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Économie - Liban - Transports

Les taxis-service sont-ils menacés par une réforme des transports publics ?

Les taxis-service font partie du quotidien de nombreux Libanais et d'émigrés non motorisés obligés de trouver des solutions pour se déplacer dans un pays où les transports en commun évoluent souvent à l'état sauvage. Zoom sur une profession qui tente de survivre tout en restant indépendante et qui risque de se retrouver prise entre deux eaux, dans la perspective d'une éventuelle réforme des transports publics.

Les revenus bruts des taxis-service dépassent rarement les 60 000 livres par jour.

Du haut de ses soixante ans, Tony est l'un des rares conducteurs de taxis-service qui a accepté de parler en son nom. La prudence semble être en effet monnaie courante chez ces travailleurs du transport routier pour qui tranquillité rime forcément avec discrétion. Du lundi au samedi, voire certains dimanches, Tony se poste avec ses collègues, de 6 heures à 19 heures, au niveau du rond-point de l'église Saint-Charbel, à l'entrée d'Adonis.
Ses courses se divisent en deux grandes catégories : le « service » permet à un passager de joindre un point assez proche des principaux axes routiers qui vont d'Adonis aux extrêmes limites de Zouk Mosbeh, pour 2 000 livres par personne. Parfois, ce tarif peut doubler en fonction de la distance à parcourir jusqu'à la destination, et le passager doit généralement attendre que le chauffeur rassemble deux autres passagers au moins avant de démarrer. Plus cher et parfois négociable, le « taxi » consiste à accompagner un client à une adresse indiquée, sans perdre de temps sur la route. À la fin de la journée, Tony avoue gagner entre 25 000 et 50 000 livres par jour, en moyenne, pour 15 000 livres d'essence au minimum, en fonction de l'activité. Comme tous ses collègues, il paie un loyer de 20 dollars mensuels à la municipalité pour pouvoir se poster à cet endroit. Une particularité que ne partagent pas toutes ces centrales de taxis improvisées qui occupent la plupart des carrefours où se redistribuent les flux de circulation.


Le secrétaire général de l'un des 21 syndicats des transports en activité au Liban, Ali Muhieddine, connaît parfaitement les raisons qui ont amené un pays comme le Liban à laisser son réseau de transports publics se développer de façon anarchique. « En 1994, le pays comptait 10 649 taxis enregistrés et 617 autobus, explique-t-il. Or, La loi 384/94 votée cette année-là – sous le mandat du Premier ministre Rafic Hariri – a autorisé l'émission de 12 000 plaques rouges supplémentaires. » Une mesure qui a surtout eu pour effet, quatre ans après la fin de la guerre civile, de multiplier les fraudes ainsi que le nombre de voitures en circulation, comme l'explique le professionnel. « Avec cette loi, le parc de taxis enregistrés a été multiplié par trois, celui des bus, par quatre, sans compter les quelque 4 000 vans qui se sont invités dans le processus », poursuit M. Muhieddine. Ce dernier précise aussi que « ces chiffres sont toujours d'actualité et ont inversé la répartition qui existait avant 1975 entre les parts de marché respectives des transports privés et publics, aujourd'hui à 70 % au bénéfice du privé ». Rappelons que le prix d'achat de la licence de chauffeur de taxi s'élève à 32 millions de livres. Une somme à laquelle il faut ajouter diverses contributions annuelles qui couvrent l'assurance du chauffeur (qui varie du tout au tout selon les formules) ou encore le contrôle technique de la voiture, qui évolue en fonction de l'année du modèle. S'il faut par exemple compter moins de 100 000 livres pour un véhicule datant d'avant 2009, les sommes engagées peuvent dépasser les 300 000 livres par an.

 

Une réglementation aussi nécessaire qu'attendue
Dans ce contexte, le développement des taxis-service s'est imposé comme une évidence pour de nombreux conducteurs « livrés à eux-mêmes » dans un marché saturé dans lequel « la concurrence est souvent déloyale ». La plupart des conducteurs interrogés expliquent que c'est pour cette raison qu'ils choisissent finalement de s'organiser en « équipes » pour prendre position sur certains points de passage (ponts piétons, bretelles d'autoroute, ronds-points...). Un positionnement qui se fait généralement « avec l'accord tacite ou exprès des représentants des autorités locales ». M. Muhieddine rebondit d'ailleurs sur ce point en soulignant « l'inertie des forces de l'ordre pour tout ce qui concerne la poursuite des fraudeurs, ce qui rend difficilement toute tentative de réglementation sérieuse ».


