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Diaspora

Estéfano, un philosophe libanais et hispano-américain engagé

Estéfano, grand orateur, très écouté en son temps, a préféré l'exil à l'oppression. Sa notoriété était grande dans toute l'Amérique latine*.

Habib Estéfano en compagnie de son épouse Mary qui l’accompagna durant les dernières années de sa vie.

Philosophe, maître de conférences, professeur d'histoire de la civilisation et notable hispano-américain, Habib Estéfano est né en 1888 à Btater, au Liban, et est décédé en 1946 à Petrópolis, au Brésil. Ses parents, Georges et Layla Estefan, l'ont envoyé à l'âge de 14 ans étudier au Collège de la Sagesse à Beyrouth, où il se révéla vite comme un brillant orateur. Trois ans plus tard, l'archevêque de Beyrouth, Mgr Joseph Debs (1872-1907), décida de l'envoyer à Rome pour poursuivre ses études à l'Université pontificale Urbaniana venant du collège missionnaire de Propaganda Fide.
Habib obtint un doctorat en philosophie et théologie à Rome. Il fut ordonné prêtre maronite en 1913, avant de retourner au Liban. L'archevêque de Beyrouth à l'époque, Mgr Pierre Chébli (1908-1917), nomma le père Habib professeur de philosophie en langue française et de théologie en langue arabe au Collège de la Sagesse, à Beyrouth. Mais la Première Guerre mondiale venait de commencer et le collège ferma ses portes temporairement en 1914, alors que le peuple libanais, étouffé de plus en plus par la domination de l'Empire ottoman, avait soif de liberté et d'indépendance. Le père Habib fut transféré à la cathédrale Saint-Georges de Beyrouth, où ses homélies étaient attendues aussi bien par les fidèles chrétiens que musulmans et juifs. Son don d'orateur rassemblait toujours un nombre croissant de
personnes.
Après la Première Guerre mondiale, le père Habib entra dans une remise en cause spirituelle et devint sympathisant de la Révolte arabe (1916-1918) menée par l'émir Fayçal. Il prit le chemin de Damas où Fayçal le nomma président de l'Académie de Damas, qui avait pour objectif d'être un centre culturel interracial des peuples de langue arabe. En même temps, il devint professeur d'histoire de la civilisation à l'École militaire de Damas. Ce changement radical lui valut d'être excommunié par son archevêque. En 1920, Habib se rendit en Égypte pour fonder aussi une Académie de langue arabe, mais Fayçal fut exilé. Interdit de conférences, Habib préféra l'émigration au silence, et quitta le Moyen-Orient pour l'Europe et l'Amérique latine, sans plus jamais y retourner.

« Mes concitoyens s'identifient avec les autochtones »
Habib passa en premier par l'Italie, avant de partir pour l'Espagne où il visita Córdoba, Granada et Séville, villes d'Andalousie qui le touchèrent profondément par leur passé arabe. Sans s'y attarder, il voyagea avec ses cousins pour La Havane, à Cuba, où ils avaient déjà émigré. Là, il étudia la langue espagnole et organisa un cycle de conférences humanistes à l'Université de La Havane. Alors que sa notoriété grandissait en Amérique latine, il partit en 1923 aux États-Unis pour effectuer des contacts avec l'Université de Harvard et donner des conférences. Il retourna un an plus tard à Cuba, puis se rendit à Saint-Domingue et Haïti.
En 1925, Habib partit en Espagne pour y approfondir ses études sur les relations entre les nations, basées sur les mouvements d'émigration suite à la découverte du Nouveau Continent. Dans une conférence donnée à Madrid à l'Union ibéro-américaine, il fit la réflexion suivante : « J'ai un million de concitoyens qui vivent en Amérique hispanique, du Mexique jusqu'en Argentine. Ils s'identifient complètement avec les autochtones, font déjà partie de l'Amérique hispanique, sont ses enfants et dépendent de sa terre. Je dois dire ainsi que j'ai deux patries : une arabe, le Liban, où je suis né, et une autre, l'Amérique hispanique, où vivent et travaillent mes concitoyens... » (Rodolfo Gil Benumeya, Hispanidad y Arabidad, Ediciones Cultura Hispánica, Madrid 1952, pp..83-85.)

