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Culture - Cimaises

Dans le rétroviseur de quatre jeunes filles

Des images, des représentations, des montages, des collages, des dessins qui fourmillent d'indices. À la galerie Janine Rubeiz, quatre jeunes artistes accordent leurs « tableaux » au diapason de la nostalgie.

Des images, des représentations, des montages, des collages, des dessins qui fourmillent d’indices. À la galerie Janine Rubeiz, quatre jeunes artistes accordent leurs « tableaux » au diapason de la nostalgie.

Prononcez le mot nostalgie à un sexa, ou un septa, il vous parlera d'un temps que d'autres ne peuvent pas connaître. Un quinqua aura des souvenirs un peu plus familiers à partager. Peut-être d'un Liban dont les images restent encore un peu présentes aujourd'hui. Idem pour un quadra. Mais les jeunes de vingt ans? Si on leur parle de nostalgie, que répondent-ils? Il serait intéressant de le savoir. C'est ainsi que la galerie Janine Rubeiz donne la parole à quatre artistes qui n'ont pas frôlé la trentaine: Dalia Baassiri, Chafaa Ghaddar, Rima Maroun et Laura Pharaon. Conçue par un duo de jeunes curatrices, Juliana Khalaf et Taline Aynilian, cette exposition reflète à l'évidence la volonté de sa propriétaire Nadine Begdache de non seulement «donner la parole aux jeunes», mais aussi et surtout de présenter les expositions d'une manière différente de ce à quoi la scène culturelle libanaise nous a habitués. Du moins pour les galeries, qui ont l'habitude de donner à voir un artiste unique. «Là, c'est une exposition collective, avec une thématique bien précise. Et la manière de présenter les œuvres, chacune accompagnée d'une note d'intention de l'artiste, pour attirer un public de néophytes et les encourager à mieux appréhender les travaux exposés», précisent Juliana et Taline.
C'est donc sous le thème de «Nostalgic Imagery» que les artistes «effectuent un voyage dans le temps, à travers des images où se trouvent différents objets d'apparence anodins, mais qui possèdent en réalité une signification importante pour l'artiste», affirment les curatrices. À chacune des artistes ses instruments de prédilection. À chacune, sa manière de concevoir le monde. De traiter avec ses «images». De traduire ses idées, ses sentiments, ses souvenirs.
Dans l'œuvre de Dalia Baassiri, c'est le domicile familial qui ressuscite sous les cendres. De celles de l'oubli, mais aussi et surtout celles laissées par les balles incendiaires qui ont ravagé son appartement lors des événements de Abra. «Je suis arrivée à la maison, tout était noir, se souvient l'artiste. Les rideaux avaient pris feu et tout était recouvert d'une épaisse couche de suie. Il fallait nettoyer, au plus vite. Mais en voyant les traces laissées aux murs par les éponges humides, des impressions magnifiques, surréalistes, j'ai demandé à ce qu'on laisse tout intact.» Et c'est ainsi que pendant quarante jours, Dalia Baassiri, en tête à tête avec son home sweet home défiguré, a dialogué avec son passé, en prenant possession des murs de la maison familiale, les transformant en un canevas pour raconter son enfance et ses moments forts. Elle a dessiné sur les murs, avec pour outils ses doigts, ses mains, ses empreintes, des éponges, du savon et cette matière noire (la suie) qui s'est avérée magique. Elle a pris des photos, joué avec les meubles restants, mis en scène le théâtre de ses souvenirs, de sa nostalgie. Le résultat provoque un questionnement sur l'arbitraire et l'intentionnel, sur l'absence et la présence, sur l'imaginaire et le réel. Inspiré et donnant la chair de poule, «House Cleaning» est à voir (et à toucher) sur place.
Chafa Ghaddar vient elle aussi de Saïda et avait également exposé une œuvre «murale» dans le cadre de «Exposure 2012» au Beirut Art Center. À la GJB, elle présente un tout autre travail. En miniature cette fois-ci. Fait de petites images floutées, superposées, imprimées sur des petits rectangles de bois. Intitulé «Undergrowth», ce projet évoque pour elle la mémoire de certaines plantes qui ont caractérisé les images de son enfance. «Autour de notre maison, des collines où poussaient herbes folles et fleurs sauvages, raconte Ghaddar. C'était mon terrain de jeu. Et mon père, fasciné par la beauté de ce canevas, prenait un soin particulier à me photographier entourée de cette nature indomptée.» Et d'ajouter: «Aujourd'hui, les temps ont changé. Ces terrains sont envahis par le béton des résidences apparues çà et là. Mais les plantations, ce que j'appelle les "undergrowth", continuent de pousser là où elles trouvent un espace libre, même minime.»
Dans ce projet, elle revisite donc les photos prises par son père à la fin des années 80. Elle les « rephotographie », en changeant l'encadrement, le point focal du cliché devient tout autre. Ce n'est plus la petite fille que l'on voit, mais un pan de sa jupe, et beaucoup de verdure, de flou, comme si le temps avait suspendu son vol.

