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Moyen Orient et Monde - Égypte

Le tour de vis du régime Sissi dans les universités

Report de la rentrée, écrémage des étudiants indésirables à l'inscription, nomination directe des doyens des facultés et répression massive contre les « potentiels perturbateurs ». De nouvelles mesures qui provoquent la colère des étudiants et des enseignants, forcés de rentrer dans le rang.

Photo d’archives montrant des heurts entre étudiants contestataires proches des Frères musulmans et forces de l’ordre devant la faculté de commerce de l’université d’al-Azhar au Caire. Photo Reuters

« J'aimerais que la jeunesse égyptienne soit plus proche de moi. » Derrière son pupitre, entouré de quelques ministres et officiers, Abdel Fattah al-Sissi était en opération séduction, le 28 septembre dernier, à l'université du Caire. L'ambiance était décontractée, le président s'est même prêté au jeu des séances photos avec les jeunes diplômés des académies militaires et de police. Objectif : montrer que « tous les diplômés sont égaux et unis », a-t-il dit. Mais l'opinion se craquelle sous le vernis des supposées bonnes intentions des autorités égyptiennes vis-à-vis de la jeunesse diplômée ou en passe de l'être... Car l'année universitaire commence mal.


Censée débuter à l'aube du mois de septembre, la rentrée scolaire a été repoussée à plusieurs reprises et n'a débuté que le 11 octobre. Raison officielle invoquée : après les nombreux clashs qui se sont déroulés au sein même de plusieurs institutions et ont provoqué la mort de 16 étudiants, les infrastructures ont besoin d'être renouvelées. « Les bâtiments et les dortoirs, vandalisés lors des affrontements de l'année passée, ne sont plus en état d'accueillir les étudiants », avait fait savoir le ministre de l'Éducation dans la presse, quelques jours avant la date officielle de la rentrée. Mais au sein des facultés, c'est une autre inquiétude qui s'élève.
En effet, le ministre des Études supérieures, al-Sayed Abdul Khaleq, a annoncé récemment que les étudiants, affiliés à des activités politiques au sein des universités ou soupçonnés d'avoir pris part à des manifestations contre le régime, seraient interdits de réinscription. Une décision aussitôt appliquée par de nombreux chefs d'université. En premier lieu Gamar Gad Nassar : « Toute activité étudiante soupçonnée de posséder des ramifications politiques sera immédiatement dissoute », a ainsi prévenu le président de l'université du Caire, annonçant dans le même temps l'expulsion de plusieurs groupes étudiants militants. Parmi les activités désormais prohibées au sein des campus, on retrouve pêle-mêle les cours particuliers, les associations politiques, l'incitation aux manifestations et l'atteinte à l'intégrité du corps professoral. Des critères vagues permettant de viser les jeunes proches de l'idéologie des Frères musulmans sans les nommer, mais également susceptibles d'inquiéter n'importe quel étudiant jugé trop revendicatif. « De nombreux étudiants ont été désinscrits sans en être informés et sans possibilité de défendre leur cas », s'insurge Hani el-Husseiny, professeur de sciences.


« Discuter politique au sein des campus a toujours été quelque chose de souhaitable pour faire émerger de nouveaux leaders politiques », a vivement réagi Youssef Saleheen, porte-parole des Étudiants contre le coup d'État, groupe de militants qui dénonce l'ingérence de l'armée dans le mandat de l'ancien président islamiste Mohammad Morsi.
« Désormais, les décisions de l'administration universitaire seront pilotées par le gouvernement. Le but, c'est de contrôler la communauté académique. Les étudiants doivent adhérer aux idées du régime, ils n'ont aucune liberté d'expression à partir du moment où celle-ci n'est pas favorable au pouvoir en place », dénonce Mohammad Abdel Salem, membre de l'Association pour la liberté de penser et d'expression.
Ces décisions ont enflammé, dès le premier jour de la rentrée, plusieurs campus du Caire, d'Alexandrie et de 13 gouvernorats à travers le pays. Des étudiants, privés d'inscription ou fervents défenseurs de la liberté d'éducation, se sont réunis devant leurs universités pour protester. En quelques jours, au moins 110 personnes ont été arrêtées, selon Human Rights Watch.


Mais les étudiants ne sont pas les seuls à subir un tour de vis. Il y a quelques jours, sous la pression de la rue, les autorités égyptiennes ont finalement annulé le projet de loi de « régulation du personnel des universités ». Cette disposition devait permettre aux présidents des institutions de renvoyer professeurs et personnel sans décision judiciaire préalable. Une annonce survenue trois mois après la publication d'un décret réintroduisant la nomination directe des chefs d'université. « Élargir ce type de prérogatives mènera automatiquement à de l'abus de pouvoir et à un exercice arbitraire », estime Hani el-Husseiny, également membre du mouvement du 9 Mars, groupe de professeurs d'université qui milite pour l'indépendance des facultés et contre la corruption dans l'éducation.


Dans une tribune au journal francophone al-Ahram Hebdo, Wahid Abdel-Méguid, analyste politique et porte-parole de l'Assemblée constituante, a à son tour poussé un cri d'alerte : « Les universités sont censées être des jardins où fleurissent la raison, la pensée et la recherche de la vérité. Or, elles sont en passe de se transformer en déserts arides. »

 

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