Les chauffeurs de taxi-service partagent d'ailleurs cet avis, à l'image de Ghazi, qui travaille à l'une des entrées de la capitale. Ce dernier affirme gagner environ 50 000 à 70 000 livres par jour et parcourt un circuit de 22 km d'autoroute au total, ce qui l'oblige à embarquer quatre passagers ou plus à chaque départ. Lui et ses collègues ne paient aucune « taxe » à la municipalité locale, qui s'accommode toutefois de leur présence. Souvent assimilés à ceux qui contournent la loi, nombre de ces professionnels semblent plutôt faire partie de ceux qui font de leur mieux pour la respecter, voire la faire respecter. Avec son « groupe exclusivement composé d'habitants de la région », Ghazi contribue à repousser les taxis illégaux qui tentent s'installer sur leur secteur, surtout lorsqu'ils sont étrangers. « Avec eux, on ne peut même plus appeler ça de la concurrence », confie-t-il en faisant surtout référence aux vans qui viennent de Syrie.


La plupart de ces chauffeurs, à l'image de Tony ou de Ghazi, ont, par ailleurs, une mauvaise opinion des compagnies de taxi. Ils accusent en effet ces derniers de « trop baisser les prix du marché en recrutant des fonctionnaires à la retraite, essentiellement des militaires ». Enfin, pour une majorité de professionnels du taxi-service, « les exigences de ces sociétés sont excessivement élevées et leur contribution ne justifie pas les commissions qu'elles prélèvent sur le prix de la course ». Contactée par L'Orient-Le Jour, la compagnie Charbel Taxi, parmi d'autres, nie cependant tout calcul basé sur les sources de revenus parallèles comme critère de recrutement. Il avoue néanmoins que « la montée en gamme des véhicules recherchés par ces sociétés est une réalité, malgré la démocratisation de ce type de prestations ».


Reste à savoir si le taxi-service sera le grand perdant de la réforme des transports publics promise depuis 2009, dans le cas où elle serait mise en place. Pour les syndicats concernés, tant que « les exigences de protection de la profession sont assurées, rien ne devrait aller dans le sens d'une mise à l'écart de cette catégorie de chauffeurs en particulier ». Celles-ci concernent surtout en effet le renforcement des conditions d'octroi et de contrôle des permis et immatriculations, ainsi que la préservation du secteur au profit de la main-d'œuvre de nationalité libanaise, comme le confirme M. Muhieddine. « Le modèle d'organisation proposé par les taxis-service pourrait même faire école et s'intégrer dans le nouveau découpage de la carte des transports publics », suggère ce dernier, pour qui « la question se posera quand le Conseil des ministres aura pris une décision à ce sujet ». Affaire à suivre.

 

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commentaires (3)

Les incohérences et abus évoqués ne sont pas des résultats d'une loi mais de l'absence de toute disposition pour rendre la loi correctement applicable. Je rappelle qu'il appartient aux autorités locales de prendre les mesures pour rendre la loi effective. C'est une bonne chose de revoir le système mais il faut surtout prévoir des systèmes de contrôle (l'identité des chauffeurs, les plaques), déterminer le régime relatif à la tarification (si on retient une libre détermination par principe?) et gérer en pratique le nouveau système des transports publics (financement, gestion des lieux dédiés, contrôles techniques obligatoires, etc...)

Olivier Georges

12 h 26, le 09 octobre 2014

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Commentaires (3)

  • Les incohérences et abus évoqués ne sont pas des résultats d'une loi mais de l'absence de toute disposition pour rendre la loi correctement applicable. Je rappelle qu'il appartient aux autorités locales de prendre les mesures pour rendre la loi effective. C'est une bonne chose de revoir le système mais il faut surtout prévoir des systèmes de contrôle (l'identité des chauffeurs, les plaques), déterminer le régime relatif à la tarification (si on retient une libre détermination par principe?) et gérer en pratique le nouveau système des transports publics (financement, gestion des lieux dédiés, contrôles techniques obligatoires, etc...)

    Olivier Georges

    12 h 26, le 09 octobre 2014

  • De toute façon, il est indispensable et grand temps de réglementer ces moyens et tous les autres moyens de transports qui considèrent les routes comme leurs propriétés privées et surtout de leur donner des cours de conduites et de bonnes leçons de civismes. Mais… à quoi bon… à la jungle comme à la jungle…

    Nadine Naccache

    09 h 08, le 09 octobre 2014

  • Vous parlez de réforme mais elle consiste en quoi ? Faisons le bilan de la situation, c'est sur c'est une catastrophe, seul avantage le transport en commun est le plus performant au monde un bus tous les 2 mn et des taxis à volonté ! mais les conséquences sur la circulation sont catastrophiques. Comportement des chauffeurs de bus digne des plus sauvages, lié à leurs QI sans doute le plus bas du Liban et bien sur à leur condition: conduire toute la journée et soucis de rentabilité. une bonne partie des ralentissements de circulation est de leur responsabilité, mais là aussi absence de réels arrêts de bus. Quand je vois la situation de mettre un policier tous les 500 m pour obliger les bus a se garer convenablement quel gâchis financier ! A quand une véritable réflexion sur le transport en commun, des bus dans un état de propreté irréprochable, des lignes officielles! et je ne préfère pas parler de métro type aérien comme au Japon sur les axes importants là on est dans le rêve

    yves kerlidou

    08 h 24, le 09 octobre 2014

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