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Moyen Orient et Monde - Médias

Le désarroi des reporters de guerre face aux « trous noirs » de l’information

« C'est une guerre sans témoins. L'histoire est prise en défaut. Les témoignages qu'il y aura par la suite n'auront pas la même valeur. La mémoire transforme tout. »

Le photographe belge indépendant Laurent Van der Stockt, plusieurs fois primé pour ses reportages en Syrie en 2012 et 2013. Charly Triballeau/AFP

Prises d'otages, exécutions, haine des journalistes occidentaux : les zones contrôlées par le groupe État islamique (EI, ex-Daech) en Syrie et en Irak sont devenues des quasi-« trous noirs » de l'information, qui laissent les reporters en plein désarroi.
« On ne sait pas ce qui se passe à Falloujah (500 000 habitants), à Ramadi, à Mossoul (deux millions d'habitants). Ce sont des villes considérables à l'échelle française », constate amèrement Jean-Pierre Perrin, grand reporter à Libération. « C'est une guerre sans témoins. L'histoire est prise en défaut. Les témoignages qu'il y aura par la suite n'auront pas la même valeur. La mémoire transforme tout », souligne le journaliste, interrogé par l'AFP en marge du prix Bayeux-Calvados (France) des correspondants de guerre décerné samedi dernier. Même le photographe belge indépendant Laurent Van der Stockt, plusieurs fois primé pour ses reportages en Syrie en 2012 et 2013 et réputé pour ses réseaux sur le terrain, « n'ira pas » en zone contrôlée par le groupe ultraradical.
« C'est un échec », admet Jean-Philippe Rémy, le journaliste du Monde qui a cosigné le reportage de 2013 avec Laurent Van der Stockt en Syrie. « Avec un journaliste qui devient un gibier ou une pièce mécanique dans une machine à propagande, ça devient méchamment compliqué. » Car depuis août, quatre otages occidentaux, dont deux journalistes américains, ont été décapités par l'EI. « L'EI entretient une partie de sa mythologie par sa violence contre les journalistes et par ses mystères sur ce qui se passe à l'intérieur », résume Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières. Résultat, le conflit n'est « malheureusement couvrable qu'avec des sources indirectes », constate-t-il.

Mutation idéologique
Le président du jury du prix Bayeux 2014, le journaliste américain Jon Randal, s'avoue « très pessimiste ». « Non seulement on ne peut pas aller sur place mais ces groupes radicaux sont devenus maîtres de tous les médias modernes et des réseaux sociaux », s'inquiète celui qui fut pendant 30 ans correspondant de guerre du Washington Post. Un « reportage » dans le califat proclamé par les jihadistes en Syrie et en Irak a bien été diffusé sur le site d'information Vice News basé à New York. Mais ce documentaire, signé du journaliste anglo-palestinien Medyan Dairien, fait débat. « C'est de la propagande », tranche Laurent Van der Stockt. « On est à la limite du militantisme. Parfois on a l'impression que c'est l'EI lui-même qui tourne » et « ça veut dire que ne sont autorisés à aller avec lui que les journalistes qui partagent un certain nombre de valeurs, à commencer par la religion ».
De l'Érythrée à la région du Baloutchistan au Pakistan en passant par l'Afghanistan, dont certaines régions ne sont accessibles que moyennant un mois de marche, les « trous noirs de l'information » ne sont pas une première, souligne RSF. Mais « il y a eu une mutation idéologique », pense Jean-Pierre Perrin, qui a couvert l'Afghanistan dès l'époque de l'occupation soviétique. « Le fait de voyager avec des moujahidines n'impliquait pas des risques autres que ceux inhérents à une guerre : être tué par l'armée soviétique, sauter sur une mine ou être victime d'un bombardement. Mais ça n'impliquait pas nécessairement d'être enlevé, battu, torturé, exécuté. Ils ne voyaient pas dans le journaliste un ennemi », raconte le reporter.
Jean-Philippe Rémy a observé le phénomène en Somalie : « Il y a eu une première phase où il y avait beaucoup de dangers, mais acceptables, des chefs de guerre voyous avec des coups de feu qui partaient pour un oui pour un non, pour caricaturer un peu. Mais quand une dimension idéologique s'est greffée là-dessus et que les shebab ont commencé à s'étendre, ils ont dit "on ne veut plus parler qu'à des journalistes qui soient de préférence somaliens, musulmans, et qu'on connaît depuis longtemps". À partir de là c'était fini. Il n'y a plus un papier de fond à lire pour cette raison », déplore-t-il.
(Source : AFP)

Prises d'otages, exécutions, haine des journalistes occidentaux : les zones contrôlées par le groupe État islamique (EI, ex-Daech) en Syrie et en Irak sont devenues des quasi-« trous noirs » de l'information, qui laissent les reporters en plein désarroi.« On ne sait pas ce qui se passe à Falloujah (500 000 habitants), à Ramadi, à Mossoul (deux millions d'habitants). Ce sont des...

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