a été enlevé, elle n'a pas encore été en classe », dit Zeinab.
« Depuis l'enlèvement de Ali, je préfère dormir sur une chaise. Parce que je suffoque la nuit. Je ne sais pas ce qu'il mange, comment il dort, ce qu'il fait... Je ferme les yeux, je ne vois que lui », indique Zeinab les larmes aux yeux.
« Je passe mon temps dans la rue depuis trois mois. De Dahr el-Baïdar au centre-ville de Beyrouth. Je veux que l'État libanais œuvre sérieusement à la libération de mon fils », ajoute-elle.


Amné, la mère de Hussein Dahmar, assise elle aussi devant une tente au centre-ville, répète cette même phrase. Elle veut que l'État agisse. Hussein Dahmar est un soldat originaire de Fneidek, localité exclusivement sunnite du Akkar. Il est âgé de 23 ans et est détenu par l'État islamique. À l'instar de tous ses camarades de l'armée libanaise emprisonnés dans le jurd de Ersal par les deux groupements terroristes, Hussein fait partie du 83e bataillon de la 8e brigade qui a été transféré à Ersal une semaine avant les combats dans cette localité enclavée de la Békaa.


Amné rapporte des nouvelles qu'elle a reçues la veille, tout comme les autres familles des militaires détenus. « Cinq fois par jour, ses geôliers l'appellent pour lui annoncer qu'il sera incessamment égorgé. Ils l'obligent à sortir et mettent en scène, cinq fois par jour, sa décapitation », dit-elle. « J'ignore s'il est dans une maison ou une grotte, s'il a froid, s'il mange à sa faim... Roumié est une prison cinq étoiles par rapport à ce que mon fils doit vivre tous les jours », ajoute-t-elle.

 

Le commandement de Raqqa
« Il y a cinq jours, il nous a téléphoné pour nous dire qu'une décision a été prise par le commandement de l'État islamique à Raqqa : il sera tué avec ses camarades si des avancées ne sont pas effectuées dans les négociations avec le gouvernement libanais », ajoute-t-elle.
Depuis que le sit-in de la place Riad el-Solh a commencé, Amné se rend tous les cinq jours à Fneidek et retourne à Beyrouth. Elle lutte pour épargner la mort à son fils. Elle ne veut pas qu'il subisse le même sort que son camarade et ami Ali Sayed, originaire lui aussi de Fneidek, et qui avait été le premier parmi les détenus de l'EI à Ersal à être égorgé.
« Avez-vous jamais vu un cheikh druze bloquer des routes et prendre part à un sit-in ? Mon métier est de faire la paix entre les gens... ». C'est Joudi Jaber, le père de Meimoun Jaber, qui intervient. Ce dernier, 30 ans, originaire de Dahr el-Ahmar dans le caza de Rachaya, est agent des FSI. Il est père d'un enfant de 5 ans et il est détenu par le Front al-Nosra.
« Meimoun est le seul fils que j'ai. Pour nous, habitants des villages pauvres du Liban, l'armée est un moyen de s'assurer des revenus toutes les fins de mois. Ça nous permet d'avoir un meilleur avenir. Et c'est ce que j'ai voulu pour mon fils. C'est pour cette raison que je l'ai laissé s'enrôler dans la troupe », explique-t-il.
Joudi Jaber a pris la rue depuis un peu moins de trois mois pour se faire entendre, bloquant des routes et organisant des sit-in. Sa fille et ses neveux prennent parfois la relève, alors que sa femme ne quitte plus la maison depuis l'enlèvement de son fils.
Le cheikh druze est entré en contact avec le cheikh Moustapha Houjeiri et tente de défendre le Front al-Nosra qui regroupe « des anciens militaires de l'armée syrienne et non des terroristes comme on les dépeint », affirme-t-il pour protéger son fils.

 

« Les trois mois les plus longs de notre vie »
Nawfal Mcheik est le frère de Abbas Mcheik, 30 ans, père de deux enfants, agent des FSI, originaire de Baalbeck et détenu par le Front al-Nosra. « J'étais en voyage. J'ai quitté mon travail quand j'ai su que mon frère a été enlevé et je suis rentré au Liban. Je suis dans la rue depuis presque trois mois », dit-il.
Nawfal a parlé avec son frère au téléphone. « Abbas essaie d'être rassurant, mais que voulez-vous qu'il dise ? Que peut-on dire quand est prisonnier et menacé de mort. Il m'a dit qu'il allait bien mais qu'il fallait que je m'occupe de ses enfants si quelque chose lui arrivait. Abbas a deux enfants et sa femme est enceinte au neuvième mois. Abbas souffre d'une maladie héréditaire au foie. Il a continuellement besoin d'être soigné et je ne sais pas si ses ravisseurs lui assurent ses médicaments... Mon frère n'est qu'un exemple parmi tant d'autres », dit-il.
« Il faut parler de tous les autres militaires détenus dans le jurd de Ersal. Prenez l'exemple de Mohammad Taleb, un soldat âgé de 30 ans enlevé par l'EI, originaire de Rayak et père de trois enfants. Quelques mois avant sa détention, il avait perdu sa sœur, âgée de 27 ans, suite à un accident... Si quelque chose lui arrivait, son père ne tiendrait pas le coup », ajoute-t-il.


Deux femmes sont assises devant une autre tente. Il s'agit de Mona et Montaha Geagea, les sœurs du soldat Pierre Geagea, 38 ans, originaire de Baraa, dans la Békaa, détenu par le Front al-Nosra. « Ces trois mois ont été les plus longs de notre vie... J'espère qu'il nous reviendra sain et sauf », indique Mona, qui ignore ce qu'elle fera quand elle reverra son frère vivant.
Mona, Montaha et tous les autres proches des militaires détenus dans le jurd de Ersal n'osent probablement pas imaginer l'avenir. Celui de leurs hommes est entre les mains du Front al-Nosra et de l'EI qui sont capables des crimes les plus atroces.
Ces vingt-six familles qui campent au centre-ville de Beyrouth vivent dans la hantise de voir leurs bien-aimés un jour sur les réseaux sociaux, exécutés au couteau ou aux armes d'hommes en cagoule défendant une forme de l'islam qui n'a jamais existé...
Si, peut-être dans les pires cauchemars.

 

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