Un parallélisme entre « hispanité » et « arabité »
Les thèmes abordés par le philosophe étaient aussi bien le Liban que le pacifisme et l'humanisme. Conscient de l'importance de la connexion avec l'Orient arabe en particulier, il est l'un des premiers à avoir fait le parallèle, en 1925, entre « hispanité » et « arabité ». Entre autres titres de ses conférences, citons « La valeur humaine de la science », « Le commerce et la civilisation dans le développement de l'humanité », « L'importance et la signification pour l'Espagne de son grand centre d'études orientales », « La poésie lyrique des Arabes », « Le mysticisme dans la psychologie militaire »... Plusieurs journaux et revues de l'époque publièrent des résumés de ses conférences, notamment l'ABC et La Libertad à Madrid, El Defensor de Granada...
Fin 1925, Habib traversa de nouveau l'Atlantique pour regagner l'Argentine, où il décida de vivre à Buenos Aires et de se faire naturaliser argentin. Il visita alors l'arrière-pays, rencontrant de nombreux concitoyens et intellectuels arabes dont le célèbre Antoun Saadé. Il fonda en 1927, à Tucumán, le journal de langue arabe La Civilisation et ensuite, avec Pedro Zain et Jacobo Gattás, le journal Alminbar (La
Tribune).
En 1929, Moisés José Azize lança le journal Diario Sirio-Libanés (Journal syro-libanais), qui devint la plus importante publication en arabe et en espagnol, avec un tirage de quarante mille exemplaires grâce à des écrivains de renom, comme Habib Estéfano, Salomón Abud, Élías et Zaki Konsol, et Juan Obeid.
Entre 1928 et 1930, Habib fit une grande tournée en Amérique centrale, où il fut reçu aussi bien par les autorités locales que par les institutions libanaises. Il publia au Mexique son premier livre : Los pueblos hispano-americanos. Su presente y su porvenir (Les Peuples hispano-américains. Leur présent et leur avenir), décrivant l'hispano-américanisme et le renforcement des relations entre l'ancienne patrie-mère et ses fils d'outre-mer, comme idéal politique. Habib publia aussi le livre Portugal Heroico en 1928 et laissa plusieurs manuscrits se rapportant à ses conférences et réflexions. Un collège mexicain porte aujourd'hui son nom dans la localité de Torreón.
En 1941, à l'âge de 53 ans, Habib se maria à Mary Morandeyra Estévez, citoyenne cubaine née en 1905, qui était écrivaine, poète, journaliste et attachée de presse ministérielle à La Havane. Elle effectuait des missions culturelles en Amérique et en Europe. Mary, conférencière militant pour les droits de la femme, était aussi sensible qu'engagée et participait à toutes les manifestations artistiques et sociales.
Mais le mariage ne dura pas longtemps. Habib est décédé subitement à Petrópolis, dans l'État de Rio de Janeiro, en 1946. Dans la même année, Mary écrivit le livre Habib Estéfano en mi vida-ante la conciencia de las colectividades de habla árabe en América (Habib Estéfano dans ma vie – devant la conscience des collectivités de langue arabe en Amérique), publié à Buenos Aires et retraçant toute une vie consacrée à l'enseignement et au parallélisme entre l'hispanité et l'arabité.

*Sources : « Mary Morandeyra, Habib Estéfano en mi vida -ante la conciencia de las colectividades de habla árabe en América », éd. Artes Gráficas B. U. Chiesino, Buenos Aires (1946), 2 éd. México (1948).
« Habib Estéfano – Los pueblos hispano-americanos. Su presente y su porvenir », Ediciones Culturales, México s.d. (1931).

Philosophe, maître de conférences, professeur d'histoire de la civilisation et notable hispano-américain, Habib Estéfano est né en 1888 à Btater, au Liban, et est décédé en 1946 à Petrópolis, au Brésil. Ses parents, Georges et Layla Estefan, l'ont envoyé à l'âge de 14 ans étudier au Collège de la Sagesse à Beyrouth, où il se révéla vite comme un brillant orateur. Trois ans...