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Économie - Liban - Médias

Beyrouth a accueilli 200 journalistes du monde arabe pour repenser la profession

Face au développement fulgurant de l'information en ligne et des médias sociaux dans la région, la presse écrite est-elle menacée ? Faut-il choisir entre le web et le papier ? Vers quels modèles économiques se diriger dans le cadre de cette révolution du numérique ? Pour répondre à ces questions, l'Institut français a accueilli le Forum 4M et CFI.

De gauche à droite : Ahmad Selman, Frédéric Bonnard, Émilie Sueur, Ahmad Rageb et Kamal Djouzi.

« Sortez de la crainte de la disparition de la presse papier et repensez le journaliste comme un producteur d'information qui vend cette information à qui veut bien l'acheter, peu importe le support. » Pour Pascal Riché, rédacteur en chef de Rue89, le métier de journaliste n'est en rien menacé, ce sont les modes de consommation de l'information qui évoluent. « On peut tuer le papier, mais pas le titre, insiste-t-il. C'est de cette manière qu'il faut désormais raisonner. »
Le responsable du pure-player français s'est exprimé en marge du Forum 4 M qui s'est tenu jusqu'à hier à l'Institut français du Liban. Organisé par l'Agence française de coopérations des médias (CFI) en partenariat avec la Fondation Samir Kassir, l'événement a réuni sur trois jours plus de 200 journalistes, blogueurs et entrepreneurs des médias venus de toute la région pour débattre de la mutation du métier de journaliste vers le numérique dans un contexte de bouleversement du monde arabe.

L'âge d'or du journalisme

Dans la région comme ailleurs, l'accélération du numérique a transformé la consommation de l'information. « Désormais, le journaliste n'a plus le monopole de la production, a ainsi souligné Ahmad Selman, directeur général adjoint du quotidien as-Safir. Aujourd'hui, le lecteur est maître. »

Benoît Thieulin, fondateur et directeur de l'agence digitale La Netscouade et président du Conseil du numérique, explique ces bouleversements par le concept de « neutralité d'Internet ». « Cela signifie simplement que sur Internet, tous les acteurs sont au même niveau. Vous n'avez pas besoin d'être un professionnel des médias pour produire de l'information, n'importe qui peut aujourd'hui s'exprimer. »
La révolution du numérique est ainsi une révolution du pouvoir. Selon Benoît Thieulin, la liberté d'expression n'a finalement jamais véritablement existé avant Internet. « Les conséquences de la révolution du web sont équivalentes à celle de l'imprimerie », affirme-t-il.

Citoyens, blogueurs, chacun peut désormais témoigner, partager et réagir via les réseaux sociaux. Cela ne sonne pas pour autant le glas du journalisme, bien au contraire. « Face à ce surplus d'informations venues de toutes parts, la société n'a jamais eu autant besoin de journalistes pour décrypter, trier, vérifier et analyser ces informations. En réalité, le journalisme vit son âge d'or. »

Dans ce contexte, les médias traditionnels sont en plein bouleversement et doivent repenser leur modèle. « Le travail du journaliste ne s'arrête plus à l'heure de l'impression du journal, ajoute Ahmad Selman. Ce dernier doit désormais réagir sur les réseaux sociaux, produire une information en continu et en ligne. »

Dans les rédactions, l'organisation des professionnels est elle aussi bouleversée, comme témoigne Émilie Sueur, responsable de la rédaction web de L'Orient-le Jour (OLJ). « Des problèmes ont surgi avec la création de la rédaction web, explique-t-elle. Des problèmes qui sont en réalité plutôt des défis à relever. »
À L'OLJ, six journalistes sont en charge du site Internet du journal. « Nous reprenons les articles du papier et en enrichissons certains grâce à différents formats comme des vidéos, des infographies ou encore des liens », poursuit Émilie Sueur. Les six journalistes web produisent en outre une information exclusive au site du quotidien. « Il est parfois difficile de faire comprendre au reste de l'équipe que nous sommes finalement une même rédaction et que nous travaillons à produire le même journal, mais les mentalités évoluent », ajoute-t-elle.

