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Économie - Liban

Jounieh : un port laissé à l’abandon

L'été 2014 a été un temps annoncé comme celui de la réhabilitation du port de Jounieh, à travers la mise en place d'une ligne régulière reliant le Liban à la Turquie. Quelques mois plus tard, le projet a pris des allures de mirage alors que le transporteur qui l'avait initié offre désormais ses services du côté de Tripoli. Retour sur un plan mal ficelé.

La discrète entrée du port de Jounieh n’aura finalement resservi qu’un été. Photo Philippe Hage Boutros

« Les infrastructures de ce port ne sont pas, en l'état actuel, adaptées à une mise en exploitation. » Cette explication sommaire est évoquée par toutes les personnes récemment interrogées au sujet de la mise hors service prématurée d'une ligne maritime reliant le chef-lieu du Kesrouan à la ville de Mersin, en Turquie. Défaut de brise-lames ou de jetée protectrice adaptée, absence de quais d'embarquement suffisamment spacieux, inexistence de sanitaires, nécessité de mener de fréquentes opérations de dragage pour préserver les trois mètres de profondeur du bassin... Les travaux que réclamerait une remise en état du port de Jounieh tiennent plus de la « réfection totale que de la remise aux normes ».


Pourtant, la revue Keserouan proposait, dans un dossier intitulé « Le port de Jounieh : un rêve devenu réalité » publié au mois de juillet dernier, de célébrer la résurrection d'un port officiellement fermé depuis 1993 par le ministre de la Défense de l'époque, Mohsen Dalloul. Un navire marqué du sceau de la compagnie Med Dream, dont le logo se rapproche furieusement de celui de la Middle East Airlines (MEA), devait donc annoncer le début d'une nouvelle ère, dans ce qui fut même décrit comme une « étape historique sur le plan commercial et touristique ». Mais pour de nombreuses sources proches de la zone portuaire, « le projet était mort-né » et la campagne de communication autour « démesurée par rapport à la réalité ». La compagnie de transport maritime, embarquée dans cette galère, affirme de son côté « avoir fait les frais de l'inertie de la municipalité de Jounieh ». Cette dernière se défend, de son côté, d'avoir tenté « de jouer la surenchère autour de cette initiative ».

 

Un transporteur à la manœuvre
L'Orient-Le Jour a contacté Ghassan Bakry, le propriétaire et gérant de la société Med Dream, qui opère désormais depuis le port de Tripoli. Cet homme d'affaires, qui a débuté sa carrière dans la récupération et l'acheminement de métaux, décide, au milieu des années 2000, de s'investir dans les transports de passagers par voie maritime. Après avoir ouvert une ligne régulière entre la Sierra Leone et la Guinée en 2004, il participe à l'évacuation des ressortissants canadiens présents au Liban pendant la guerre de 2006. C'est à partir de 2010 qu'il décide de se concentrer sur le bassin méditerranéen et de développer le transport maritime à partir du Liban.


Aujourd'hui, il se partage les passagers qui embarquent depuis Tripoli vers Mersin avec un transporteur turc géré par l'opérateur Aegean Tour. Med Dream peut compter sur trois navires. D'une capacité pouvant aller jusqu'à 350 passagers, deux d'entre eux relient la deuxième ville du Liban au port de Tartous en Syrie. Des départs sont organisés tous les mardis et jeudis. Un troisième ferry, d'une capacité oscillant entre 500 passagers en hiver et 900 en été, effectue la navette de Tartous à Mersin. Ce dernier aurait coûté près de 3 millions d'euros à son propriétaire. La compagnie Med Dream propose, en outre, des tarifs assez voisins de ceux du marché, soit 200 dollars environ pour un aller-retour entre Mersin et Tripoli, sans supplément pour excédent de bagages. Des tarifs légèrement plus élevés que ceux qui étaient proposé en 2010, alors que M. Bakry s'était associé avec la société turque Fergun pour acquérir un navire de 100 mètres de long pour effectuer cette même liaison.