La photographe Rima Maroun intitule son projet «Disambiguation». L'artiste dont le travail est captivant (dans le sens propre du terme) raconte: «Il y a une image de mon enfance qui ne cesse de refaire surface. Même s'il apparaît familier, je suis dans un jardin que je ne reconnais pas. Je tourne et tourne, cherchant le chemin de la maison. En vain. Les formes tout autour de moi se dissipent comme dans un rêve et je n'arrive pas à empoigner cette image qui s'étiole à chaque fois. Le jardin disparaît. La maison disparaît. Mais je me retrouve assise sur une chaise, attendant le retour à la maison.»
«Lorsque les curatrices de cette expo m'ont approchée, j'ai senti que j'avais envie de plonger dans cet univers, même si le travail dans lequel j'étais plongée n'est pas forcément en rapport avec la nostalgie. J'ai trouvé d'emblée intéressant de me questionner sur cet état. Et à partir de ces interrogations, constituer la série présentée.» Elle a donc imaginé l'histoire racontée ci-dessus. Car la nostalgie, selon une définition qui lui vient à l'esprit, c'est aussi le fait d'être bloqué, coincé dans le temps, «d'avoir un système d'images qui nous habite, d'être entouré d'images qui nous hantent et nous empêchent d'être connecté au temps présent», affirme Rima Maroun.
Last but not least, Laura Pharaon explore ses «émotions intérieures les plus profondes » à travers des interprétations abstraites.
Sa définition de la nostalgie, d'abord: «Parmi les cycles de la vie, le retour vers l'inoublié, l'amour des ruines, la poésie des catacombes, la nostalgie, c'est le fil étonnant qui lie les souvenirs, les choses et les âmes.» La jeune artiste ajoute: «J'aime l'exemple du mur qui s'imprègne au fil du temps de couches de vie, de traces, de résidus, de poussière, de craquelures. Rien qu'à le regarder on voyage dans le temps.»
Dans ses compositions elle utilise «des procédés de fragmentation pour représenter la désintégration: le paysage est en constante mutation. La nostalgie présente dans mon art est liée avec l'ambiance chaotique vécue incessamment au Liban. Mais pas seulement le passé : une angoisse fataliste liée à un futur incertain, une image apocalyptique».
L'une des œuvres qu'elle expose s'intitule Cloud of war. «En référence au climat politique et social de notre pays, très cyclique. Le temps passe, avec des moments où tout part en fumée et d'autres moments de répit. Mais persiste ce nuage de menaces qui plane au-dessus de nos têtes», dit la jeune artiste.
La deuxième œuvre, Cotton Candy, «dérive de l'innocence et de l'enfance, elle est plus intime, se rapportant à la féminité. Cette dernière est plus profondément liée à une nostalgie personnelle. En entamant la toile, je suivais les bouleversements dans la région, toutes ces enfances volées... Le rose fait donc référence à la couleur des bonbons, des fleurs séchées. Mais c'est aussi la couleur de la peau, de la chair. Car je fais souvent référence à la nature en tant que témoin».
Pharaon construit ses toiles par couches, avec un souci de rythmique plutôt que d'esthétique. «Les différentes couches de matériaux représentent le temps, comme si on pelait un oignon (même si l'exemple paraît simpliste). Mais ces œuvres-là sont plus émotionnelles et touchent à la mémoire.»
Images iconiques du passé et du présent, à rattraper jusqu'au 17 octobre.

Prononcez le mot nostalgie à un sexa, ou un septa, il vous parlera d'un temps que d'autres ne peuvent pas connaître. Un quinqua aura des souvenirs un peu plus familiers à partager. Peut-être d'un Liban dont les images restent encore un peu présentes aujourd'hui. Idem pour un quadra. Mais les jeunes de vingt ans? Si on leur parle de nostalgie, que répondent-ils? Il serait intéressant de le...

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