 

(Lire aussi : La vidéo en ligne va-t-elle tuer la diffusion télévisée classique ?)

 

« Le site web est déjà dépassé »

Si les défis sont les mêmes à la télévision et à la radio, l'urgence se fait moins sentir, comme le souligne Frédéric Bonnard, vice-président nouveaux médias pour France-Médias monde. « L'audiovisuel se porte mieux que la presse écrite dans le monde, explique-t-il, mais nous n'échappons pas au virage numérique. Ce virage ne passe pas seulement par l'alimentation d'un site web. Le site web est déjà dépassé. » Le professionnel fait référence aux médias sociaux, dont les journalistes doivent aujourd'hui se servir comme nouveaux moyens de communication.

« Nous avons par exemple créé Instaflash, via l'utilisation d'Instagram. Nous choisissons trois titres que nous illustrons par trois images. » Les formats et idées tels qu'Instaflash sont aujourd'hui infinis, mais se pose alors la question de la gestion des ressources humaines dans la rédaction. Comment convaincre les journalistes de passer aux différents formats web, en plus de leur travail du quotidien ?

L'avenir des médias lié à celui d'Internet

Kamal Djouzi, rédacteur en chef d'el-Khabar en Algérie, est confronté comme nombre de ses pairs aux réticences des journalistes traditionnels à produire pour le web. « Internet permet pourtant aux journalistes de se libérer des contraintes de temps. Il permet de publier ce que l'on veut, où on le veut. » Mais exercer le métier de journaliste en continu nécessite des moyens supplémentaires.

Ahmad Ragab, rédacteur en chef d'al-Masri al-yom, un site égyptien, a de son côté trouvé une manière originale de motiver son équipe de journalistes à la production de l'information en ligne. « Nous avons opté pour une incitation financière. L'objectif est de pousser nos journalistes à participer à l'activité du site. Les professionnels ont ainsi des objectifs à atteindre tous les mois. S'ils ne produisent que 90 % de ces objectifs en ligne, ils ne percevront que 90 % de leur salaire. En revanche, certains journalistes réussissent à doubler leur salaire mensuel grâce à leur travail sur le web. » Selon le rédacteur en chef, depuis la mise en place de cette réforme, les informations du quotidien en ligne ont doublé. « Nous sommes sur la bonne voie », a-t-il considéré.

À « L'Orient-Le Jour », le « PayWall » pour protéger le papier

L'OLJ a pour sa part installé en juillet dernier un « PayWall » sur son site. Les lecteurs ont un accès gratuit à 25 articles par mois. Pour lire au delà de cette limite, ils doivent s'abonner. « Aujourd'hui, la publicité en ligne ne rapporte pas assez, poursuit Emilie Sueur, il nous faut alors trouver d'autres sources de financement pour survivre, comme les abonnements sur Internet ».
De manière plus globale, si l'avenir des médias est bel et bien lié à celui d'Internet, les principales ressources financières viennent encore souvent de l'édition papier.

Le crowdfunding appliqué au journalisme ?

En Algérie, Kamel Haddar, PDG et propriétaire d'Algérie-Focus.com, est de son côté sur le point de tester une nouvelle forme de financement pour son pure-player. « Nous allons lancer dans deux mois une sorte de crowdfunding appliqué au journalisme, explique-t-il à L'Orient-Le Jour. Les lecteurs pourront eux-mêmes proposer les sujets qu'ils souhaitent lire sur notre site et devront assortir la somme de leur choix à leur proposition pour qu'un de nos journalistes enquête. Une fois un certain montant atteint (via une opération de financement participatif), le sujet sera sélectionné et traité ».

L'homme d'affaires prévoit également la sortie en décembre 2014 d'un magazine édité et distribué en France, Algérie Focus Magazine, sur la base du contenu de son pure-player. Face au nombre important d'industriels algériens exportant en France, Kamel Haddar a flairé une source importante d'annonceurs publicitaires. Et cela sans compter la communauté algérienne présente en France.


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