Lorsqu'il est interrogé sur le sujet, M. Bakry admet « avoir perdu de l'argent en se lançant dans l'aventure de la remise en service du port de Jounieh ». « Jusqu'à 20 000 dollars de pertes par voyage lors des premières tentatives de lancement, sans compter les opérations promotionnelles faites au Liban ainsi qu'en Turquie », précise-t-il. Pour lui, les raisons de cet échec sont d'abord liées à « l'impérieuse nécessité de rénover le port de fond en comble », une opération « pour laquelle l'aide des autorités, locales ou nationales, est indispensable ». Mais la municipalité aurait fait la sourde oreille, malgré les encouragements de certaines personnalités, confie M. Bakry.

 

Des infrastructures inexistantes
Des sources proches de la capitainerie de Jounieh, dont dépendent aussi bien le terminal de la centrale thermique de Zouk que les ports de plaisance situés entre le Holiday Beach et l'Aquamarina, confirment cette analyse. « En l'absence de quai d'embarquement, le personnel du port se retrouvait à devoir gérer 200 à 300 passagers obligés de patienter sur la voie publique, sans protection contre la pluie », raconte l'une d'elles. Une autre suggère que « la plupart des voyageurs qui ont tenté l'expérience ont regretté leur décision avant même d'avoir embarqué ». Un constat partagé par une source proche de la Direction de la municipalité de Jounieh, qui se défend, malgré tout, de s'être engagée à investir dans des travaux de rénovation du port. Contacté à ce sujet, un membre du personnel proche de la présidence de la municipalité affirme que la direction de Med Dream aurait « été imprudente en faisant la promotion de cette initiative avant même de s'assurer que le port était en état ». En fin de compte, Med Dream aura fonctionné quelques semaines et assuré une dizaine de trajets avant de définitivement mettre un terme au projet vers le début du mois de septembre. Mais pour M. Bakry, qui espère encore réussir à s'implanter ailleurs qu'à Tripoli, « ce n'est que partie remise ».


De son côté, la municipalité de la ville semble avoir parié sur un « nouveau port touristique qui s'étendrait entre l'ATCL et la station balnéaire de Portemilio ». Un projet « qui dort encore dans les tiroirs du Parlement, mais qui a bon espoir de voir le jour », affirme l'un des employés municipaux. Une possibilité qui risque de mettre un terme définitif à l'histoire du port de Jounieh.

 

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commentaires (3)

Au Liban seule l'initiative privée réussit , et tout ce qui est public est voué à l' échec.

Sabbagha Antoine

10 h 17, le 21 octobre 2014

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Commentaires (3)

  • Au Liban seule l'initiative privée réussit , et tout ce qui est public est voué à l' échec.

    Sabbagha Antoine

    10 h 17, le 21 octobre 2014

  • BIZARRE ! QUI SE FONT DE LA BILE POUR L'ABANDON DU PORT DE JOUNIEH ? MAIS OUBLIEZ-VOUS QUE TOUT LE PAYS EST LAISSÉ À L'ABANDON... GRACE AUX HYPER ABRUTIS QUI N'ABANDONNENT PAS... MAIS S'AGRIPPENT AVEC ONGLES ET DENTS... ET POCHES... À LEUR PORT DE SÉCURITÉ PERSONNELLE ? ILS S'AUTO-ALLONGENT... ILS S'AUTO-PROLONGENT... ET L'ABRUTISSEMENT VA DE PAIR... !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 50, le 21 octobre 2014

  • Au Liban on a une fâcheuse tendance a mettre la charrue avant les bœufs,c'est à dire faire les études après réalisation. Arrêtons de fantasmer sur le port de Jounieh, et regardons la vérité en face: comment faire de Jounieh un port de tourisme? les infrastructures routières ne permettent même pas aux habitants de circuler dans Jounieh et on voudrait faire venir des ferry de 2 000 personnes????les touristes vont passer plus de temps sur le route que dans le bateau. Et venir faire quoi à Jounieh? Se baigner dans une eau polluée ou se promener sur le bord de mer envahi par les constructions sauvages. Je crois que ça demande un peu plus de réflexion sur la situation générale et de l'intégration de beaucoup de paramètres et je ne parle pas de financement! avec l'argent de qui ? de l'état exsangue ?

    yves kerlidou

    08 h 54, le 21 octobre 2014

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